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Les Fleurs du mal de Baudelaire : Fiche de lecture

Publié le 16/11/2018

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baudelaire
Ainsi, puisqu’il n’aperçoit dans le giron de l’infâme « marâtre » que malignité ou perversion, « la première affaire de l’artiste est-elle de substituer l’homme à la nature et de protester contre elle ». Trois ans avant la parution des Paradis artificiels, Baudelaire n'hésite donc pas à réaliser dans la poésie des Fleurs du mal les leçons ambiguës de Thomas De Quincey en cherchant à combler son « goût de l'infini » par le recours aux artifices les plus divers : « C’est pourquoi, ne considérant que la volupté immédiate, [l’homme] a, sans s’inquiéter de violer les lois de sa constitution, cherché dans la science physique, dans la pharmaceutique, dans les plus grossières liqueurs, dans les parfums les plus subtils, sous tous les climats et dans tous les temps, les moyens de fuir, ne fût-ce que pour quelques heures, son habitacle de fange ». Qu’on ne s’y trompe pourtant pas. Si les poèmes du « Vin » et les chants de la drogue, comme le fameux « Rêve parisien », illustrent trop bien dès 1857 les mots de « liqueurs » et de « pharmaceutique », l’essentielle artificialité du poète n’est pas seulement dans ces pratiques qu’il sait, par expérience, aussi dangereuses que provisoires. Tout au plus sont-elles les métaphores du désir d’« élévation » ou de dépaysement que l’être oppose à l’opacité sclérosante du réel. Baudelaire, qui ne fut vraiment ni alcoolique ni toxicomane, est bien davantage lui même quand il s’abandonne à ces autres artifices que sont les raffinements sophistiqués de certaines sensations ou rêveries : l’envoûtement du « Parfum exotique », la tiédeur engourdie des soirées au « Balcon », la mollesse magnétique des « Chats », le vertige langoureux d’une « Harmonie du soir», l’inconsistante divagation d’une « Invitation au voyage ». Les vraies drogues, et les plus efficaces, des Fleurs du mal sont en réalité celles du langage, quand le poète arrive à fixer dans la nébuleuse de ses mots et de ses vers les fantaisies des sens et les fantasmes de l’imaginaire. Un simple « mangeur d’opium », pour Baudelaire, reste coupable d’une impardonnable « dépravation du sens de l'infini » s’il n’est aussi un fou du langage, ivre de mots et de rythmes.
 
La femme : trois profils pour un visage absent
 
Où mieux éprouver dans les Fleurs du mal cette ivresse verbale que dans le discours amoureux? Et n’est-ce pas pourtant un paradoxe que de voir au centre des courbes et des « cycles » du langage de Baudelaire celle
 
que, dans Mon cœur mis à nu, il giflera de l’anathème le plus dur : « La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c’est-à-dire le contraire du dandy ». Les femmes de son existence et de sa poésie, à l’exception de la mère « impossible », ne seront donc jamais « naturelles ». Pour trouver grâce à ses yeux et dans ses mots, elles auront d'abord sacrifié à l’impératif catégorique de l’« éloge du maquillage» : « La femme accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme; idole, elle doit se dorer pour être adorée ». Aussi bien, chacune des trois grandes figures féminines des Fleurs du mal sera-t-elle une variation sur le thème de la « grandeur artificielle » que le critique admirait déjà chez les mondaines de La Bruyère : Jeanne Duval, la « Vénus noire », rencontrée dès 1842, et qui, malgré ses caprices et ses infidélités, troublera encore les cauchemars du malade de 1866, cristallisera en sa chair exotique, parfumée et sensuelle tous les sortilèges du « maquillage » invoqué; Marie Daubrun, la « femme aux yeux verts », entrée dans la vie de Baudelaire vers 1846 avant de devenir la maîtresse de Banville, lui apportera les plaisirs plus subtils et plus équivoques de l’innocence perverse, de la trouble « fraternité »; ApolIonie Sabatier enfin, la « Présidente », adulée platoniquement et anonymement de 1852 à 1857 avant de voir son image sombrer dans ce que M.-A. Ruff appelle le « dénouement lamentable de la possession », aura régné sur l’âme du poète de toutes les grâces éthérées de son profil angélique et apollinien, qui contraste, dans les contrepoints de l’écriture du recueil, avec celui de Jeanne, satanique et dionysiaque.
 
Artificielles par sensualité, ambiguïté ou idéalité, ces trois « passantes » privilégiées de l’âme et de la poésie de Baudelaire, qui jouent, tour à tour, les trois rôles imparfaits de la mère, de la sœur et de l’amante, dans l’impuissance qu’elles sont d’être jamais l’épouse, ne sont pas même les lointaines cousines des muses ou inspiratrices romantiques. Suzeraines du cœur et du corps du poète, elles imposent ou refusent l’amour au rythme d’une tyrannie capricieuse qui fait maudire le plaisir « empoisonné » qu’elles distillent. Loin d’apporter à l'être déchiré le réconfort d’une présence unique et généreuse, les femmes du recueil ne font qu’exacerber le supplice de sa dualité en n’étant elles-mêmes que « duplicité » : violentes derrière leurs câlineries, perfides derrière leur tendresse, « traîtresses » derrière leurs larmes ou leurs sourires. L’amour, « fleur du mal » par excellence, état mental et poétique imposé par les nécessités de la vie et de l’écriture, est ainsi de tous les artifices baudelairiens le plus raffiné et le plus cruel. Artifice puisqu’il exclut, par essence, l'équilibre apaisant de la vertu et de l’authenticité; cruauté puisque son jeu constamment faussé ravive les hantises de l’aliénation et de la dépossession de soi en un « autre » aussi mutilant que fascinant. Cet « autre », au regard « brouillé » de sphinx et de chimère, Baudelaire sait bien d'ailleurs qu’il n’est sans doute qu’« une des formes séduisantes du Diable ».

Les Fleurs du mal
 
L’outre-tombe baudelairien, chanté ici comme le florilège éternel de tous les artifices, « lotus parfumé » et « vendanges » miraculeuses, ou psalmodié là comme un paradis « fait de rose et de bleu mystique », n’est réductible à aucune de ces deux images mais est à deviner dans l’intervalle innommé et innommable qui sépare les « limbes » de la béatitude des enfers du plaisir. C’est dans ce lieu banalisé et introuvable, qu’il ne veut d’ailleurs, à la différence de Rimbaud, ni trouver ni explorer, que Baudelaire, écrit admirablement Yves Bonnefoy, « va chercher à faire dire au poème cet extérieur absolu, ce grand vent aux vitres de la parole, V ici et le maintenant qu’a sacralisés toute mort ». En renvoyant dos à dos Dieu et Satan dans l’anonymat du verbe poétique, l’auteur des Fleurs du mal réinvente la mort comme suprême puissance ontologique, comme imminence salutaire de l’être total et unifié. « Baudelaire a fait plus, écrit encore l’auteur de F Acte et le lieu de la poésie. Je tiens qu’il a choisi de mourir — d’appeler la mort dans son corps et de vivre sous sa menace — pour mieux saisir dans sa poésie la nuée aperçue aux limites de la parole ».


baudelaire

« porains formalistes et parnassiens, c'est bien sur le plan de l'approche de la nature et du naturel.

Les Fleurs du mal sont probablement le premier grand recueil poétique fondé sur une esthétique ouvertement >, ne lui autorisent la moindre compromission.

Ainsi, puisqu'il n'aperçoit dans le giron de l'infâme > que malignité ou perversion, > par le recours aux artifices les plus divers : > s' i 1 n'est aussi un fou du langage, iv re de mots et de rythmes.

La femme : trois profils pour un visage absent Où mieux éprouver dans les Fleurs du mal cette ivresse verbale que dans le discours amoureux? Et n'est­ ce pas pourtant un paradoxe que de voir au centre des courbes et des > du langage de Baudelaire celle que, dans Mon cœur mis à nu, il giflera de l'anathème le plus dur : : ; Apollo­ nie Sabatier enfin, la , au regard > de sphinx et de chimère, Baudelaire sait bien d'ailleurs qu'il n'est sans doute qu'>.

« Enfer ou ciel, qu'importe ...

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Le Diable! Encore lui au détour des vers des Fleurs du mal! Que n'a-t-on pas dit du conflit baudelairien entre satanisme et mysticisme, qui paraît devoir prendre la relève de celui du spleen et de l'idéal quand récriture se fait plus grave, plus désespérée encore? Le satanisme de Baudelaire n'est, en effet, pas pl us simple que n'est transparente et orthodoxe sa. »

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