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« Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad

Publié le 08/09/2012

Extrait du document

conrad

ls mouraient à petit feu – c’était bien clair. Ce n’étaient point des ennemis, ce n’étaient point des criminels, ce n’étaient plus rien de ce monde-ci désormais – rien que des ombres noires de maladie et de famine, gisant confusément dans la pénombre verdâtre. Amenés de tous les recoins de la côte, dans toute les formes légales de contrats temporaires, perdus dans un milieu hostile, nourris d’aliments inconnus, ils dépérissaient, devenaient inutiles, et on leur permettait alors de se traîner à l’écart et de se reposer. Ces silhouettes moribondes étaient libres comme l’air, et presque autant insubstantielles… Je commençais à distinguer la lueur des yeux sous les arbres. Puis, abaissant mon regard, je vis près de ma main un visage. Le squelette noir gisait de tout son long, une épaule contre l’arbre, et les paupières s’ouvrirent doucement, laissant monter jusqu'à moi le regard des yeux enfoncés, immenses et atones, une sorte de bref éclat blanc et aveugle dans la profondeur des orbites, qui s’éteignit doucement. L’homme semblait jeune – un adolescent presque – mais, vous savez, chez eux c’est difficile à dire. Je ne trouvai rien d’autre à faire que de lui tendre un des biscuits de mer que j’avais en poche, cadeau de mon bon Suédois. Les doigts se refermèrent dessus doucement et le tinrent – il n’y eut pas d’autre mouvement ni d’autre regard. Il s’était noué un brin de laine blanc autour du cou – pourquoi ? Où se l’était-il procuré ? Etait-ce un insigne – un ornement –une amulette – un acte propitiatoire ? Avait-il seulement une quelconque signification ? Il faisait un effet surprenant autour de son cou noir, ce bout de fil blanc venu d’au-delà des mers.

conrad

« noir ». Le noir fait écho aux ténèbres et est d'un bout à l'autre la dominante de ce livre.

 Dans ce sens, on peut dire qu' « Au cœur des ténèbres » est une nouvellesymbolique. Les ténèbres représentent bien plus que la noirceur ébène des indigènes.

 Elle représente leurs mœurs barbares, la jungle insondable, le fleuve aux eaux sombres quedoit remonter le voyageur, les meurtrières maladies tropicales, les exactions des colons. Au niveau des personnages, le narrateur c'est Marlow. Marlow–Conrad, tout au long du livre on sent une identification.

 C'est sa propre expérience en Afrique que Conrad nous retrace. Marlow est « frappé d'horreur », paralysé, fuyant.

 Ce n'est que le début de la nouvelle, le début de la descente aux enfers. L'Africain n'est pas considéré comme une personne c'est un corps muet. Au niveau de la temporalité, tout se passe en « flash-back ».

 Marlow est sur le pont d'un navire sur la Tamise et raconte son histoire passée en Afrique. Dans cet extrait donc, pas la moindre compassion pour les victimes, l'indigène est un corps muet, désincarné, affamé, déchiqueté ce n'est jamais une bouche, jamaisune histoire, la seule histoire qui soit est celle de ce délire propre à la compagnie, ce délire qui consiste à légitimer par l'œuvre de la civilisation et à agir selon lamaxime de la non existence des Africains asservis au nom du progrès et de exploitation minutieuse des ressources. Au Congo, Joseph Conrad, découvre la folie rapace et sans pitié, la folie de l'impérialisme européen, fondamentalement peu différent de celle dont il avait vu souffrirson père lors de l'exil en Russie. Cette simple description interroge sur le sens et la valeur de cette réalité politico-sociale.

 Conrad concilie ici la simplicité de l'histoire racontée et la complexité deson écho au niveau du sens.

 La force de ce passage réside en son apparent détachement et contient par là une violente charge contre le colonialisme européen duXIXe siècle. Ce premier extrait où des africains sont réduits à l'esclavage, abandonnés de tout soin, agonisants dans une description apocalyptique est indigne de toute sociétécivilisée. Qu'est-ce qui a pu détruire toute moralité chez les conquérants ? Il faut rappeler l'abondante littérature européenne du XIXe siècle justifiant l'anéantissement de peuples entiers au nom du « progrès » et de la « civilisation ». Donc, dans ce contexte-ci, la civilisation n'a pas protégé du mal.

  Pour comprendre l'attitude des colons, on peut également faire référence à la théorie de « la banalité » du mal de Hannah Arendt, développée dans le contexte duprocès du nazi Adolf Eichmann. La philosophe explique la monstruosité de certains actes par l'absence de pensée. H.

Arendt décrivait A.

Eichmann comme un fonctionnaire de la solution finale(extermination des Juifs), incapable de distinguer le bien du mal. Joseph Conrad nous décrit la situation au Congo comme le déni de la civilisation de l'Occident.

 Pour Conrad, la civilisation semble se conçoit essentiellement en lafidélité aux principes et en la retenue face aux tentations. Sans le respect de ces qualités morales, il n'y a point de civilisation.

 Cette dernière serait l'apanage de l'Europe qui veut même l'exporter hors frontière.

 Or une fois,dans le « cœur des ténèbres », les « émissaires de la lumières trahissent la civilisation » et révèlent la sauvagerie fondamentale de l'homme, leur cruauté, leuranimalité.

 Les colons sont supposés mettre en valeur la colonie, la pacifier.

 Or ceux-ci l'exploitent de manière abusive et « exterminent les brutes » au contact deces « ténèbres tropiques ». Deuxième extrait : la mort de Kurtz « Jamais auparavant je n'avais vu quelque chose de comparable au changement qui envahit ses traits , et j'espère bien ne jamais rien revoir de pareil.

 Oh, je n'étaispas touché.

 J'étais fasciné.

 C'était comme si un voile s'était déchiré.

 Je vis sur ce visage d'ivoire se peindre l'orgueil sombre, le pouvoir implacable, la terreur abjecte– le désespoir intense et absolu.

 Revivait-il sa vie dans tous ses détails de désir, de tentation et d'abandon pendant cet instant suprême de connaissance totale ?  Ils'écria dans un murmure devant quelque image quelque vision – il s'écria deux fois, en une exclamation qui n'était qu'un souffle : “L'horreur ! L'horreur !” »p 189 Moment fort par excellence de cette nouvelle.

 En-effet, « Au cœur des ténèbres » est dominé par un personnage presque totalement absent : Kurtz.

 Ce personnageapparaît « en creux » dans toute l'œuvre, un mystère.

 C'est l'aventurier qui se voue au mal dans les profondeurs du Congo, et qui domine tout un peuple d'esclaves parla seule magie de sa voix.

 La description de sa mort est presque magique.

 Une fois de plus, elle est relatée par Marlow, qui parle à la première personne.

 Il semble àla fois effrayé et subjugué.

 Le choix des qualificatifs est fort, teinté d'un jugement de valeurs « rien de pareil », « fasciné », « terreur abjecte ». Ils expriment de l'émotion au bord du soutenable pour Kurtz : « terreur abjecte », « désespoir absolu ».

 La puissance d'évocation de ce paragraphe est énorme.

 Dansces quelques moments de fin de vie, Kurtz revit sa vie, cette descente aux enfers. Au niveau artistique, Joseph Conrad s'approprie magistralement le mythe des enfers antiques pour rendre compte du puissant contraste entre les paradisiaqueslumières européennes et les infernales ténèbres africaines de sorte que le voyage de Marlow s'appréhende aisément comme une véritable descente aux enfers queKurtz a traversés avant lui. Le tableau des correspondances entre les enfers d'Hadès et africaines. |Enfers Hadésiens |Enfers africains ||Les Parques |Les tricoteuses de laine noire au siège européen de la || |compagnie de Marlow ||Pluton |Le directeur Général de la compagnie ||Les trois juges des Enfers |Le médecin mesureur de cranes de la compagnie ||Tartare |L'Afrique ||Les champs Elysées |L'Europe ||Les fleuves Styx, Acheron, Cocyte et Phlégéton |L'océan et le fleuve Congo ||Tantale, les Danaïdes, etc.

|Les indigènes en général et quelques Blancs comme Kurtz et || |Fresleven ||La barque de Caron |Le vapeur de Marlow |. »

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