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Tourgueniev, Récits d'un chasseur (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Tourgueniev, Récits d'un chasseur (extrait). Dans les Mémoires d'un chasseur, Tourgueniev cède à la mode de la paysannerie en littérature en proposant des tableaux de campagne où il s'attache à mettre en scène et à dépeindre l'âme russe populaire et provinciale dans ce qu'elle a de plus typique et de plus jovial. Il affiche aussi, sans sensiblerie ni pathétique, mais dans la touchante réalité des faits, et dans ce qu'il nomme « l'amour de la glèbe «, son opposition au servage. Mémoires d'un chasseur d'Yvan Tourgueniev (chapitre 21, « Tchertopkhanov et Nédopiouskine «) Par une chaude après-midi d'été, je revenais de la chasse en télègue ; Iermolaï, assis près de moi, sommeillait en dodelinant de la tête. Ballottés par les cahots, les chiens endormis à nos pieds rebondissaient comme des cadavres. À tout instant le cocher chassait à coups de fouet les taons abattus sur les chevaux. Un nuage de poussière flottait derrière la charrette. Nous nous engageâmes dans un taillis. Le chemin devint plus raboteux ; nos roues s'embarrassaient dans les branches. Iermolaï se réveilla en sursaut et regarda autour de lui... -- Eh ! mais, dit-il, il doit y avoir des coqs de bruyère par ici ; descendons ! Le cocher arrêta et nous pénétrâmes dans le fourré. Mon chien fit lever une compagnie. Je tirai ; et, déjà je m'apprêtais à recharger mon fusil, quand un grand fracas s'éleva derrière mon dos et un cavalier fonça sur moi en écartant à deux mains les branchages. -- Pe-ermettez-moi de vous demander, me dit-il d'un ton arrogant, de quel droit vous chassez ici, mon cher mo'sié ? L'inconnu parlait avec une incroyable volubilité, d'une voix nasillarde et saccadée. Je le regardai en face : de ma vie je n'avais vu pareil personnage. Représentez-vous un petit bonhomme blond avec un bout de nez rouge retroussé et des moustaches rousses à n'en plus finir. Un bonnet persan, haut et pointu, terminé par une calotte de drap grenat, lui couvrait le front jusqu'aux sourcils. Il portait un arkhalouk jaune tout râpé, avec des cartouchières de velours noir sur la poitrine et des galons d'argent éraillés sur toutes les coutures ; un cor de chasse lui pendait à l'épaule, un coutelas pointant à sa ceinture. Une haridelle au poil roux, au front bosselé, chancelait sous lui ; deux lévriers étiques et cagneux tournaient autour de sa monture. Le visage, le regard, la voix, les gestes, la personne entière de cet individu décelaient la témérité folle, l'orgueil extravagant. Ses yeux, d'un bleu pâle et vitreux roulaient dans leurs orbites comme ceux d'un homme ivre ; il rejetait la tête en arrière, gonflait ses joues, s'ébrouait, s'agitait comme pour affirmer son importance : on eût dit un dindon. Il réitéra sa question. -- J'ignorais qu'il fût interdit de chasser en cet endroit, répondis-je. -- Vous êtes ici sur mes terres, mon cher monsieur. -- Excusez-moi, je m'en vais. -- Pe...ermettez-moi de vous demander, répliqua-t-il, est-ce à un gentilhomme que j'ai l'honneur de parler ? Je me nommai. -- Dans ce cas, veuillez continuer à chasser. Je suis gentilhomme, moi aussi, et très heureux d'obliger un de mes pairs... J'ai nom Tcher-top-kha-nov, Pantéléï. Il s'inclina, excita son cheval de la voix et le cingla au cou ; la bête secoua la tête, se cabra, fit un écart, et écrasa la patte d'un des chiens qui hurla de douleur. Tchertopkhanov écumant, hors de lui, frappa du poing le cheval entre les deux oreilles, puis, plus rapide que l'éclair, sauta à terre, examina la patte du chien, cracha dessus, fit taire ses plaintes d'un coup de pied, saisit le toupet de sa monture et mit le pied de l'étrier. Le cheval tendit le cou, dressa la queue, et se jeta dans les buissons ; son cavalier le suivit à cloche-pied et parvint enfin à se mettre en selle ; alors, comme un furieux, il fit tournoyer sa nagaïka, donna du cor et disparut au galop. Je n'étais pas encore remis de l'étonnement que m'avait causé cette apparition inattendue, lorsque soudain sans bruit, un gros petit homme d'une quarantaine d'années chevauchant un bidet à robe noire, sortit du taillis. Il s'arrêta, ôta sa casquette de cuir vert, et me demanda d'une voix douce, flûtée, si je n'avais pas vu un cavalier sur un cheval roux. -- Mais oui, lui dis-je. -- De quel côté s'est-il éloigné ? continua-t-il de la même voix et sans remettre sa coiffure. -- De ce côté-là. -- J'ai l'honneur de vous remercier. Il claqua de la langue, donna un coup de talon à son cheval, et partit au petit trot, triouk, triouk, triouk, dans la direction indiquée. Je le suivis du regard, tant que sa casquette pointue resta visible parmi les branches. Le nouvel inconnu ne ressemblait en rien à celui qui l'avait précédé. Sa figure joufflue, ronde comme une boule, respirait la timidité, la bonhomie, la résignation ; son nez court, charnu, strié de petites veines bleues révélait un tempérament sensuel. Il avait le devant de la tête entièrement chauve, mais quelques maigres touffes de cheveux roux lui pendaient sur la nuque ; ses petits yeux, fendus en amande, brillaient doucement ; un bon sourire s'épanouissait sur ses lèvres moites, vermeilles. Il portait une redingote à col droit et à boutons de métal, élimée mais fort propre ; son pantalon de drap lui était remonté jusqu'au genou, laissant voir, au-dessus de bottes jaunes à revers, de gros mollets rebondis. -- Qui est-ce ? demandai-je à Iermolaï. -- C'est Nédopiouskine, Tychon Ivanytch ; il demeure chez Tchertopkhanov. -- Il n'a pas de fortune ? -- Il n'est guère riche, mais Tchertopkhanov non plus n'a pas un sou vaillant. -- Alors pourquoi s'est-il installé chez lui ? -- Ils ont lié amitié. L'un ne peut vivre sans l'autre... En vérité, on peut dire d'eux : « où passe le cheval et son sabot, passe l'écrevisse et sa pince «. Comme nous sortions du fourré, nous entendîmes soudain deux chiens se récrier, et un gros lièvre blanc s'élança dans l'avoine déjà haute. La meute -- lévriers et chiens courants -- déboucha à son tour, bientôt suivie de Tchertopkhanov en personne. À bout de voix, haletant, il ne parvenait pas à appuyer la meute : sa bouche ouverte ne laissait échapper que des sons inarticulés ; il galopait, les yeux hagards, en cinglant sans merci son malheureux cheval. Sur le point d'être pris, le lièvre se rasa, fit un brusque crochet sur lui-même, et fila vers les taillis du côté de Iermolaï... Les chiens le relancèrent. -- Ti...ens bon !... marmotta d'une langue bégayante le chasseur éperdu. -- À toi, mon petit !... Iermolaï tira : ...le lièvre blessé roula sur l'herbe lisse, rebondie et poussa son dernier cri sous les dents d'un des chiens, qui s'était jeté en avant mais que les autres rejoignirent aussitôt. Tchertopkhanov sauta de cheval comme une trombe, tira son coutelas, courut, jambes écartées, vers les chiens, leur arracha en les accablant d'injures le lièvre pantelant et, avec une affreuse grimace, lui plongea jusqu'à la garde son arme dans la gorge... Après quoi il poussa l'hallali : -- Ho-ho-ho ! Tychon Ivanytch émergea des buissons. -- Ho-ho-ho-ho-ho-ho-ho-ho ! recommença Tchertopkhanov... -- Ho-ho-ho ! continua tout doucement son ami. -- Raisonnablement on ne devrait pas chasser en cette saison, lui dis-je en montrant l'avoine foulée. Source : Tourgueniev (Ivan), Mémoires d'un chasseur, trad. par Henri Mongault, Paris, Gallimard, 1953. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« — Ho-ho-ho ! continua tout doucement son ami. — Raisonnablement on ne devrait pas chasser en cette saison, lui dis-je en montrant l’avoine foulée. Source : Tourgueniev (Ivan), Mémoires d'un chasseur, trad.

par Henri Mongault, Paris, Gallimard, 1953. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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