Le Moine
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
Matthew Gregory Lewis (1775-1818) a publié Le Maine en 1796, s' inspirant des « romans noirs « de l'époque. A sa sortie, cette oeuvre provoqua un tel scandale que son auteur dut en remanier la deuxième édition. Classée par Philippe Van Tieghem dans les romans « terrifiants « - par opposition aux romans « gothiques « et « merveilleux « - elle influença de nombreux auteurs, dont Mrs. Mary Shelley ( Frankenstein).
«
« Dans la chambre
d 'Antonia.
»
EXTRAITS
Un fantôme apparaît
Je tremblais sans savoir pourquoi ; mon
cœur battait et je sentais mes cheveux se
hérisser sur mon crâne.
Quelques secondes
se passèrent, mais mon malaise ne s 'arrê
tait pas, au contraire ;
un
froid inconnu me
gagna et l'ombre, au
tour de moi,
prit un
aspect horriblement
menaçant.
Les muscles
durcis, les membres
lourds, incapable de
bouger,
je prêtai l'oreil
le.
Un pas rude et
pesant montait les
marches et
j'entendis
souffler et gratter der
rière la porte.
Les ri
deaux de mon lit étaient
tirés.
Une veilleuse,
brûlant dans un coin,
éclairait vaguement la
chambre.
La porte s 'ou
vrit en coup de vent ...
et
la chose horrible
fut devant moi ! Elle
s'avança de son pas de statue, sans mot
dire, et, immédiatement, je la reconnus.
Par le Christ-Dieu, c'était elle ! C'était la
NONNE SANGIANTE, c'était la compagne
que
j'avais perdue ! Elle leva son voile et je
pus voir son visage de spectre hagard et
creux, ses mains crayeuses, et le sang qui
encrassait sa robe.
Le moine se repent d'avoir péché
et se rebelle contre la femme
-Vipère, vipère ! lui dit-il, dans quel piège
m'avez-vousfait tomber? Que l'on vienne
à découvrir votre sexe
-et mon honneur,
ma tranquillité, ma vie peut-être, seront la
rançon de quelques instants d'une volupté
aussi fugitive qu 'empoisonnée.
Sot que
je
suis de vous avoir cédé! Mais à présent, que
faire ? Comment me laver
de mon parjure ?
Par quel sacrifice obtenir le pardon d'un
tel forfait ?
-Oh ! Ambrosio ! Voilà donc votre remer
ciement, voilà ce qui devait
me payer de
tous les sacrifices que
je vous ai faits, moi
qui ai renoncé
pour vous aux plaisirs du
monde, au luxe, à la richesse, à la délica
tesse de mon sexe, à mes amis, à
ma répu
tation ?
Ce crime, si crime il y a, je le porte
aussi bien que vous.
Qu'avez -vous perdu
que
j'aie conservé ? N'ai-je pas partagé
votre faute? Comptez-vous pour rien ce don
de mon corps, de mon âme qui, plus que la
vôtre, est sacrifiée ? Avez-vous déjà perdu
jusqu'au souvenir de votre plaisir ?
On ne peut revenir
sur un pacte signé avec le diable
-Homme pusillanime, que cette nuit seule
ment se passe et pensez à ce que seront les
vôtres dans un instant! Avez-vous donc ou
blié ce que vous avez déjà enduré ? Demain,
vous aurez à subir des tourments autrement
raffinés.
Vous imaginez-vous ce que
c'est
que le supplice du feu ? Dans deux jours
d'ici, on vous conduira au
poteau pour y être sacri
fié; avez-vous seulement
songé à ce que vous y de
viendrez ? Ose z-vous en
core espérer le pardon ?
Caresse z-vous encore des
illusions de salut ? Songe z
à vos crimes ! Considérez
votre luxure, vos renie
ments, votre hypocrisie,
votre inhumanité ! Songe z
au sang innocent qui crie
vengeance vers le trône de
Dieu !
et espérez alors
qu'on vous fasse miséri
corde !
Rêve z encore du
Ciel et soupirez après des
mondes de lumière
et des domaines de
paix et d'immortelle félicité ! Absurde !
Ouvrez vos yeux, Ambrosio, aux réalités qui
vous attendent
et puisse la sagesse vous
éclairer.
L'enfer est votre partage, vous êtes
condamné à l'éternelle perdition.
«Le Moine, pour moi,
ne vaut que par
le naturel introduit dans
les opérations
s urnaturelles
et parce
que le Merveilleux
y devient un objet
maniable, un état dans
lequel on entre comme
on entre dans une autre
chambre en ouvrant la
porte ou en poussant le
rideau.
» Antonin
Artaud, projet de
lettre, 1931.
« Lucifer se tenait
devant lui.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR traduire ; ils essayent pour vaincre les crises
de stérilité, pour mettre la machine en
marche.
Ces échecs nous valent quelques
œuvres singulières, œuvres sans racines,
fausses traductions, livres nés
d'un livre.
Je
dirai plus : de cette corde au cou, de cette
lutte, de ce spasme du vide, viennent au
monde des Mandragores.
Les
Contes de Poe
par Baudelaire en seraient l'exemple type.
Le Moine dans notre langue nous offre un exemple
nouveau.
Il est possible que
« M.
Artaud sait quelles atroces périodes on
traverse après s'être débattu dans le noir.
Ces périodes ne nous rendent ni sourciers,
ni ductiles.
Elles nous condamnent au
silence ; et
je devine que la traduction du
Moine de Lewis résulte d'une humble
révolte contre un de ces silences
improductifs.
Les forts ne peuvent pas
1 Mary Evans Picture Library 2, 3 , 4, 5 gravures de R.
C.
Armour, éd.
Gibbings & Comp any, Londre s, 1 906 / D .R .
les amis de M.
Artaud regrettent cette
étonnante transformation d'énergie.
Peut
être attendaient-ils de l'énergie propre du
mauvais traducteur (lire mauvais traducteur
comme mauvais ange) une œuvre directe
où son activité se manifestât sans entremise
- mais ils se trompent et
M.
Artaud le
prou ve.
» Jean Cocteau, La Nouvelle Revue
Française,
mai 1931.
LEWIS02.
»
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