BARBUSSE : Le Feu
Publié le 04/04/2013
Extrait du document

Parmi les rares grands romans français qui ont dépeint les tranchées sans fard , on doit citer Les Croix de Bois de Dorgelès et deux des romans inclus par Jules Romains dans sa fresque Les Hommes de bonne volonté : Prélude à Verdun et Verdun. Il ne faut pas oublier non plus que les auteurs allemands ont, eux aussi, décrit la guerre. Un peu à la manière de Barbusse, Erich Maria Remarque en a laissé une description pleine de compassion: A l'Ouest rien de nouveau est devenu le classique des livres de guerre.

«
Les gros mots
-Dis donc, sans t'commander.
..
Y a
quéqu 'chose que }'voudrais te d'mander.
Voilà la chose: si tu fais parler les troufions
dans ton livre, est-ce que
tu lesf'ras parler
comme ils parlent , ou bien est-ce que tu ar
rangerais ça, en lousdoc
? C'est rapport
aux gros mots qu'on
dit.
Car enfin, pas, on
a beau être très camarades et sans qu'on
s'engueule pour
ça, tu n'entendras jamais
deux poilus l'ouvrir pendant une minute
sans
qu'i's disent et qu'i's répètent des
choses que les imprimeurs n'a iment pas
besef imprimer.(.
..
)
- Je mettrai les gros mots à leur place, mon
petit père, parce que c'est la vérité.
- Mais dis-moi, si
tu !'mets , est-ce que des
types
de ton bord, sans s'occuper de lavé
rité, ne diront pas que t'es un cochon ?
-C'es t probable , mais je le ferai tout de
même sans m'occuper
de ces types.
Les profiteurs de guerre
-J'm'appelle Charlot, gazouille alors l 'en
fant.
Chez moi c'est à côté.
On a des soldats
aussi.
On en a toujours, nous.
On leur z 'y
vend tout ce qu 'i'veulent.
Seulement, voilà,
des fois, i
'.s sont saouls.
- Dis donc, petit, viens
un peu ic i, dit Co co n,
en prenant le bambin entre ses genoux.
Ecoute bien.
Ton papa i 'dit, n'est-ce pas :
«Pourvu que la guerre continue!» hé ?
-Pour sûr, dit l'enfant en hochant la tête ,
parce qu'on devient riche.
Il a dit qu'à !afin
d'mai
on aura gagné cinquante mille francs.
- Cinquante mille francs ! C'est pas vrai !
-
Si , si! trépigne l'enfant.
Il dit ça avec
maman .
Papa voudrait qu'ça soit toujours
comme
ça.
Maman, des fois, elle ne sait pas,
parce que mon frère Adolphe est au front.
Mais on
va le faire mettre à l'arrière et,
comme
ça, la guer re pourra continuer.
La reconnaissance des morts
-Regarde z ! Il est récent, celui-ci.
..
Au milieu
de la plaine, au fond de l'ai r plu
vieux et glacé, au milieu
de ce lendemain blême
d'une orgie
de massacre, c'est une
tête plantée par terre, une tête exsangue et
humide , ave c une lourde barbe.
Un des nôtres ; le casque est à côté.
Les
paupières enflées laissent voir un peu
de la
morne faïence de ses yeux et une lèv re luit
comme une limace dans
la barbe obscur e.
Sans doute il est tombé dans un trou d'obus
qu'un autre obus a co mblé , l'enterrant
jusqu'au cou comme L'Ailemand à tête de
chat du Cabaret Rouge.
- Je ne le reconnais pas, dit Joseph, qui
s'avance très lentement et s'exprime avec
peine.
- Moi
je le reconnais , répond Volpatte.
- C'barbu-là
? fait la voix blanche de
Joseph .
-
/'n ' a pas de barbe.
Tu vas voir.
Ac croupi, Va/patte passe l'extrémité de sa
canne sous le menton du cadavre et détache
un e sorte de pavé
de boue où la tête s'en
châssait et qui semblait une barbe.
Puis il
ramasse le casque du mort, l 'en coiffe, et lui
tient un instant devant les yeux les deux an
neaux
de ses fameux
ciseaux,
de manière
à imiter les lunettes.
- Ah ! nous crions
nous alors,
c'est ·
Cocon!
Flammarion, 1917
« Cette tombée siffiante
d 'ob us martèle et
écrase à coups de
foudre l'extrémité
béant e du
poste.»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Comment écrire sur la guerre? Peut-on
raconter tout ce qu'on a vu? Le même
problème
s'est posé pour les survivants des
camps de concentration.
L'horreur exige
généralement le silen ce et, pour le rompre,
il faut un sentiment également puissant qui
est la dénonciation de l'horreur, et de ceux
notamment qui en sont responsables.
Sont-ce
les soldats allemands ? Les marchands de
canons ? Henri Barbusse
ne répond pas à
toutes ces questions et, s'il désigne des
profiteur
s, ce ne sont que des comparses
médio cres.
L
'auteur esquive les grandes
que stion s et se place
d'un point de vue
humaniste.
Pourtant le narrateur exprime un
point de vue plus socia l, plus politique.
Liebknecht, la grande figure
int ernationaliste, n'est mentionnée qu
'à
voix basse, comme en cachette, comme il
s ied sans doute à un
soldat du front risquant
d'être fusillé pour trahison .
Comme beaucoup d'écrivains sensibles aux
souffrances du peuple, Henri Barbusse a
apporté son soutien moral
au nouveau
régime soviétique.
Une fois encore, son
humanisme lui a fait fermer les yeux devant
le système autoritaire qui se mettait en
place.
1 R oge r- Vio llet 2 , 3 Lithographi es de B ert ho ld H ahn I éd.
Les Œu vrcs re pr és e ntatives.
P aris.
19 30 / B.N .
BARBUSSE02.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- FEU, JOURNAL D’UNE ESCOUADE (Le) de BARBussE (Résumé de l’ouvrage)
- FEU (Le) d’Henri Barbusse (résumé)
- Henri Barbusse, Le Feu
- Le Feu (1916) BARBUSSE
- Barbusse Le feu