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Victoire des socialistes en Hongrie

Publié le 22/02/2012

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29 mai 1994 - Ce n'est pas une victoire, c'est un triomphe ! Quatre ans après avoir été laminé aux premières élections démocratiques, le Parti socialiste hongrois (PSN) fait un retour spectaculaire en remportant la majorité absolue des sièges après le second tour des élections législatives du dimanche 29 mai. Le succès du Parti socialiste, créé par des réformateurs communistes à la fin de 1989, était, certes, prévisible après le premier tour du 8 mai, lorsqu'il est arrivé en tête avec plus d'un tiers des voix. Mais le raz-de-marée de dimanche dépasse tous les pronostics. En raflant 54 % des suffrages, les socialistes sont maîtres du Parlement, avec 209 des 386 sièges. Et, à la différence des anciens communistes polonais, revenus aux commandes en septembre dernier, les socialistes hongrois pourront, s'ils le veulent, gouverner tout seuls. Comme lors des premières élections libres de 1990, les Magyars ont donc avant tout exprimé un sévère vote-sanction contre le pouvoir en place. Il y a quatre ans, dans la foulée des bouleversements à l'Est, la Hongrie avait clairement viré à droite. Aujourd'hui, elle vient tout aussi tranquillement de basculer à gauche. Le changement est sans appel. A Budapest, le Parti socialiste a raflé tous les sièges sauf deux. Presque tous les ministres du gouvernement ont été battus dans leur circonscription et la plupart des dirigeants des autres partis ont subi des défaites humiliantes. Il n'y a donc pas eu de " sursaut " de l'électorat entre les deux tours pour atténuer cette poussée à gauche. Autant que la victoire socialiste, ce qui frappe dans ce scrutin, c'est l'écroulement des autres formations. Seule, l'Alliance des démocrates libres (SzDSz), fondée par les dissidents de la première heure contre le régime communiste, arrive péniblement en deuxième position avec 18 %, un score nettement en dessous de ses attentes. Mais partout ailleurs, c'est l'hécatombe. Avec seulement 9,58 %, le Forum démocratique hongrois (MDF), le principal parti du pouvoir sortant, n'a pas réussi à passer la barre symbolique des 10 %, tandis que ses deux autres partenaires de la coalition conservatrice sont laminés : 6,73 % pour les " petits propriétaires " et 5,69 % pour les chrétiens-démocrates. Et la cuiller de bois revient aux jeunes démocrates de la FIDESz avec 5,18 %, alors que ce parti, si atypique avec son groupe parlementaire le plus jeune du monde, caracolait en tête des sondages il y a six mois. L'hypothèse d'une coalition La rupture est donc totale. Coincé dans la minerve métallique qu'il porte depuis l'accident de voiture qui a failli lui coûter la vie au début du mois, Gyula Horn, le président du Parti socialiste et probable candidat au poste de premier ministre, a enterré sans pitié la " République des professeurs " qui avait succédé au régime communiste il y a quatre ans : " A travers le Parti socialiste, des représentants des travailleurs, des banlieues et des villages siégeront au nouveau Parlement. La politique de ce pays ne sera désormais plus l'apanage d'une poignée de nobles. " Alternant, comme il sait si bien le faire, des déclarations cassantes et démagogiques avec des propos consensuels et modérés, Gyula Horn a ensuite lancé un appel à " la réconciliation, la paix sociale et la coopération ", indiquant que son parti, malgré sa majorité confortable, demeurait ouvert à la formation d'un gouvernement de coalition. Car cette victoire écrasante est à double tranchant pour les socialistes conscients des difficultés à surmonter, ils ne voudraient pas porter seuls la responsabilité de la poursuite des réformes. Seuls au pouvoir, ils pourront difficilement résister à la pression de leur base, notamment l'aile syndicale du parti - en conflit larvé avec le courant " libéral " représenté par le très austère et néanmoins populaire ancien ministre des finances, Laszlo Békesi - singulièrement écarté de la tribune dimanche soir, alors qu'il est pourtant le numéro trois sur la liste socialiste. En outre, une coalition permettrait au pouvoir de ne pas être systématiquement étiqueté comme celui des " anciens communistes " et lui permettrait d'avoir une majorité des deux tiers au Parlement, indispensable pour changer la Constitution et adopter certaines lois-clés, comme celle des médias, qui empoisonne la vie politique depuis quatre ans. Or il n'y a que les anciens dissidents de l'Alliance qui sont désormais en mesure de fournir cet appoint. Mais ils ont toujours indiqué qu'ils ne se contenteraient pas d'être la caution morale des socialistes et qu'ils n'ont aucunement l'intention de faire de la figuration dans un gouvernement où ils seraient totalement marginalisés. Toutefois, avec seulement 18 % des voix, leur marge de manoeuvre s'est considérablement réduite. Ivan Peto, le président du parti, s'est borné à indiquer, dimanche soir, que seul le congrès extraordinaire du SzDSz, convoqué pour la fin de la semaine en même temps que celui des socialistes, " décidera si nous pourrons entamer des négociations de coalition ". Avec ou sans partenaire au gouvernement, le Parti socialiste a définitivement rompu son isolement. Sa victoire confirme une tendance observée ailleurs à l'Est : l'échec des premiers gouvernements postcommunistes - même si celui de la Hongrie est allé jusqu'au bout de son mandat - et la réhabilitation de la gauche. Modernité et nostalgie Mais le succès des socialistes hongrois tient aussi à leur propre parcours. Le parti a été créé par l'aile réformatrice de l'ancien PC qui a durement lutté contre l'arrière-garde des héritiers de Janos Kadar à la fin des années 80. Et, une fois le " vieux " écarté, au printemps 1988, ces réformateurs - pour la plupart des économistes formés en Occident - ont accompagné, et non empêché, le changement de régime. Pour la majorité de la population, ils sont toujours associés à " l'âge d'or " des réformes, lorsque la liberté retrouvée ne s'accompagnait pas encore des difficultés économiques. Traités comme des pestiférés après 1990, les socialistes ont profité de cette quarantaine pour ressouder les rangs et projeter l'image d'un parti dominé par des " experts " et moins divisé que les autres. Jouant à la fois sur le tableau de la " modernité " mais aussi sur le registre de la nostalgie, ils ont patiemment recueilli les bénéfices de la frustration sociale engendrée par le coût, forcément douloureux, de la transition. Mais le bilan économique, somme toute honorable, de la coalition sortante, n'est pas la seule explication de cette victoire socialiste. Le gouvernement a aussi été sanctionné pour son style de plus en plus autoritaire et arrogant au fur et à mesure que le scrutin approchait, n'hésitant pas à transformer la radio et la télévision d'Etat en de vulgaires outils de propagande. Mais, indépendamment du vainqueur, ces élections marquent un autre tournant majeur pour la Hongrie : c'est la première fois dans l'histoire du pays qu'un gouvernement démocratique va céder le pouvoir à un autre. Les deux tours de ce scrutin ont également démontré que les formations extrémistes, de droite et de gauche, n'ont aucune assise importante. Et, comme en 1990, les électeurs ont écarté le spectre de l'instabilité politique, qui ronge tant de nouvelles démocraties ailleurs à l'Est. Commentant sereinement les résultats dimanche soir, le chef de l'Etat, Arpad Gncz, a appelé le pays " à se réconcilier avec toutes les périodes de son histoire ". Et quel meilleur symbole pour y parvenir que le tandem entre ce président dramaturge, ancien prisonnier politique, et un gouvernement dominé par d'anciens communistes. YVES-MICHEL RIOLS Le Monde du 31 mai 1994

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