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Une vocation de sincérité

Publié le 22/02/2012

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« L'homme de l'âge baroque se plaisait entre l'être et le paraître, mettant à l'un le masque de l'autre. Rousseau, au contraire, se fait un devoir de ne paraître que ce qu'il est, il veut obéir à une vocation de sincérité sans alibi, maintenir son coeur en état d'absolue transparence. Mais cette voie est celle de l'orgueil, la bonne intention n'y est pas récompensée : on risque de s'y perdre, d'être réduit à mentir, d'épouser les ténèbres. D'où la soif lancinante d'une disculpation, qui va de pair avec l'affirmation de l'innocence. Car cette affirmation est pénétrée d'angoisse, bien qu'elle s' appuie ,sur la persuasion que le moi, s'aimant lui-même sans esprit de concurrence, participe à l'innocence de la nature. Le sentiment de la faute, nié toujours, mais partout diffus, se fixe ici ou là suivant les circonstances ; à chaque instant débusqué par la conscience, mais se reformant toujours au zénith comme un point noir. Rousseau est dans la situation d'un chrétien qui se déroberait à l'action de la grâce (trop humiliante), mais qui demanderait que sa non-culpabilité foncière fût proclamée au siècle des siècles. Il interjette appel devant l'Être éternel, il consent à reconnaître ses indignités et ses misères ; mais c'est pour que les autres en gémissent, en rougissent à sa place. Peut-être que la faute est précisément de se croire sans faute, peut-être que le mal est de se juger incapable d'un mal qui serait spontané. Il est de fait que la délivrance n'est possible, dans le cas de Rousseau, ou le sursis, que par l'oubli, ou par une occultation provisoire d'un moi qui ne se sent plus exister que par ses sensations. » Marcel Raymond, Introduction au tome I des Œuvres complètes de Rousseau, La Pléiade, 1959, XIII-XIV.

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