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trait maire

Publié le 07/04/2015

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trait maire (allem. Einziger Zug). Concept introduit par J. Lacan, à par­tir de S. Freud, pour désigner le signi­fiant sous sa forme élémentaire et pour rendre compte de l'identifica­tion symbolique du sujet.

Selon Freud, lorsque l'objet est perdu, l'investissement qui se portait sur lui est remplacé par une identifica­tion qui est «partielle, extrêmement limitée et [qui] n'emprunte qu'un trait (allem. Einziger Zug) à la personne objet« (Psychologie collective et analyse du moi, 1921). A partir de cette notion freu­dienne d'identification à un trait unique, et en s'appuyant sur la linguis­tique de F. de Saussure, Lacan élabore le concept de trait unaire.

Selon Saussure, la langue est consti­tuée d'éléments discrets, d'unités qui ne valent que par leur différence. C'est pourquoi Lacan parle de «ce un auquel se réduit en dernière analyse la succes­sion des éléments signifiants, le fait qu'ils soient distincts et qu'ils se suc­cèdent«. Le trait unaire est le signifiant en tant qu'il est une unité et en tant que son inscription réalise une trace, une marque. Quant à sa fonction, elle est indiquée par le suffixe « -aire « puisque celui-ci évoque d'une part le comptage (il sert à former des noms de valeur numérale) et de l'autre la différence (les linguistes parlent de «traits distinctifs binaires «, «tertiaires «).

Pour expliquer comment le trait unaire entre en jeu, Lacan utilise l'exemple suivant: il a observé au musée de Saint-Germain-en-Laye une côte d'animal préhistorique couverte

d'une série de traits dont il suppose qu'ils ont été tracés par un chasseur et que chacun représente une bête tuée. «Le premier signifiant, c'est la coche, par où il est marqué par exemple que le sujet a tué une bête, moyennant quoi il ne s'embrouillera pas dans sa mémoire quand il en aura tué dix autres. Il n'aura pas à se souvenir de laquelle est laquelle, et c'est à partir de ce trait unaire qu'il les comptera« (séminaire les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1964).

Que chaque bête, quelles que soient ses particularités, soit comptée comme une unité signifie que le trait unaire introduit un registre qui est au-delà de l'apparence sensible. Dans ce registre qui est celui du symbolique, la diffé­rence et l'identité ne se fondent plus sur l'apparence, c'est-à-dire sur l'imagi­naire. L'identité des traits tient à ce qu'ils sont lus comme des uns, quelles que soient les irrégularités de leur tracé. Quant à la différence, elle est introduite par la sériation des traits : les uns sont différents parce qu'ils n'occupent pas la même place. Cette différence du signi­fiant à lui-même lorsqu'il se répète est considérée par Lacan comme une de ses propriétés fondamentales. Elle fait que la répétition signifiante (le concept freudien de répétition) n'est pas un éternel retour.

Le trait unaire, parce qu'il permet le comptage, est le support de l'identifica­tion du sujet. L'enfant en effet ne compte pas seulement des objets, il se compte lui-même et très tôt. «Le sujet, lorsqu'il opère avec le langage, se compte, c'est sa position primitive.« Il est impliqué «de façon radicalement constituante « dans une activité incons­ciente de comptage (séminaire l'Identi­fication). Ainsi, si le jeune enfant s'inclut au nombre de ses frères en disant par exemple : «J'ai trois frères : Paul, Ernest et moi «, c'est parce qu'« avant toute formation d'un sujet, d'un sujet qui pense, qui s'y situe, ça compte, c'est

compté et dans le compté le comptant y est déjà « (les Quatre Concepts [...]). Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il se reconnaît comme comptant et qu'il peut, dès lors, se décompter. Ces opérations, et particulièrement sa capacité à se décompter, font que le sujet s'identifie comme un.

On peut citer comme exemple des rapports entre comptage et identifica­tion un passage des Histoires du bon Dieu de R. M. Rilke. Une femme termine ainsi la lettre adressée au narrateur: «Moi et encore cinq enfants, c'est-à-dire parce que je suis comptée avec. «Le narrateur lui répond: «Moi qui ne suis aussi un que parce que je suis compté avec.«

Le sujet n'est donc pas un au sens où le cercle ou bien la sphère symbolisent l'unification, mais un comme le «vul­gaire bâton « qu'est le trait. L'unifica­tion, du point de vue psychanalytique, est un fantasme, et l'identification n'a rien à faire avec elle. Il est à noter que l'élaboration du trait unaire est conco­mitante du travail de Lacan sur des sur­faces aux propriétés topologiques différentes de celles de la sphère : tore, cross-cap, etc. (le Séminaire IX, 1961-62, «l'Identification«).

L'identification au trait unaire est l'identification majeure. Freud, on l'a vu, montre que le sujet s'identifie à un trait unique de l'objet perdu. Lacan ajoute que, si l'objet est réduit à un trait, cela est dû à l'intervention du signifiant. Le trait unaire n'est donc pas seulement ce qui subsiste de l'objet, il est aussi ce qui l'a «effacé « (à cet égard, il est l'incarnation du signifiant phal­lique, il en est d'ailleurs aussi l'image). L'identification au trait unaire, qui est donc corrélative de la castration et de la mise en place du fantasme, constitue la colonne vertébrale du sujet.

Identifié au trait unaire, le sujet est un un, identique en cela à tous ceux qui sont passés par la castration, inclus avec eux dans le même ensemble. Mais

il a aussi acquis la capacité (dont en règle il ne se prive pas d'user) de se distinguer des autres en faisant valoir sa singularité par un seul trait, un trait quelconque. C'est le «narcissisme de la petite différence« décrit par Freud.

 

Le trait unaire, repère symbolique, soutient l'identification imaginaire. L'image du corps est certes donnée à l'enfant dans l'expérience du miroir mais, pour qu'il puisse se l'approprier, l'intérioriser, il faut que le trait unaire entre en jeu. Cela nécessite qu'il puisse être saisi dans le champ de l'Autre. Lacan donne de cette saisie une repré­sentation imagée en évoquant le moment où l'enfant qui se regarde dans le miroir se retourne vers l'adulte à la recherche d'un signe qui viendra authentifier son image. Ce signe donné par l'adulte fonctionne comme trait unaire. C'est à partir de lui que se constituera l'idéal* du moi.

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