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Farce de Maître Pierre Pathelin (la) (analyse détaillée)

Publié le 23/10/2018

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Farce de Maître Pierre Pathelin (la). Farce anonyme en vers composée dans la seconde moitié du xve siècle, créée entre 1456 et 1469, et publiée à Paris chez Pierre Levet en 1489.
C'est chronologiquement l'une des premières farces, et sans doute le chef-d'œuvre du genre, constitué de pièces dramatiques courtes, essentiellement comiques, exploitant tous les moyens pour faire rire le public, frappant par leur simplicité et leur verdeur, comportant peu de personnages, tirés soit de la réalité quotidienne, soit de sources narratives : récits oraux, exempla, contes, fabliaux, Facetiae du Pogge. La Farce de Maître Pierre Pathelin est, plus précisément, une pièce atypique, sans morale explicite, trois fois plus longue que les autres farces, et d'une telle maîtrise que, dès la fin du xve siècle, on l'a appelée « comédie » et que Charles Estienne et Étienne Pasquier la préféraient à « toutes les comédies grecques, latines et italiennes ».
L'avocat Pathelin et sa femme Guillemette sont dans la misère ; ils ont besoin de drap ; Pathelin promet d’en rapporter (I). Il réussit à s’en procurer auprès du drapier Guillaume dont il endort la méfiance en le flattant et en l'invitant à manger de l'oie chez lui (II). Il se réjouit de son succès avec sa femme (III). Le marchand vient chez Pathelin chercher son argent et manger l'oie promise (IV). Pathelin feint la maladie, il délire en toute sorte de langues, injuriant et ridiculisant le drapier qui doit s'en retourner tout penaud (V). Guillaume rencontre alors son berger, Thibaud, qu'il assigne devant le juge pour lui avoir volé bon nombre de ses moutons (VI). Thibaud s'assure les services de Pathelin qui lui recommande de répondre « bée » à toutes les questions (VII). Grâce à ce stratagème qui le fait passer pour fou, Il est acquitté, d’autant plus que le drapier exaspère le juge en mêlant constamment les deux affaires, celle du drap subtilisé par Pathelin et celle des moutons tués par Thibaud (VIII). Guillaume, complètement désemparé, est l’objet des moqueries de Pathelin (IX) à qui le berger réussit à ne rien payer, se bornant à répondre « bée » à toutes ses demandes d’honoraires (X),
 
L'auteur a construit son œuvre sur un seul thème, que traduit le proverbe « À trompeur, trompeur et demi », puisque la ruse raffinée et provocatrice de Pathelin qui, avec la complicité active de Guillemette, triomphe de la ruse épaisse et de la méfiance nigaude du drapier Guillaume, est mise en échec par la ruse finaude et la roublardise camouflée du berger Thibaud l'Agnelet - les trois filous se font valoir l'un par l'autre - et sur une double intrigue qui s'achève par un dénouement unique. C'est le rebondissement, l'enchaînement, l'opposition ou la symétrie des tromperies qui constitue le schéma de base de la pièce. La hiérarchie de la ruse, d'ailleurs, remet en question la hiérarchie sociale : le drapier, riche bourgeois, est berné par un avocat assez louche, lui-même dupé par le berger, « un mouton habillé ».
 
Pour mettre en valeur le jeu subtil des personnages, l'auteur a refusé les




« formes élémentaires du comique (cari­ cature, déguisement, coups de bâton, grimaces, scatologie) et privilégié le comique du bon tour et de l'imitation, à tel point que Pathelin s'imite lui­ même quand il raconte à Guillemette de quelle manière il a dupé le drapier (v.

406-435), et le comique de situa­ tion, en particulier la répétition, l'inversion et l'interférence des séries, pour reprendre les distinctions de Bergson.

Cependant, le dramaturge recherche des situations qui révèlent le caractère des personnages.

Aussi, plu­ tôt que de reprendre des allégories ou de s'attarder à la simple satire sociale qui demeure anodine, même si le mar­ chand, l'avocat et le juge sont présen­ tés sous des couleurs peu flatteuses, a­ t-il peint des individus qui ont un caractère propre.

Pathelin, qui revivra dans Rabelais sous les traits de Panurge comme Guil­ laume sous ceux de Dindenault, est le personnage central sur lequel repose toute l'action.

Intelligent plutôt que savant, il a appris à connaître, à mani­ puler et à tromper les hommes, maîtri­ sant l'art de la parole, faisant preuve d'un éblouissant génie inventif, comme le montrent les scènes où il mime la maladie et la possession démoniaque.

Mais cet homme retors est réduit à la misère après avoir connu échecs et châtiments infamants, tels que le pilori.

Aussi apparaît-il comme un avatar de Renart : à l'exemple de celui-ci, il .fait l'éloge du père de sa vic­ time dont il excite la convoitise pour endormir la méfiance, il feint la mort pour triompher de son adversaire et utilise diverses langues.

Son intelli­ gence connaît des défaillances : cédant à l'impatience, victime de ses intempé­ rances de langage, trop sûr de lui, il est, comme Renart, une figure du filou, du fripon divin, dont la finesse s'ac­ compagne d'une certaine sottise, tan­ tôt triomphant, tantôt vaincu ; de là la nécessité de plusieurs aventures et, dans Pathelin, trois farces en une seule pièce.

Enfin, Pathelin est-il un véritable avocat? On le penserait, d'après la considération dont l'entourent le ber­ ger et le juge, et par son attitude à l'audience.

Mais il est traité d'« avocat sous l'orme» (v.

13), d'« avocat d'eau douce» (v.

756) : ne serait-il pas un clerc de bas étage, mal défini, un bra­ connier en marge de la profession d'avocat, qui hante les tavernes à la recherche de clients ou de victimes ? De même, Guillemette, sa femme, peut être tout aussi bien une petite bourgeoise qui défend sa maison contre l'extérieur, une ménagère aver­ tie, qu'une femme peu farouche, si l'on en juge par son nom, qui était celui des ribaudes, et par le fait que l'imprimeur Pierre Levet a utilisé, pour représenter Pathelin et son épouse, la gravure qui illustrait la "Ballade de la grosse Mar­ got" dans son édition des Poésies de Villon.

Cette -ambiguïté se retrouve partout.

Ainsi dans la scène où l'avocat simule la mort, qui atteste sinon une certaine déchristianisation, du moins la vo­ lonté de dédramatiser la mort: l'auteur se moque-t-il des Arts de bien mourir, des horribles descriptions du trépas, qui connaissent alors une grande vogue, ou veut-il parfaire le portrait de son héros, dont il suggère la démesure, le mépris des valeurs religieuses, le cynisme, l'absence de tout remords, et dont il fait l'antithèse de l'avocat chré­ tien, pitoyable aux pauvres, de saint Yves, le patron de la profession ? Le langage devient un jeu qui traduit la jouissance phonétique d'une réalité chatoyante et un malaise certain sur sa fonction, sa nature et son rôle dans la société, jeu où l'on évolue entre sens et non-sens : ce qui a un sens pour les uns (Guillemette, les spectateurs) n'en a pas pour d'autres (Guillaume), ou encore on ne comprend pas la même. »

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