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théatre

Publié le 24/10/2012

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Le théâtre est-il selon vous une bonne tribune pour défendre ses idées ? Traditionnellement, et étymologiquement, le théâtre est associé au spectacle, divertissant de préférence car tellement artificiel (saucissonné en actes, scène, avec des personnages parfois « boursouflés « comme le dit JJ Rousseau) qu'il renvoie à de la superficialité et de la technique plus qu'à de la réflexion et de la philosophie en tout cas. Penser le théâtre comme un lieu de divertissement strict relève cependant du contresens historique et littéraire ; de tous temps, le théâtre peut se faire tribune, aborder des thèmes polémiques ou proposer une réflexion, implicite ou explicite sur la société et l'humain, certains auteurs portant même haut cette notion de « théâtre d'idées «, tel Beaumarchais, donné ici en corpus. La question est de savoir d'abord dans quels cas le théâtre peut être le support d'une idée voire d'un idéal, puis de savoir jusqu'où il se révèle efficace ; enfin on verra que le théâtre n'est évidemment pas l'unique tribune possible pour nos écrivains. Le théâtre contrairement au stéréotype qui voudrait que ce ne soit qu'un lieu de masques et jeux de scène, se révèle souvent une tribune subtile et marquante pour faire passer des idées voire pour alimenter la polémique. Le théâtre peut devenir une tribune, assumée, revendiquée par un auteur engagé et polémique. Ainsi dans le théâtre contemporain, les dramaturges européens utilisent-ils le théâtre comme lieu d'expression politique, comme Bertholt Brecht en Allemagne dont le théâtre même lorsqu'il réécrit des mythes grecs, est à lire comme un coup de poing politique et idéologique. Lire l'Antigone de Brecht, ou son Irrésistible ascension de Arturo Ui, c'est évidemment lire l'appel à la résistance anti- nazie, et prendre avec les mots, les armes. Bertold Brecht est connu pour être une des consciences de l'Allemagne des années 50 et pour ses prises de position tranchées. Son moyen d'expression favori est sans conteste, le théâtre. Bien sûr tous les dramaturges ne sont pas aussi explicitement engagés que Bertholt Brecht ; certains auteurs sont à lire entre les lignes. Beaumarchais, que nous trouvons dans notre corpus, ou encore Marivaux, tous deux auteurs des Lumières en France, proposent des scènes de marivaudage, de badinerie ou de fanfaronnade divertissantes ; pour autant, leur discours implicite n'est pas neutre. Marceline et Figaro chez Beaumarchais sont, pour le lecteur apte à lire entre les lignes, les porte-voix d'une volonté de changement dans le peuple par opposition une noblesse sclérosée, incarnée par le comte Almaviva... bref, on n'est pas loin de la Révolution Française. Le théâtre a pour lui des moyens idéaux pour convaincre ou persuader ; il dit en même temps qu'il montre sur scène, il permet dans le cadre des dialogues des échanges vifs et polémiques. Certains auteurs ne s'en sont pas privés, et ont même fait du théâtre un terrain privilégié pour le débat et les combats d'idées. Pas étonnant dans ce cas qu'Albert Camus, écrivain et philosophe engagée, ait consacré une bonne part de sa production au théâtre avec des pièces aussi célèbres que Caligula ou les Justes. Le théâtre cependant ne peut être réduit à sa dimension politique. Il demeure avant tout un art de la scène, visuel et spectaculaire et ce sont ses caractéristiques mêmes qui l'empêchent de se mettre au seul service de la politique ou la polémique. Une ?uvre d'art reste une ?uvre d'art. Le théâtre n'a pas qu'une dimension politique. Il est un divertissement, visant au plaisir du spectacteur voire à son éducation morale. Le théâtre grec ancien, de Sophocle ou Euripide, n'a pas de réelle prétention politique. Voir ?dipe-Roi de Sophocle dans le seul but d'y lire une méditation sur la notion de pouvoir serait un contresens. Cela reste avant tout une tragédie, représentée dans l'espoir de déclencher chez le spectateur le processus de catharsis. De même, on pourra toujours voir dans la Cantatrice chauve de Ionesco un constat glaçant de l'état des relations humaines, au point mort, mais ce serait alors passer à côté de la fantaisie, de l'absurde de la pièce, et se priver du rire comique que veut susciter cette bande de personnages improbable. Même, la technique attachée à l'art dramatique vient limiter et contrebalancer le discours polémique ou politique contenu dans certaines pièces. Une pièce, toute politique soit-elle, est tout de même empêchée ou du moins adoucie dans ses prétentions politiques, par la dramaturgie, les costumes, la gestuelle des acteurs, bref, les jeux de scène. Du coup même les pièces-choc comportent aussi une dimension purement esthétique que peuvent apprécier les spectateurs éclairés, les intellectuels ou les amoureux du genre. Ainsi même dans l'Antigone d'Anouilh ou dans la Guerre de Troie n'aura pas lieu, de Giraudoux, même les spectateurs ne sont pas dupes et savent bien qu'ils sont engagés avec ces pièces dans une réflexion sur le devenir de la France en liaison avec les événements contemporains (la seconde guerre mondiale) cela n'enlève pas à ces ?uvres la beauté, la puissance dramatique, qui fait qu'une pièce de théâtre, toute tribune qu'elle soit, sera toujours au moins un double discours. Il y a le discours politique, certes, mais derrière, au-delà, le propos littéraire, la beauté esthétique, dans une tirade réussie, chez un personnage qui parvient à nous émouvoir par un morceau de bravoure, une réplique imagée. Alors le théâtre ne sera jamais tout à fait égal à un discours argumentatif pur, tel qu'un éditorial de journal, ou une plaidoirie d'avocat où la conviction dans le discours prime sur sa forme et où sans ambiguïté il s'agit pour le locuteur d'entraîner l'adhésion, sans se soucier de la valeur littéraire du texte. Cela nous amène à penser que ce qui fait la richesse du théâtre en fait aussi sa limite, pour notre problématique : la qualité littéraire du théâtre est autant un atout (on adhère d'autant mieux à un discours qu'il est activement défendu, en actes et gestes, par un personnage auquel on peut s'identifier, comme le Caligula de Camus par exemple) et un handicap, en ce que le théâtre ne peut jamais complètement se consacrer au propos argumentatif, car pris dans d'autres logiques tel le langage. D'autres formes de discours, d'autres genres peuvent alors être préférées au théâtre pour défendre une opinion, car tournées de façon plus évidente vers l'argumentation. Le plaidoyer ou encore le pamphlet sont des genres littéraires dont le but affiché est de convaincre (convaincre de, pour le plaidoyer, et convaincre de ne pas, finalement, pour le pamphlet) et dans lesquels tous les moyens rhétoriques sont mis au service de cette argumentation. Les Châtiments de Victor Hugo, entièrement voués à la destruction, par les mots, de « Napoléon le petit « ainsi que le surnommait Hugo, publiés en 1853, sont une charge offensive contre l'empereur, sans relâche, tout au long du recueil. C'est de la poésie, et c'est une tribune très efficace pour Hugo, qui tout en affirmant son opposition à l'Empire, défend la République. Mais là encore, même dans l'implicite, la tribune est possible, et pas qu'au théâtre. Les doubles discours valent pour d'autres genres. Ainsi le recueil d'Apollinaire, Alcools peut aussi au fil de ses poèmes, être vu comme une tribune implicite mais tout à fait recevable, en faveur d'une modernité, d'un renouveau de la forme poétique. Tribune oui, mais lyrique, et efficace tout de même. La littérature offre toutes les gammes dans l'argumentation : de la tribune franche et massive que sont les pamphlets jusqu'aux poèmes à lire entre les lignes, en passant par le théâtre, explicitement ou implicitement mêlé à du discours argumentatif. Pas plus qu'un autre, pas moins qu'un autre, le théâtre n'est une tribune possible pour défendre des idées. Il est autant efficace qu'inefficace ; efficace car expressif et marquant tous les sens du spectateur, et inefficace car toujours teinté de beauté divertissante, y compris au c?ur du débat. On pourrait se demander si toute ?uvre, peu importe son genre, n'est pas argumentative. Un roman même apparemment aux antipodes de l'argumentation, comme le roman de science-fiction, ne permettrait pas des questionnements plus profonds ? Pourtant, il y a consensus sur le fait que le 1984 d'Orwell relève bien de l'apologue. Qu'est-ce que le roman a alors de plus que le théâtre ? De même que le théâtre avait pour lui la vivacité entraînante, le roman a pour lui la longueur qui laisse au lecteur le temps de s'installer dans l'histoire et dans le problème soulevé, lui ménageant le temps nécessaire pour qu'il se forge son opinion ou achève d'adhérer à celle de l'auteur. Chaque genre littéraire a en fait ses armes propres pour insinuer, manipuler, suggérer, convaincre et persuader, le théâtre pas plus, pas moins que les autres.

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