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Dans toutes les affaires du « domaine réservé », Louis Napoléon tenait le plus souvent l'ensemble de ses ministres dans l'ignorance la plus totale de ses décisions.

Publié le 31/10/2013

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Dans toutes les affaires du « domaine réservé «, Louis Napoléon tenait le plus souvent l'ensemble de ses ministres dans l'ignorance la plus totale de ses décisions. Il lui arrivait de ne traiter le dossier qu'avec le ministre compétent, et même de se passer de lui. Du côté des Assemblées, le Sénat ne lui causait guère de soucis... et sa passivité semblait même plutôt décevante. En revanche, le Conseil d'État, sur lequel Louis Napoléon avait fondé bien des espoirs se montrait souvent rétif. Pourtant l'empereur l'avait dit sans ambages : « Les Conseillers d'État sont non des magistrats mais des ommes politiques chez qui je ne dois point rencontrer de résistance. « e fut peine perdue. Et Louis Napoléon confia plus tard à Darimon avec quelque amertume : « Le Conseil 'État renferme certainement une foule d'hommes éclairés, mais les réformes les effrayent. Ils ont toujours quelque texte de loi à m'opposer. J'aurais fait beaucoup plus pour les classes ouvrières que je ne l'ai fait si j'avais rencontré dans le Conseil un puissant auxiliaire. « C'est vrai que le Conseil d'État, plus que réticent devant la volonté d'innover de l'empereur, a freiné, retardé, empêché bien des mesures -- le projet d'organisation d'un Crédit agricole en donnant une illustration, parmi beaucoup d'autres... Reste le Corps législatif, dont l'évolution suit la courbe du régime. Assemblée essentielle, dans la mesure où elle incarne le lien avec le suffrage universel, au même titre que le plébiscite, même si la substitution de la énomination de « députés « à celle de « représentants « signifie plus ou moins clairement que le plébiscite l'emporte, en légitimité, sur le mode de désignation des ci-devant représentants. Dès l'origine, cette Assemblée échappe à l'inertie. Si modestes que soient ses moyens d'action, elle en tire tout le parti possible pour exprimer ses réticences vis-à-vis des initiatives de l'empereur, notamment dans le domaine des finances publiques. Il est vrai qu'on a recherché pour la peupler des non-politiques, inventant, avant la lettre, et simultanément, la mode des « socio-professionnels « et celle des tenants de la « société civile «. Mais toute médaille a son revers : ces hommes ont souvent des intérêts, donc quelques idées; mais, surtout, des répulsions. Après les élections de 1852, il n'y a officiellement, sur les deux cent soixante et un députés que compte la Chambre, aucun opposant. En fait, huit ont été élus: mais les trois républicains refusent de siéger, tandis que les deux indépendants et les trois légitimistes ne se font guère remarquer... Cela n'empêche pas les députés de faire entendre leur voix. Plusieurs projets de loi émanant de l'exécutif durent être retirés. Et la grogne s'exprima vite devant les facilités budgétaires que sollicitait le gouvernement. On a calculé que le premier Corps législatif avait discuté près de deux mille amendements -- ce qui n'est pas négligeable -- dont plus de huit cents furent finalement adoptés. C'est redire que le système de la candidature officielle n'a pas eu les effets qu'on lui prête. Certes, une fois désigné, le candidat retenu par le préfet a l'appui de l'Administration tout entière, donc les meilleures chances de l'emporter. Georges Pradalié, dans son Second Empire cite les remarques de deux préfets qui ont particulièrement bien compris ce qu'on attend d'eux. Celui de la Haute-Loire : « Nous autres, administrateurs, désintéressés dans la question et qui ne représentons en définitive que la collection de vos intérêts, nous apprécions, nous jugeons les candidatures et après notre examen, nous vous présentons celle qui nous paraît la meilleure. « Et celui de l'Aube, qui précise : « Pour nous, fonctionnaires publics, à quelque degré de la hiérarchie que nous soyons placés, nous n'oublierons pas que l'autorité et la légitime influence que donnent les fonctions que nous tenons de la confiance du gouvernement doivent tout entières être consacrées à faire prévaloir ses décisions et à faire respecter ses lois. « En tout cas, le pire qui peut arriver à un préfet, c'est que son candidat ne soit pas élu. Il a donc tout intérêt à soutenir celui dont il pense qu'il correspond à l'opinion dominante dans l'électorat. Du coup, et quoi qu'on en ait dit, le Corps législatif a toujours été, en fin de compte, un reflet assez fidèle de l'état de l'opinion. Bien sûr, il n'est pas interdit de saluer le talent et le sens de la formule de Victor Hugo, décrivant cette Assemblée qui « marche sur la pointe des pieds, roule son chapeau dans ses mains, sourit humblement, s'assied sur le bord de sa chaise et ne parle que quand on l'interroge «. Et l'on peut éprouver quelque compassion pour Montalembert quand il évoque sa dure expérience : « L'Histoire dira, si elle prend la peine de s'en occuper, quelle fut l'infatigable complaisance et l'incommensurable abaissement de cette première Assemblée du second Empire. L'étouffement de la parole le disputait à la prestesse du vote... Nul ne saura jamais ce que j'ai souffert dans cette cave sans air et sans jour où j'ai passé dix ans à lutter contre des reptiles. « Il reste que le système n'a pas interdit à Montalembert de trouver place dans la cave qu'il décrit, et que les reptiles qu'il dénonce étaient, il ne le nie d'ailleurs pas, représentatifs de la France de ce temps. Et c'est probablement pour qu'il en fût ainsi que Louis Napoléon avait tant souhaité qu'on mît les préfets en situation de bien connaître leur département. « J'attache, écrivait-il à Persigny, la plus grande importance à la stabilité des Préfets dans leurs départements. Un Préfet médiocre, mais connaissant depuis longtemps le pays, vaut mieux qu'un Préfet distingué et de passage. « es élections de 1857 allaient d'ailleurs prouver que, dès lors qu'elle reprendrait consistance, une opposition pourrait s'exprimer et accéder au Corps législatif. Les candidats hostiles au gouvernement rassemblèrent 665 000 voix contre 5 471 000 à la majorité. Cinq républicains furent élus: Émile Ollivier, qui allait s'avérer l'adversaire le plus redoutable, le docteur Hénon, Darimon, Carnot et Godchaux. Les deux derniers cités démissionnèrent pour ne pas avoir à prêter serment, et furent remplacés, à la faveur d'élections partielles, par Jules Favre et Ernest Picard. La nouvelle Chambre devait rapidement démontrer qu'elle pouvait, au-delà même de ce petit groupe, manifester son indépendance. Quelques semaines après l'ouverture de la législature, l'attentat d'Orsini était venu rappeler -- comme celui du Petit-Clamart, un peu plus d'un siècle plus tard -- combien le régime restait tributaire d'un seul homme. Or, la loi des suspects soumise au Corps législatif suscita l'opposition de vingtquatre députés. La réalité du rôle du Corps législatif est illustrée encore par plusieurs autres incidents dont le pouvoir exécutif ne sortit pas systématiquement vainqueur. Ainsi en fut-il par exemple, en 1862, quand Louis Napoléon souhaita le vote d'une dotation à Cousin-Montauban, qui venait de s'illustrer en Chine. Les députés ne voulurent rien entendre, choqués qu'ils avaient été par les exactions et les rapines qui avaient suivi la prise de Pékin et dont l'écho faisait scandale. Il est probable, de surcroît, qu'ils n'étaient pas mécontents de saisir ce prétexte pour exprimer leur désaccord implicite à l'égard d'expéditions lointaines dont ils ne percevaient guère l'opportunité et dont ils appréhendaient le coût. Louis Napoléon fut contraint de s'impliquer personnellement pour tenter d'arracher la décision; et n'obtint pas pour autant gain de cause. Il en fut réduit à accepter un compromis boiteux qui avait tout l'air d'une capitulation en rase campagne. Sa lettre du 4 mars au président de l'Assemblée est l'aveu de son impuissance à obtenir davantage: « ... Le refus de la Chambre d'accueillir le projet m'eût été pénible sans doute, mais il n'aurait en rien influé sur mes sentiments et sur ma conduite. Je comprends néanmoins, d'après vos explications, qu'un incident, léger d'abord, soit devenu, par les circonstances qui s'y sont rattachées, assez grave pour placer la majorité dans une fâcheuse alternative, ce qui a fait qu'un grand nombre de Députés, comme vous me l'avez dit, préférerait une loi comprenant dans son ensemble les services militaires exceptionnels. « Adoptant cette idée, j'ai résolu de présenter un nouveau projet qui, soumettant à la Chambre l'approbation d'un principe général, permette d'assurer, dans de justes limites, à toutes les actions d'éclat, depuis le Maréchal jusqu'au soldat, des récompenses dignes de la grandeur du pays. « Le Corps Législatif qui m'a toujours donné un concours si loyal, qui m'a aidé à fonder l'Empire et les institutions qui doivent nous survivre verra avec plaisir, j'aime à le penser, que je m'empresse d'adopter le moyen de rétablir la confiance mutuelle et d'effacer les traces d'un désaccord toujours regrettable entre des pouvoirs issus de la même origine et travaillant consciencieusement dans le même but. « La lettre présente d'autant plus d'intérêt que Louis Napoléon profite de cette mince occasion pour rappeler dans quel esprit, selon lui, les institutions doivent fonctionner et quelle est à ses yeux l'importance du Corps législatif: « L'esprit de nos Institutions et mon sentiment bien connu pour la Chambre auraient dû nous [...] préserver [de ce malentendu]. En effet, aujourd'hui, les conflits sont presque impossibles; les lois sont discutées pour ellesmêmes et non en vue du maintien ou du renversement d'un Ministère. Lorsque le Gouvernement a exprimé sans détour son intention, les résolutions du Corps Législatif sont d'autant plus libres que, dans les cas ordinaires, le désaccord ne doit troubler en rien la marche des affaires. « Dès novembre 1854, Louis Napoléon avait dû se résigner à nommer Morny à la tête du Corps législatif pour en contrôler les écarts, car le danger, il le comprenait, pouvait bien venir, non de l'opposition, numériquement limitée et durablement affaiblie, mais de la majorité elle-même. Cependant, le concours de Morny, revenu d'une ambassade extraordinaire fort réussie auprès du tsar, avait, comme bien l'on pense, un prix. D'abord, bien sûr, il fallut le laisser mettre l'hôtel de Lassay en coupe réglée. On a eu, il est vrai, des illustrations contemporaines de la même rapacité; du moins agit-il avec goût en inventant un bonapartisme hôtelier qui fit, ultérieurement, des émules. Le demi-frère de l'empereur se lança également dans un jeu personnel et subtil qui, pour le moins, anticipait fâcheusement et intempestivement sur les intentions de l'empereur. On peut croire M. de Boissieu quand il rapporte que Morny « était passé maître dans l'art de lâcher et de rassembler les rènes de son attelage parlementaire. S'il laissait à peu près tout dire, c'était moins un droit reconnu qu'une faveur accordée «. Et c'est vrai qu'il avait déclaré ne pouvoir tolérer que « des observations présentées avec tact, loyauté et bon esprit «. Pourquoi aussi ne pas le croire, quand il manifeste en maintes occasions son mépris pour les députés, ce « troupeau de cent cinquante individus qui, dit-il, m'embêtent du matin jusqu'au soir «. Ou lorsqu'il exprime, un jour de chasse, son admiration à son hôte qui pouvait identifier toute la meute : « Tiens, vous connaissez mieux vos chiens que moi mes députés. « Mais, très vite, il a compris tout le parti qu'il pouvait tirer de sa nouvelle situation. Il a su discerner que, dans une assemblée parlementaire, seuls quelques hommes comptent, qu'ils soient des vedettes ou, plus simplement, es meneurs. C'est avec eux qu'il va entretenir des rapports suivis et de plus en plus étroits. Oui, comme l'a dit Pierre de La Gorce, dans son Histoire du second Empire: « La grande habileté de Monsieur de Morny fut qu'ayant été nommé par Napoléon III, il se fit aussitôt, non 'homme de l'Empereur, mais celui de l'Assemblée. Avec un art consommé, il s'appliqua à en épouser l'esprit de corps. Pour marquer son dédain ou son ennui, il affectait de s'endormir quand Baroche parlait. Ou encore il ne s'interdisait pas de lâcher des commentaires assassins, en plein discours. « Il affecta donc de donner à la soumission des airs de liberté. A cette conduite opportune, il ajouta quelques concessions très appréciées pour l'interprétation du règlement. « *** La distribution des rôles étant établie et tout le monde étant en place, la pièce avait pu commencer. Les moyens d'action de Louis Napoléon laissaient sans doute à désirer. Mais c'est lui qui les avait façonnés. este à savoir ce qu'il en fit.

« Et c'est probablement pourqu'ilenfûtainsi queLouis Napoléon avaittantsouhaité qu'onmîtlespréfets en situation debien connaître leurdépartement. « J'attache, écrivait-ilàPersigny, laplus grande importance àla stabilité desPréfets dansleursdépartements. Un Préfet médiocre, maisconnaissant depuislongtemps lepays, vautmieux qu'unPréfet distingué etde passage.

» Les élections de1857 allaient d'ailleurs prouverque,dèslorsqu'elle reprendrait consistance, uneopposition pourrait s'exprimer etaccéder auCorps législatif.

Lescandidats hostilesaugouvernement rassemblèrent665 000 voix contre 5471 000àla majorité.

Cinqrépublicains furentélus:Émile Ollivier, quiallait s'avérer l'adversaire leplus redoutable, ledocteur Hénon,Darimon, CarnotetGodchaux.

Lesdeux derniers cités démissionnèrent pournepas avoir àprêter serment, etfurent remplacés, àla faveur d'élections partielles,par Jules Favre etErnest Picard. La nouvelle Chambre devaitrapidement démontrerqu'ellepouvait, au-delàmêmedecepetit groupe, manifester sonindépendance.

Quelquessemainesaprèsl'ouverture delalégislature, l'attentatd'Orsiniétait venu rappeler —comme celuiduPetit-Clamart, unpeu plus d'un siècle plustard—combien lerégime restait tributaire d'unseulhomme.

Or,laloi des suspects soumiseauCorps législatif suscital'opposition devingt- quatre députés. La réalité durôle duCorps législatif estillustrée encoreparplusieurs autresincidents dontlepouvoir exécutif ne sortit passystématiquement vainqueur.Ainsienfut-il parexemple, en1862, quand LouisNapoléon souhaitale vote d'une dotation àCousin-Montauban, quivenait des'illustrer enChine. Les députés nevoulurent rienentendre, choquésqu'ilsavaient étépar lesexactions etles rapines quiavaient suivi laprise dePékin etdont l'écho faisait scandale.

Ilest probable, desurcroît, qu'ilsn'étaient pasmécontents de saisir ceprétexte pourexprimer leurdésaccord impliciteàl'égard d'expéditions lointainesdontilsne percevaient guèrel'opportunité etdont ilsappréhendaient lecoût. Louis Napoléon futcontraint des'impliquer personnellement pourtenter d'arracher ladécision; etn'obtint pas pour autant gaindecause.

Ilen futréduit àaccepter uncompromis boiteuxquiavait toutl'aird'une capitulation en rase campagne.

Salettre du4mars auprésident del'Assemblée estl'aveu deson impuissance àobtenir davantage: « ...

Le refus delaChambre d'accueillir leprojet m'eûtétépénible sansdoute, maisiln'aurait enrien influé sur mes sentiments etsur maconduite.

Jecomprends néanmoins, d'aprèsvosexplications, qu'unincident, léger d'abord, soitdevenu, parles circonstances quis'ysont rattachées, assezgravepourplacer lamajorité dansunefâcheuse alternative, ce qui afait qu'un grand nombre deDéputés, commevousmel'avez dit,préférerait uneloicomprenant dansson ensemble lesservices militaires exceptionnels. « Adoptant cetteidée, j'airésolu deprésenter unnouveau projetqui,soumettant àla Chambre l'approbation d'un principe général, permette d'assurer, dansdejustes limites, àtoutes lesactions d'éclat,depuisleMaréchal jusqu'au soldat,desrécompenses dignesdelagrandeur dupays. « Le Corps Législatif quim'a toujours donnéunconcours siloyal, quim'a aidé àfonder l'Empire etles institutions quidoivent noussurvivre verraavecplaisir, j'aimeàle penser, quejem'empresse d'adopterle moyen derétablir laconfiance mutuelleetd'effacer lestraces d'undésaccord toujoursregrettable entredes pouvoirs issusdelamême origine ettravaillant consciencieusement danslemême but.» La lettre présente d'autantplusd'intérêt queLouis Napoléon profitedecette mince occasion pourrappeler dans quel esprit, selonlui,lesinstitutions doiventfonctionner etquelle estàses yeux l'importance duCorps législatif: « L'esprit denos Institutions etmon sentiment bienconnu pourlaChambre auraientdûnous [...]préserver [de ce malentendu].

Eneffet, aujourd'hui, lesconflits sontpresque impossibles; leslois sont discutées pourelles- mêmes etnon envue dumaintien oudu renversement d'unMinistère.

LorsqueleGouvernement aexprimé sans détour sonintention, lesrésolutions duCorps Législatif sontd'autant pluslibres que,dans lescas ordinaires, ledésaccord nedoit troubler enrien lamarche desaffaires.

» Dès novembre 1854,LouisNapoléon avaitdûserésigner ànommer Mornyàla tête duCorps législatif pouren contrôler lesécarts, carledanger, ille comprenait, pouvaitbienvenir, nondel'opposition, numériquement limitée etdurablement affaiblie,maisdelamajorité elle-même. Cependant, leconcours deMorny, revenu d'uneambassade extraordinaire fortréussie auprèsdutsar, avait, comme bienl'onpense, unprix.

D'abord, biensûr,ilfallut lelaisser mettrel'hôteldeLassay encoupe réglée. On aeu, ilest vrai, desillustrations contemporaines delamême rapacité; dumoins agit-ilavecgoûten inventant unbonapartisme hôtelierquifit,ultérieurement, desémules. Le demi-frère del'empereur selança également dansunjeu personnel etsubtil qui,pour lemoins, anticipait. »

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