Objet
Publié le 07/04/2015
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Objet n.m. (angl. Object; allem. Objekt, Gegenstand, Ding). Ce qui oriente l'existence de l'être humain en tant que sujet désirant.
L'objet comme tel n'apparaît pas dans le monde sensible. Aussi, dans les écrits de S. Freud, le mot Objekt s'entend-il toujours avec un déterminant explicite ou implicite : objet de la pulsion, objet d'amour, objet auquel on s'identifie. En opposition à Objekt, la chose (allem. das Ding) apparaît plutôt comme l'objet absolu, objet perdu d'une satisfaction mythique.
L'OBJET DE LA PULSION
L'objet de la pulsion est «ce en quoi ou par quoi elle peut atteindre son but« (Freud, Pulsions et destin des pulsions, 1915). Il n'est pas lié à elle originairement. Il en est l'élément le plus variable: la pulsion se déplace d'un objet à l'autre au cours de son destin. Il peut servir à la satisfaction de plusieurs pulsions. Il peut toutefois être précocement fixé. L'objet de la pulsion ne saurait donc être confondu avec l'objet d'un besoin: il s'agit d'un fait de langage comme le montre la fixation. La fixation de la pulsion à son objet peut être illustrée par un cas rapporté dans un article de 1927 (Freud, le Fétichisme,
1927). Chez un sujet germanophone, élevé dans sa prime enfance en Grande-Bretagne, la condition nécessaire de son désir sexuel était la présence d'un «Glanz« («brillant« en allemand) sur le nez de la personne désirée. L'analyse montra qu'il fallait entendre en fait « glance (« regard « en anglais) sur le nez fétichisé. Grâce au destin particulier de ce sujet, il se démontre que la fixation s'inscrit en termes non d'image mais bien d'écriture.
L'un des destins de la pulsion isolé par Freud consiste en un retournement de la pulsion sur la personne propre. Il explique ainsi la genèse de l'exhibitionnisme. Il y aurait d'abord un regard dirigé sur un objet étranger (pulsion voyeuriste). Puis l'objet est abandonné et la pulsion se retourne sur une partie du corps propre. Enfin s'introduit «un nouveau sujet auquel on se montre pour être regardé «. Dans sa lecture de Freud, J. Lacan (Séminaire du 13 mai 1964) montre que ce mouvement de retournement est ce qui permet l'apparition du sujet au troisième temps. L'objet de la pulsion est pour Lacan, dans ce cas, le regard lui-même comme présence de ce sujet nouveau. La personne exhibitionniste fait «jouir« l'Autre en y faisant apparaître le regard
mais ne sait pas qu'elle est, elle-même, comme sujet une dénégation de ce regard recherché. Elle se fait voir. Plus généralement, toute pulsion peut se subjectiver et s'écrire sous la forme d'un «se faire...« à quoi l'on peut ajouter la liste des objets pulsionnels : «Se faire... sucer (sein), chier (fèces), voir (regard), entendre (voix).«
L'OBJET D'AMOUR
L'objet d'amour est un habillage de l'objet de la pulsion. Freud reconnaît que le cas de l'amour s'accorde difficilement avec sa description des pulsions:
Freud a toujours soutenu qu'« il n'existe pas un primat génital mais un primat du phallus« (pour les deux sexes). Or, ce phallus n'entre en jeu dans l'amour que par le complexe de castration. La menace de castration, contingente, ne prend son effet structurant qu'après la découverte de la privation réelle de la mère. Jusqu'alors, le manque de la mère n'était repérable que dans les intervalles, «l'entre-dit« de ses propos, et l'enfant se plaisait à s'identifier à cet organe imaginaire, le phallus maternel, véritable objet d'amour. La symbolisation d'un man
que à cet endroit et l'assomption de son insuffisance réelle à le combler sont décisives pour l'issue du complexe d'Œdipe du garçon, pour l'obliger à abandonner ses prétentions sexuelles sur la mère. Cependant, l'une des suites de cet amour oedipien, le phénomène du rabaissement de l'objet sexuel, qui consiste à séparer l'objet idéalisé (du courant tendre de l'amour) de l'objet rabaissé (du courant sensuel), témoigne de la persistance fréquente de la fixation incestueuse à la mère. Certains hommes en viennent, à l'âge de la puberté, à se diviser: «Là où ils aiment, ils ne désirent pas et, là où ils désirent, ils n'aiment pas.«
Cette division entre amour et désir reproduit la différence freudienne entre pulsions d'autoconservation (besoins) et pulsions sexuelles (vraies pulsions). L'amour a partie liée avec le besoin. Tout ce qui perturbe l'homéostasie du moi provoque du déplaisir, est haï. Mais tout objet qui apporte le plaisir, en tant qu'étranger, menace aussi la parfaite tranquillité du moi, déclenche une part de haine. (La division opérée par M. Klein entre bons et mauvais objets est reportée par Lacan sur le sujet lui-même, causée par l'objet [—> article suivant].)
Lié au plaisir, c'est-à-dire à la moindre tension compatible avec la vie, l'amour n'est guère armé pour investir les objets. Aussi bien doit-il être soutenu par les vraies pulsions, les pulsions sexuelles partielles. L'objet d'amour devient ainsi l'habillage de l'objet de la pulsion. Pour sa mise en acte et pour le choix d'objet, l'amour est tributaire du discours social: les formes de l'amour varient selon les temps et les lieux.
L'amour connaît aussi un versant passionnel dû à ce qu'il engage le «moi total «, l'unité du moi. Freud avait noté qu'il n'existait pas «dès le début, dans l'individu, une unité comparable au moi «... «Une nouvelle action psy‑
chique doit donc venir s'ajouter à l'autoérotisme pour donner forme au narcissisme« (Pour introduire le narcissisme, 1914). Ce fut l'une des toutes premières contributions de Lacan à la psychanalyse que d'avoir montré que cette nouvelle action psychique était la reconnaissance pour le nourrisson, encore incoordonné dans sa motricité, de la forme unifiée de son corps dans sa propre image dans le miroir pourvu qu'elle soit reconnue par l'Autre. Que l'unité du moi dépende d'une image (moi idéal) reconnue par la parole de l'Autre explique, premièrement, la tension agressive envers cette image rivale autant que son pouvoir de fascination, caractères propres à toute relation duelle, deuxièmement que le moi ne se voit aimable qu'à la condition de se régler sur ce signe de reconnaissance (idéal du moi). L'investissement du moi idéal n'est cependant pas total. Une partie de la libido reste attachée au corps propre. Un noyau autoérotique manque à l'image aimée et c'est précisément pour ce manque que l'objet est aimé. C'est pour autant qu'elle n'a pas le phallus qu'une femme peut le devenir pour un homme.
On a vu comment Lacan situait l'idéal du moi, fonction symbolique, dans ce trait formel d'assentiment de l'Autre. Ce trait tire sa puissance de l'état de détresse du nourrisson face à la toute-puissance de l'Autre. Lacan rapproche ainsi l'idéal du moi de ce trait unique (allem. Einziger Zug) que le moi, selon Freud, emprunte à l'objet d'amour pour s'identifier à lui par un symptôme. Selon ce processus, «l'identification prend la place du choix d'objet, le choix d'objet régresse jusqu'à l'identification« (Freud, Psychologie des foules et analyse du moi, 1921). En effet, pour Freud, l'identification est la forme la plus précoce et la plus originaire du lien affectif à une autre personne. Une pre
mière identification se ferait d'abord au père. Elle met en place l'idéal du moi et rend ainsi possible l'énamoration : dans l'état amoureux, «l'objet se met à la place de l'idéal du moi «. Le même mécanisme explique l'hypnose ainsi que le phénomène de la foule et de sa soumission au meneur: «Une foule primaire (non organisée) est une somme d'individus qui ont mis un seul et même objet à la place de leur idéal du moi et se sont en conséquence, dans leur moi, identifiés les uns aux autres.«
«Dans le cas de l'identification, l'objet s'est perdu ou on y a renoncé... « (Freud, op. cit.). L'identification réduit l'objet à un trait unique et se fait donc au prix d'une perte. Selon le principe de plaisir, l'appareil psychique se satisferait de représentations agréables, mais le principe de réalité l'oblige à formuler un jugement non seulement sur la qualité de l'objet, mais sur sa présence réelle. «La fin première et immédiate de l'épreuve de réalité n'est donc pas de trouver dans la perception réelle un objet correspondant au représenté mais de le retrouver, de se convaincre qu'il est encore présent« (Freud, la Dénégation, 1925). Or, du fait de l'accès au langage, l'objet est définitivement perdu, en même temps qu'il est constitué. «C'est cet objet, das Ding, en tant qu'autre absolu du sujet qu'il s'agit de retrouver. On le retrouve tout au plus comme regret. Ce n'est pas lui qu'on retrouve mais ses coordonnées de plaisir« (Lacan, Séminaire du 9 décembre 1959). Il y a donc, déjà distingué par Lacan dans les textes freudiens, un objet plus fondamental, das Ding, la chose comme opposée aux objets substitutifs, qui, elle, est perdue d'entrée de jeu. (—s article suivant.) C'est le souverain bien, la « mère « interdite par les lois mêmes qui rendent la parole possible. On peut ainsi, par exemple, comprendre le mécanisme de la mélan‑
colie et son potentiel suicidaire: identification non plus à un trait unique de l'objet (au prix de la perte de cet objet) mais identification « réelle «, sans médiation, à la chose elle-même, rejetée du monde du langage.
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