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La Religieuse, le Neveu de Rameau, Jacques le Fataliste : Fiche de lecture

Publié le 22/11/2018

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La Religieuse, le Neveu de Rameau, Jacques le Fataliste

 

Vers 1755, la réflexion philosophique amène Diderot à une impasse : l’hypothèse matérialiste implique une absence totale de liberté de l’homme. Il devrait s’ensuivre un pessimisme collectif de nature suicidaire. Or, les hommes et les femmes vivent. Diderot préfère donc se tourner vers eux, les observer, poser dans le cadre de la vie réelle les problèmes fondamentaux de la liberté et des comportements humains. De 1760 à 1765, il met en chantier trois œuvres, un « conte », une satire et une « rhapsodie », qu’il reprendra, complétera, remaniera pendant plus de vingt ans, de même que la nature remodèle sans cesse les espèces d’abord imparfaites qu’elle crée continuellement.

 

Le « conte » de la Religieuse nous entraîne dans le monde aliénant des couvents, la satire le Neveu de Rameau dans le monde corrompu des financiers parisiens, Jacques le Fataliste dans un monde paysan plus naturel; mais les conceptions matérialistes dominent les trois ouvrages, dont les personnages sont avant tout des corps.

 

Cela est particulièrement sensible dans la Religieuse, analyse clinique impitoyable du comportement de femmes cloîtrées. Microcosme de toute société, certes, que le

 

couvent; l’espace restreint amplifie jalousie, hypocrisie, autorité abusive, servilité, haine, frivolité, goût de posséder; mais Diderot s’intéresse surtout aux aberrations des organismes dans un milieu antinaturel. Jetée dans ce monde de la damnation et de la folie, dans ce chaos d’érotisme, de cruauté, de spiritualité, la jeune Suzanne cherche en vain à préserver sa liberté naturelle contre cette entreprise à la fois civile et religieuse d’aliénation, et son christianisme sincère contre l’usage scandaleux qui est fait de Dieu ou de Satan, selon l’intérêt du moment. Sacrifiée pour expier la faute de sa mère, et, comme Iphigénie (figure chère à Diderot), immolée au pouvoir ecclésiastique qui domine la famille et la société, elle, douce et docile de nature, devient une Antigone rebelle, sans échapper à des moments mystiques où elle tend, non sans orgueil, à se comparer au Christ et à offrir sa souffrance en exemple. Nous sommes loin, pourtant, des thèmes romanesques conventionnels de l’innocence persécutée et des malheurs de la vertu. La forme paradoxale coutumière de la pensée de Diderot l’a incité à utiliser un « conte » authentiquement chrétien pour dénoncer dans un féroce réquisitoire le scandale à la fois social et religieux que représentent les couvents.

 

La Religieuse. — Née d'une liaison adultère de sa mère, Suzanne Simonin est envoyée au couvent pour ne pas léser les intérêts de ses deux soeurs légitimes et pour expier la faute de sa mère. Mal aimée chez elle, elle ne s'afflige pas de cette entrée au couvent, mais elle découvre à Sainte-Marie la fausse indulgence des religieuses, leur hypocrisie, leur âpreté. Elle découvre aussi la folie d’une religieuse. Elle fait scandale en refusant de prononcer ses vœux. Ramenée chez ses parents, séquestrée, elle est bientôt renvoyée dans un autre couvent de Paris, plus mondain, à Longchamp. Là, elle connaît successivement une supérieure mystique, la mère de Moni, qui sera sa vraie mère, puis, après la mort de celle-ci. une supérieure cruelle qui, avec la complicité servile des autres religieuses, lui inflige les pires supplices. Tentant une action en justice pour faire rompre ses vœux, elle échoue, mais change de couvent. La voici au couvent d’Arpajon, où elle découvre cette fois la perversion sexuelle d'une supérieure amoureuse de Suzanne jusqu'à la folie et à la mort. Pour rompre le cycle des « mères » infernales, résistant à la tentation du suicide, elle s'évade avec la complicité d'un directeur de conscience qui tente aussitôt d'abuser d'elle. Après quelques douloureuses expériences dans Paris, elle meurt, très chrétiennement, chez une blanchisseuse brutale, mais bonne. C'est de la maison de cette femme, avant de mourir, qu'elle écrit au marquis de Croismare, en implorant son secours, cette longue lettre relatant sa vie malheureuse.

 

Nous sommes loin du roman libertin que l’on s’est longtemps contenté de voir dans ce récit. La perversion de la supérieure de Saint-Eutrope, amoureuse de Suzanne, n’est que la conséquence physiologique normale de cette vie cloîtrée, de même que la frivolité et le néant intellectuel des jeunes pensionnaires. Tout cela nous est montré dans une juxtaposition de scènes et de tableaux où le goût de Diderot pour le théâtre et la peinture se déploie. Lettres, roman sous forme de Mémoires, drame bourgeois, tragédie chrétienne de l’expiation et du remords, scènes shakespeariennes de folie et de mort, pathétique richardsonien, dans des éclairages de nuit et de ténèbres, le récit témoigne de la prodigieuse fertilité de l’imagination créatrice de son auteur. On ne saurait rattacher la Religieuse à un genre précis; il ne relève que des éléments qui ont déclenché le mécanisme créateur : le souvenir obsédant de la sœur de Diderot morte folle en religion, les multiples exemples réels de jeunes filles mises au couvent pour expier la faute des mères (Mmc d’Egmont), ou refusant de prononcer les vœux (Mlle de Mézières), telle autre jeune fille intentant un procès pour faire révoquer les siens (Marguerite Delamarre). C’est justement à partir de celle-ci, que le marquis de Croismare avait un moment aidée, que surgit un soir dans l’esprit de Diderot, de Grimm, de Mme d’Épinay l’idée

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« de_ faire adresser au marquis par une religieuse imagi­ natre des lettres mystificatrices lui demandant secours.

Entre autres, une lettre plus longue en forme de Mémoi­ res.

Ainsi naquit peu à peu le roman, au pathétique duquel Diderot finit par se prendre lui-même jusqu'à en pleurer, tout en décidant de publier en postface les fameuses lettres mystificatrices, afin de détruire l'illu­ sion qu'il s'était employé à créer et de rendre au lecteur sa fac�lté de jugement froid.

« Amalgame insolite du pathétique et de la farce » (R.

Mauzi).

C'est à la même impossibilité de préserver son indé­ pendance et sa liberté que se trouve affronté Jean­ Fra �çois Rameau, personnage pittoresque bien connu de Pans, neveu du célèbre musicien.

« Moi », philosophe bourgeois, nanti, double de Diderot, le rencontre autre double de lui-même du temps de sa vie dissipée, ;u café de la Régence Renaît ainsi une fois de plus le « monstre bicéphale » rêvé par Diderot, le moi à deux têtes dialo­ guant dans le soliloque.

De même que Suzanne la religieuse est déchirée entre soumission et révolte, de même Rameau le neveu est déchiré entre sa sensibilité artistique et le cynisme auquel le contraint sa condition sociale de bouffon et de parasite chez le financier Bertin, mécène des milieux parisiens antit:ncyclopédistes.

Tous deux sont victimes d'un certain état de la société, tous deux sont aliénés.

Tous deux contradictoires aussi, mais là est justement la source �e leur vérité humaine; pas plus qu'il ne peut c '! ncevotr un texte autrement que sous forme dialoguée, Dtderot ne peut concevoir un personnage autrement qu'à deux pôles amagonistes, gage de la tension nécessaire à la vie.

Rameau sent en lui une « dignité naturelle >>, il rêve d'être un musicien génial comme l'était son oncle, mais comment être génial quand on est obligé de vivre av�c des médiocres, dans la « ménagerie » Bertin, dans la JUngle parisienne où le « pacte tacite >> est de rendre le mal pour le bien.

« Dans la nature, toutes les espèces se dévorent; toutes les conditions se dévorent dans la société.» Comment être génial, en outre, quand la « molécule paternelle >>, l'hérédité, ne le permet pas? Alors il faut s'adapter à la société et à sa propre nature, donner de médiocres leçons de musique pour pouvoir manger, car c'est toujours au corps, à l'appétit, à la «garde-robe>> qu'il faut en venir.

«Moi» a beau donner à «Lui>> de grandes leçons de vertu : la vertu, c • est la morale du P ?ilosophe, du sage, non celle du bouffon, du « fou »; il n y a pas de morale universelle, chacun a la sienne, dont les fondement:; sont biologiques et sociologiques.

Il n'y a qu'« idiotismes >>; telle est une des grandes idées qui se dégagent dL dialogue.

Rameau rêve de créer de grands opéras, mais. »

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