Devoir de Philosophie

AUTRUI (The Other)

Publié le 03/04/2015

Extrait du document

AUTRUI (The Other)

La philosophie jusqu'à Hegel. a ignoré le problème d'autrui, car elle définissait l'homme par rapport au schéma dualiste de la conscience et du corps, et postulait le primat du cogito comme rapport immédiat de la conscience à elle-même : la conscience. de soi était considérée comme une donnée première, affaire du seul débat entre un sujet. et lui-même. Dans ces conditions, les relations avec autrui ne pouvaient constituer un champ. philoso¬phique original (ou originel) : elles se réduisaient à l'interpréta¬tion d'un donné objectif. (les attitudes, les gestes, les paroles. de l'autre), en fonction des significations. (sentiments, pensées, etc.) que le sujet, déchiffrant ce donné, était supposé découvrir « dans « sa propre conscience. Autrui, c'était donc un corps-objet (analogue aux autres objets du monde), plus une conscience « alter ego «, « autre moi-même « (analogue à ma propre conscience).

Avec la philosophie hégélienne, l'intersubjectivité. apparaît. au contraire, comme la médiation nécessaire à l'avènement de la conscience de soi : ce qui était point de départ. pour Descartes., devient un aboutissement, qui suppose que la conscience ait préalablement rencontré l'autre conscience sur son chemin et l'ait affrontée. La dialectique du maître et de l'esclave est, en effet.

28. Kant : Fondement de la métaphysique des meurs (Delagrave, Paris, 1952) : Critique de la raison pratique (P.U.F., Paris, 1944).

29. Voir Léon Robin : la Morale antique (P.U.F., 1947).

 

le passage d'une conscience enlisée dans la vie. immédiate organique (comme peut l'être la « conscience « animale) à l'état d'une conscience qui s'est « approprié « sa véritable essence, s'est

réalisée « elle-même comme conscience de soi, parce que son désir. est devenu désir d'un autre désir, c'est-à-dire, pour la conscience, d'être reconnue comme telle par une autre conscience. Tel fut le point de départ de la réflexion phénoménologique sur le problème d'autrui. A partir de Husserl., ce champ nouveau sera exploré selon les trois directions, parfois confondues, de l'expérience d'autrui (c'est-à-dire de la découverte de « l'autre en tant qu'autre «), de sa connaissance et de la communication. intersubjective.

L'expérience d'autrui. Il s'agit donc ici de sauvegarder l'origina¬lité, l'irréductibilité du rapport vécu avec autrui, de montrer pourquoi ce dernier ne se laisse pas réduire au statut d'objet quelconque, fût-il « habité « par une conscience. Husserl (voir l'article : la Phénoménologie) a explicité, sous une forme théori¬que. et systématique, le problème de la « constitution «2° d'au¬trui ; et il montre que, précisément, autrui comme tel ne peut en aucune façon être constitué par une conscience, sinon comme non susceptible d'être constitué de la sorte. Dans la mesure où le « sens d'être « de l'Autre comme autre est de me réduire au statut de quasi-objet, il faudrait donc que je le constitue comme un constituant. Cette difficulté suprême pour toute « écologie trans¬cendantale « a été développée systématiquement par Husserl dans la cinquième des Méditations cartésiennes. Sartre a repris lon¬guement et minutieusement le problème des relations concrètes avec autrui dans l'Eire et le Néant: si autrui se réduit à un corps doté de motricité, on ne s'étonnerà guère que cet « objet. parmi les autres « figure dans mon champ perceptif. Mais ce qui apparaît par contre comme un « scandale « intellectuel, une quasi-impossibilité ontologique., c'est la multiplicité des cons¬ciences : c'est-à-dire à la fois la solitude irrémédiable de chaque « je « (le fait d'être seul à « être soi-même «) et la multiplicité indéfinie des sujets. en « première personne « (sujets dont chacun constitue un soi-même). La forme la plus élémentaire d'un tel « scandale « est sans doute, comme l'a souligné Sartre, l'appari¬tion de l'Autre comme celui qui « voit cela même que je vois « et, en ce sens, me dérobe le spectacle du monde. La coapparte-nance du monde à deux sujets à la fois, l'existence d'une « mise en perspective « du monde perçu à partir d'un centre de perception qui m'échappe à jamais tel apparaît autrui saisi comme un

principe d'organisation ou de réorganisation du perçu imperson 

nel et quasi anonyme. Mais il suffit qu'autrui lève les yeux sur moi pour que je m'éprouve désormais, comme un sujet, certes, mais

30. On entend par problème de « constitution «, chez Husserl, la des¬cription et l'explicitation systématique d'une certaine « genèse intention¬nelle «. Voir l'article : la Phénoménologie.

 

comme un sujet à qui se dérobe par nécessité une certaine dimension de son être : cette dimension (au sens où l'on ne peut être « impérieux, frivole, triste ou rusé « que pour autrui), je ne puis que la rejeter et l'assumer., la méconnaître et la faire mienne, dans un seul et même mouvement (qui est l'ambiguïté. même de l'existence en face d'autrui ou « pour autrui «).

La connaissance d'autrui. La connaissance qu'on a d'autrui (quels qu'en soient la rigueur et l'achèvement — si toutefois on peut parler d'« achèvement « à propos de ce qui échappe à toute tentative de réduction) ne peut être que relative à sa manière d'être originale, qui est expression.: l'Autre est avant tout une réalité signifiante., et la connaissance que j'en prends est d'abord le sens que je lis dans ses paroles, dans ses gestes... Merleau-Ponty a insisté3' sur le caractère immédiat (il est d'ordre perceptif et non intellectuel, au moins au départ) de cette lecture du sens du comportement. d'autrui.

La communication intersubjective. Les questions portent sur la possibilité de cette communication., sur sa nature, sur sa réussite ou son échec. Les consciences sont-elles prisonnières de leur « secret « incommunicable ? S'il y a communication, celle-ci est-elle de l'ordre de la participation intuitive, de la sympathie (Max Scheler.) ? Ou n'est-elle pas assurée d'abord par le langage., le «silence «, l'« ineffable « n'ayant sens que comme valeurs. dif¬férentielles qui apparaissent dans les déchirures du langage, et par lui ? Cette seconde hypothèse semble beaucoup plus accepta¬ble philosophiquement (sinon poétiquement), car la première fait de la communication un véritable mystère. Quant à son accom¬plissement ou non, ce thème a été développé surtout par des philosophes à orientation personnaliste, tout en fournissant un thème inépuisable à la littérature et au cinéma (dans ce dernier domaine, les films de Bergman, Fellini, Antonioni, pour ne citer qu'eux). Ici encore, il ne semble pas souhaitable de risquer un passage à la limite (en insistant sur la solitude radicale des consciences ou, au contraire, leur communion) avant d'avoir fait une analyse réelle des conditions objectives de communication ou de non-communication, dont on voit assez vite qu'elles sont avant tout d'origine psychologique (la manière dont la person¬nalité s'est structurée depuis l'enfance) et sociale (la séparation des classes entraînant la séparation et l'aliénation. des indivi¬dus.).

Liens utiles