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Le cycle ubuesque de Jarry

Publié le 30/12/2018

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jarry

Le cycle ubuesque

 

Comment lire Ubu roi? Comme un canular de potache bien doué? Un « drame historique »? Une « farce politique »? Ces lectures sont possibles, et même simultanément possibles : elles rendent compte, chacune de son côté, d’éléments complémentaires du texte. Il faut toutefois avouer qu’elles laissent insatisfait. Elles se heurtent en effet, tout au long du tissu textuel, à des obstacles,

 

blocs d’illisibilité impossibles à contourner et difficiles à intégrer : ce sont ces « mots d’auteur » — pourquoi pas « mots de texte »? — que sont les néologismes, les déformations lexicales, les composés de forme aberrante, etc. Devant ces inventions monstrueuses, deux attitudes possibles : les neutraliser par l’histoire, les renvoyer au pittoresque des « sonorités », de la « fraîcheur » (?), de l’« actualité» (?). Ainsi pour le mot inaugural d’Ubu roi : le fameux « Merdre! », hurlé par Ubu dès le lever

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« du rideau, sans même l'ombre d'une justification dra m a­ tique ou psychologique.

Désir de scandale? C'est l'évi­ dence, et le résultat suivit, comme le prouvent les démê­ lés de Jarry avec la censure théâtrale.

Mais le simple -peu fréquemment proféré, à l'époque.

sur une scène! -eOt été, à cet égard, aussi efficace - plus, peut-être, car on a pu analyser 1' « r >> infixé comme indice d'euphémisation.

Ce qui arrête le lecteur, c'est précisément cet affixe insolite.

Et c'est alors que fleuris­ sent les «explications » historiques ( « merdre >> pronon­ ciation populaire; >, «une majesté, une puissance plus grande>>, etc.).

Analyses dont on conviendra qu'elles n'éclairent en rien la valeur du mot dans le texte.

On ferait des remarques du même ordre sur les autres mots spécifiques d' Ubu roi : ainsi « phynance » a été présenté comme une graphie archaïsante ou comme une fantaisie pédantesque d'élève de philosophie.

On a décelé en « bouffre » et en est, dans Ubu roi lu indépendamment, une arme offensive utilisée par le père Ubu.

Mais, dans l'« Acte héraldique>> , le même « Bâton-à-physique», qui bénéficie du double statut de pièce de blason et de personnage, est explicitement donné comme symbole phallique.

Ce second contenu se trouve donc nécessaire­ ment affecté au «Bâton-à-physique >> de 1' « Acte terres­ tre >>.

On ferait sans difficulté de semblables démonstra­ tions pour d'autres éléments du texte, à commencer par le personnage même d'Ubu, explicitement donné comme > de César-Antechrist, qui est lui-même un des nombreux termes de l'exubérant inventaire de la symbo­ lique phallique.

On voit la spécificité de ce mode de fonctionnement textuel.

Le contenu du texte ne se trouve pas à propre­ ment parler transformé ni inversé, mais stratifié, feui 1- leté.

Il devient possible de le lire, de façon continue, sur un double registre.

Quand on procède à la lecture éroti­ que -un érotisme, faut-ille dire? pour l'essentiel homo­ sexuel- on constate que les mots déformés ou néologi­ ques perdent leur caractère de blocs illisibles: ils se disposent au contraire, de façon aussi cohérente que pos­ sible, sur la ligne du contenu sexuel.

Ainsi les « Palo­ tins >>,dont la désignation repose sur la paronymie « pal­ phalle >>.

Quant aux noms qui leur sont attribués - « Giron, Pile, Cotice » -, ils sont empruntés au lexique de l'héraldique, constamment sexualisé chez Jarry.

Il est d'ailleurs possible d'affecter à chacun d'eux, comme au nom de « Bordure », un contenu sexuel compatible avec l'aspect de la pièce du blason qui leur sert de nom.

La « phynance »? La déformation graphique marque la relation établie avec la «physique».

Ainsi se trouvent paradigmatiquement mis en place les deux aspects de l'activité sexuelle d'Ubu: la > que, en termes freudiens, ne pouvait manquer de connaître cette «pulsion».

D'où ce texte étrange (allusif et contrariant, à tous les sens du mot), qui ne peut se lire qu'en référence constante à Ubu roi.

Ainsi Ubu.

enchaîné s'ouvre sur le silence d'Ubu, qui «s'avance et ne dit rien» : par là se trouve à la fois évoqué et inversé le désir d'Ubu, qui, dans la suite du texte, ne manifeste plus de convoitise qu'à l'égard des postures les plus humiliantes et les plus douloureuses : l'esclavage, la captivité, la flagellation.

Mais qu'on y prenne garde : le désir sadique fait retour dans Ubu enchaîné, au point d'inverser la formulation de certaines situations.

Ainsi dans ce très curieux passage (Pléiade, p.

445) où Ubu se vante, par un verbe actif, d'avoir. »

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