Les Fiancés de Manzoni
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Le parallélisme existant entre le contexte historique du récit (querelles intestines au sein de la Péninsule et tutelle étrangère) et la situation politique prévalant à l'époque de Manzoni n'est vraisemblablement pas fortuit. En 1628-1630 (cadre du récit), comme pendant tout le xvrre siècle, le Milanais est sous domination espagnole et, par un jeu d'alliances, se trouve placé sous la « protection bienveillante « du très-catholique empereur d'Allemagne, Ferdinand II. Les visées françaises sur le nord de la Péninsule, en s'appuyant sur des coalitions disparates (Vénitiens, papauté, etc.), mettent cruellement en lumière l'incapacité chronique des parties italiennes à s'entendre. En 1713, au traité d'Utrecht, le Milanais devient partie intégrante de l'Empire autrichien des Habsbourg et le restera jusqu'au xixe siècle, à l'époque de
Manzoni.
«
Les Fiancés
s'inscrivent dans un
mouvement littéraire
plus large de
réappropriation du
passé italien.
En cela,
et plus encore par le
travail sur la langue,
Manzoni contribua
à
l'émergence du
sentiment unitaire en
Italie.
En effet, par
un patient travail,
s'inspirant du parler
de la classe moyenne
à Florence, l'auteur
a cherché
à traduire
jusque dans son style
ses options politiques
(en faveur de
la
démocratie et de
l'unité), élaborant une
langue qui se voulait la
synthèse de la langue
littéraire et du langage
parlé et qui pût être
reconnue par tous,
en
dépit de leurs .
différences dialectales,
comme la langue
commune.
~----- -- EXTRAITS - --- ---~
Renzo et Lucia ont surgi à l'improviste
chez don Abbondio
pour lui arracher
la bénédiction nuptiale.
C'est la« soirée
des
dupes»
Don Abbondio les vit confusément, puis
clairement,
fut épouvanté, ébahi, furieux,
réfléchit, prit une résolution : tout cela pen
dant que Renzo prononçait ces mots :
- Monsieur le curé, en présence de ces
témoins, celle-ci est ma femme.
-Il n'avait
pas encore fermé la bouche, que don
Abbondio, laissant tomber le papier, avait
déjà saisi
et levé la lampe de la main
gauche, empoigné, de la main droite, le
tapis qui recouvrait la table,
et qu'il tira
violemment à
lui, jetant à terre livre, papier,
encrier et poudre à sécher, puis bondissant
entre
le fauteuil et la table, il s'était appro
ché de Lucia.
La pauvre fille, de voix douce,
et alors toute tremblante, avait à peine pu
dire : - et celui-ci ...
-que don Abbondio lui
avait brutalement
jeté le tapis sur la tête,
pour l'empêcher de prononcer la formule
complète.
Et aussitôt, laissant tomber la
lampe
qu'il tenait dans l'autre main, il
s'aida de celle-ci
pour encapuchonner la
jeune fille avec le tapis, l'étouffant pres
que ; en même temps,
il criait de toutes ses
forces : - Perpétua
! Perpétua ! Trahison !
Au secours ! - Le lumignon, qui mourait sur
le plancher, jetait une lueur faiblissante et
vacillante sur Lucia, qui, tout à fait éperdue,
n'essayait même pas de se
dégager, telle une
statue d'argile ébouchée,
sur laquelle
l'artiste a
jeté un drap humide.
Scène ordinaire de la peste de 1630,
à Milan
Tandis que Renzo regardait cet instrument
de torture, se demandant pourquoi
il pou
vait bien avoit été dressé à cet endroit, il
entendit le bruit se rapprocher davantage
et vit déboucher du coin de l'église un
homme qui secouait une clochette : c'était
un appariteur; et derrière lui deux chevaux qui
avançaient péniblement, allongeant
le
cou et tendant les pattes ; puis, traîné par
eux, un chariots de morts, et après lui un
autre, puis deux autres.
De chaque côté des che
vaux, des Monatti qui les
pressaient à coups de
fouets, à coups d'aiguil
lon et de jurons.
Ces ca
davres
pour la plupart
nus, quelques-uns
mal
enveloppés dans quel
ques haillons, étaient
entassés, enchevêtrés
comme un nœud de serpents qui déroulent
lentement leurs anneaux à la tiédeur du
printemps;
car, à chaque obstacle, à chaque
secousse, on voyait ces tristes amoncelle
ments trembler et changer horriblement de
forme, et les têtes se balancer, des cheve
lures virginales se renverser, des bras se
désenlacer et battre sur roues, comme pour
montrer
aux regards horrifiés qu'un tel
spectacle pouvait devenir encore plus dou
loureux et plus hideusement obscène.
Traduit de l'italien
par Armand Monjo
« La procession sortit
de la cathédrale au point du jour.,.
« C'était lui ; mais
hélas ! combien il était changé ! ,.
,
NOTES DE L'EDITEUR
Petit-fils du philosophe Beccaria,
Alessandro Manzoni (1785-1873) est
un héritier des Lumières.
Il fréquente
assidûment les cercles intellectuels lors de
ses séjours à
Paris.
Mais il ne se sent pas
pour autant un fils spirituel de Voltaire,
dont il rejette l'anticléricalisme.
S'il a
connu des
« tentations » en ce sens dans sa
jeunesse, la grande affaire de sa vie restera
son retour vers le catholicisme qui, après deux
ans de crise spirituelle, prendra le
caractère
d'une véritable conversion (1810).
Les Fiancés porte la marque de son
sentiment religieux riche de nuances (alliant
un catholicisme populaire et libéral à un
rigorisme tout janséniste).
Car, si on y voit
un Manzoni fasciné par les personnalités
fortes (seigneurs rebelles
et convertis
comme le père Cristoforo ou L'Homme
sans-Nom, car,
c'est bien connu,« Dieu
vomit les tièdes
» ), voire par les
personnalités troubles (telle la signora de Monza,
écho de ses propres doutes ?), on y
trouve aussi plein de tendresse pour la
religion spontanée des gens simples.
Lorsqu'il meurt en 1873, Manzoni, comme
Victor Hugo quelques années plus tard, est
devenu une
« institution nationale ».
Comme l' écrivain français aussi, son
œuvre fut d'abord poétique.
A côté des
Fiancés, la postérité a retenu ses hymnes
sacrés
et ses odes politiques.
1 Alessandro Manzoni par Blanchard, coll.
Viollet/ B.N.
2, 3, 4, 5 gravures de G.
Previati /éd.
Ulrico Hoepli, Milan, 1900
MANZONI02.
»
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