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DUVIGNAUD JEAN, Le don du rien, « L'os et la chair »

Publié le 13/08/2012

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C’est comme si la mentalité européenne fuyait les conséquences de la vision machiniste, et qu’on cherchait à maintenir une zone réservée où puisse survivre la vision abolie, à moitié effacée, du cosmos sauvage. « Qu’on identifie l’univers à une machine qui mette en fuite les diverses forces magiques est une chose, que l’Homme dans sa vie psychique et ses mentalités communes accepte cette image de l’univers, en est une autre «. Cette vision découle clairement de l’état de la science et de la technique à cette époque, d’ailleurs le foisonnement des machines s’étendit à l’art militaire, au théâtre, et à la torture.  Puis à mesure du temps, la « cérémonie « théâtrale détourne la parole errante vers le spectacle et la mise en scène des opéras ballets, lors la fête maintient par l’artifice une expérience inaccessible, expérience des groupes humains du face à face avec la nature, marquée par l’éclatement de la force à travers la matière, autrement dit par des hiérophanies qui symbolisent ce face à face. Le symbole est donc un acte social en ce qu’il est une forme de l’expérience. Il s’agit toujours de faire du dur avec du mou, de l’impérissable avec du périssable.  Il y a donc deux visions du cosmos qui s’affrontent : la sauvage – plus large que celle dont nous avons hérité et qui nous contraint à abandonner notre ethnocentrisme, et l’urbaine. Ce conflit est une activité existentielle, et la fête serait ce moment où les groupes retrouvent « dans une convulsion étrangère à tout concept, l’affrontement de la nature et de la société « l

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« « alors que la réalité est faîte de fissures, de coupures et d'immenses trous d'ombre ».Avec le changement ou la disparition d'une société (passage d'une génération à une autre, guerre, épidémie, déportation etc) il y a déperdition de souvenir, et ce quireste subsiste à l'état de fantôme ou conservé par de petits groupes.

L'exemple de Duvignaud est celui de la déportation des esclaves africains en Amérique : détachésde leur base, ils n'ont pas reconstitué leur système mythique à travers le candomblé et le vaudou mais ont emprunté aux religions locales, ce qui a engendré ladestruction d'immenses pans de mémoire.

Pourtant c'est ainsi qu'ils ont pu ‘sur-exister' car « l'oubli seul provoque l'innovation, parce que les structures sociales, plusfortes que le souvenir appellent à reconstituer des modèles qui rendent aux Hommes le sentiment d'une totalité.

»On observe une cassure également entre le monde hellénique archaïque et la cité grecque, entre le monde romain et le Moyen Âge, le Moyen âge et les tempsmodernes.

Les survivances de l'univers mental ancien planent encore dans les esprits nouveaux et cela engendre de terribles tensions et conflits souventinsurmontables, entre l'ancien et le nouveau (d'où l'apparition de la tragédie selon Duvignaud).

Le passé ne fait pas que donner des modèles ou des solutions à des« nœuds psychiques ou sociaux », il est en tension avec le présent et l'avenir car il y a un constant travail de réinterprétation, et de « bricolage ».

Durant les périodesde rupture, qui engendrent l'oubli plus que la matérialité, le sacré et l'imaginaire sont l'objet d'une projection, d'une reconstruction utopique.C'est l'épigraphie et l'archéologie qui nous ont permis de voir là où « les anciens historiens voyaient la continuité d'une évolution calme », d'immenses pans de vides.Nous sommes la seule civilisation à avoir pratiqué l'archéologie pour trouver nos origines « en les inventant » précise le sociologue.

Il va même jusqu'à fairel'hypothèse que « la mémoire collective est probablement elle-même un mythe, inventé pour reconstituer une évolution continue dans la discontinuité qui préside à ladissémination des sociétés dans la durée.

»La vie collective comprend aussi bien dégénérescence que reproduction des institutions, et dynamisme des relations humaines, c'est pour cette raison que la mémoireest une question de survie de la société et que l'on observe tant de rites qui vont dans ce sens, étant un moyen des anciens pour mettre les jeunes sur les rails de laculture.

En raison de ce dynamisme on ne peut donc faire du symbole « l'instrument d'une sécurisante conservation de la mémoire collective ». En revanche ce qui est étonnant, c'est de remarquer que la mémoire collective reste attachée à certains lieux malgré les changements de société.

C'est que l'énergie dulieu, celle de la matière, autrement dit le mana, se trouve à chaque fois investi mais différemment par chaque religion.

Ce terme tel que le comprend Duvignaud n'apas toujours été pensé ainsi.Initialement, Mauss emprunte le terme à Codrington qui étudiait les mélanésiens, il le définit de cette manière : « la notion de mana, comme la notion de sacré, n'esten dernière analyse, que l'espèce de catégorie de la pensée collective qui fonde ses jugements, qui impose un classement des choses, sépare les unes, unit les autres,établit des lignes d'influences ou des limites d'isolement ».

Il subit là l'influence durkheimienne à travers la notion de conscience collective, qui est-elle-même unmélange du positivisme de Comte (il s'agit probablement d'un rapport à la loi des 3 états en ce que la société est pensée comme fondée sur une opération mentale), etdes catégories kantiennes (qui sont des concepts purs de l'entendement permettant de comprendre quelque chose dans le divers de l'intuition et de l'expérience,autrement dit qui sont les conditions de possibilité de la perception du monde).

Du fait du holisme de Durkheim, l'immanence des consciences et le dynamisme deséchanges internes n'est pas pensé, son idée est plutôt celle d'une transcendance qui fixe ses règles à la société, celle-ci étant extérieure aux individus.

Cettetranscendance qui fait pression, on l'a ramenée à la sublimation sociale d'un principe rationnel : une catégorie de l'entendement collectif, à l'image de la consciencetranscendantale.

Ainsi fut donc pensé le mana.Pourtant, Mauss pressent que celui-ci n'est pas seulement une projection de la raison dans les choses.

En effet, il le dit abstrait et concret, qualité et état.

Duvignaudaffirme que c'est son ethnocentrisme qui le garde encore prisonnier de cette idée, que le mana est en fait « une force indépendante concentrée dans un lieu, un corps,un fragment d'espace et la croyance des hommes enfoncée dans une durée qui altère tout ce qui se fige.

C'est une énergie latente et immanente à la matière [celle-cin'est donc pas inerte comme le pensent les cartésiens et les galiléens] qui éclate en hiérophanies dont les sens varient ».

Les exemples cités sont ceux de Chebika « oùchaque civilisation a prolongé avec ses catégories la force de l'énergie de ce lieu », et d'un endroit au Brésil où se trouve un sanctuaire actif près d'une chapelleabandonnée recouvrant elle-même un sanctuaire indien.

Les lieux semblent chargés de mana, le sociologue fait l'hypothèse qu'il en est de même pour les croix.Afin de détruire le caractère anthropomorphique du symbole, il s'attache à celui de l'os et de la chair.

Il rappelle que lors de la fondation du muséum d'histoirenaturelle, on sépara les disciplines et musées en « parties molles » - qui correspondent au Musée de l'Homme, aux choses périssables, la culture, l'éthique, la chair, lapensée, l'action, et en « parties dures » - auxquelles correspondent le Muséum, les os, les dinosaures et hominiens reconstitués.

On peut remarquer que nous disposonstoujours de ces distinctions à l'heure actuelle : on divise les disciplines en sciences dures ou sciences exactes, et sciences molles ou sciences humaines.Si Duvignaud en vient à parler du passage du Paléolithique au Néolithique comme période cruciale marquée par le culte des morts, c'est que ces pratiques, qu'il fautinterroger, marquent le souci du pourrissement de la chair.

Ainsi les groupes confiaient les corps aux acides, aux vers, aux oiseaux, au feu, au sable afin de récupérerla partie dure.

Nous avons déjà cité quelques exemples en introduction, nous y ajoutons l'anthropophagie Sepik ou Tupinamba, ou sa spiritualisation chrétienne àtravers l'hostie symbolisant le corps du Christ.

Duvignaud affirme que ce processus de remplacement des parties molles par les parties dures afin de les évoquer est lepremier symbolisme, la première métaphore, et qu'on « demande [en fait] à la matière de suppléer à ce que la mort dissout ».

Cependant, un problème se pose : lesociologue semble sous-entendre que ce sont les os seuls qui représentent la matière, or cela est étrange et nécessite des explications de ne pas considérer la chaircomme de la matière.

Traditionnellement, le corps entier est considéré comme matière, et si la chair ne l'est pas, qu'est-elle ? Nous n'avons ni définition précise de« matière », ni précisions à ce sujet.Dans l'acception du terme mana que nous avons évoquée plus haut, où l'on fait de cette énergie dont sont chargés les symboles une catégorie de l'esprit, il semble quel'on croit à l'image d'une nature inerte suivant en cela les physiques de Descartes et Galilée dont nous avons déjà parlé.

Cela exclut tout imprévisibilité de la matière,lui faisant perdre son sens puisqu'elle n'est plus alors que le contraire de l'esprit.

Cette vision est issue des conceptions mécanistes du XVIIème siècle et elle a infuséjusque dans la symbologie et la sémiologie (donc des auteurs comme Saussure) ou les opérations mentales et le jeu des catégories animent et informent un universneutre.Certes cette vision a fait progresser la technologie européenne et a servi aux philosophes du XVIIIème siècle pour expliquer l'action sur la nature, mais elle n'est pluscelle des géomètres et physiciens modernes dont la conception est très proche de celle des « sauvages » qui font du cosmos un monde chiffonné -image dont nousavons déjà précisé le sens, où « temps et espace sont fonction du lieu et de la force qu'il contient »Par ailleurs c'est dans ce sens que se développent notre vie psychique, au moins partiellement, tout comme la créativité artistique.

Weber se serait donc précipité enparlant de désacralisation du monde avec l'économie et la technologie puisqu'en mêlant l'idée aristotélicienne d'une matière perpétuellement infinie avec le monismeénergétique d'Heisenberg, le symbole conserve sa puissance en prolongeant la physique à l'égard de cette énergie disséminée.

Ainsi la nymphe correspond aujaillissement des eaux, le menhir à la force de la terre ou au battement du vent dans la plaine, la croix sans doute à une puissance dans le sol, les os à la palpitation dela chair.Sur le même modèle, la fête serait une « mise à l'épreuve des communautés par la matière », comme le passage de la chair à l'os.

Elle serait une « tentative pourachever avec des formes humaines une énergie inachevée ».

Cette assertion nous paraît obscure, en effet quelle est la matière mettant à l'épreuve les communautésdans la fête ? Et comment la fête achève-t-elle quoi que ce soit alors qu'elle semble au contraire subvertir et replonger dans l'indétermination ? Peut-être des réponsessont-elles données dans les autres chapitres de l'ouvrage bien qu'il n'y en ait point ici. C'est la parole errante qui prolonge cette confrontation des hommes et des hiérophanies en s'emparant des figurations vagues que sont les symboles.

Elle fut souventorale.

La distinction des Beaux Arts nous empêche d'en saisir l'importance car elle n'est pas considérée comme culture alors que c'est sans doute cette parole errantequi fait, plus que tout autre, chose la substance des rapports humains.

Nous avons comme exemple les aventures d'Ulysse qui a d'ailleurs un homologue enGilgamesh.

Ces aventures nous ramènent au nomadisme et les diverses péripéties renvoient à des hiérophanies : des obstacles, des dangers, des forces incontrôlées, etelles furent d'abord, avant d'être fixées et considérés comme littérature, des récits oraux.

Cette parole constitue « l'infrastructure ou le tissu matriciel des arts », et sansdoute aussi la trame des rêves et des fantasmes.A côté de cet espace angoissant, indéfini, la ville est un endroit protégé, structuré comme un discours, un système mythique.

Pourtant elle « compose ses mythes avec. »

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