« L'ÉTAT ET LA RÉVOLUTION » DE LÉNINE

de la violence pour réprimer les classes dominées et exploitées. L'ordre qu'il crée consiste, d'une part à enlever à celles-ci les moyens qui leur permettraient de renverser leurs oppresseurs, et d'autre part à accumuler les moyens pour les oppresseurs d'impo­ser et de maintenir leur volonté de classe. Cette accumulation constitue l'appareil du pouvoir d'Étal ou machine d'État, • engin de domina_.tion de classe a. On voit donc, peut dire Lénine, à quel point il est faux, petit-bourgeois et menchevik de prétendre que l'~tat concilie les classes. Il ne surgit au contraire que par suite de l'inconciliabilit.é des antagonismes sociaux.

En quoi consiste exactement cet appareil ou machine d'~t.at, instrument spécial de répression d'une ou de plusieurs classes par une autre, et, qui plus est, de la majorité par la minorité ?

Armée permanente, bureaucratie, voilà, avec leurs accessoires matériels divers (prisons et institutions coercitives de toutes sortes), les deux rouages centraux de l'appareil d''Ët.at.

L'armée permanente et la police se composent de détachements spéciaux d'hommes armés. Spéciaux, par opposition à l'organisation générale et spontanée de la population en force armée, organisation qui était possible avant la scission de la société en classes, mais qui est devenue impossible depuis cette scission {car l'armement spontané entra!nerait une lutte armée entre les classes hostiles).

Bureaucratie, c'est-à-dire l'ensemble des fonctionnaires coupés des masses, placés au-dessus de la société dont ils sont les organes, jouissant d'une situation privilégiée, que protègent des lois spéciales. Car le respect libre, volontaire, dont, à en croire Engels, on entourait les organes de la société de la gens K ne leur suflirait plus même s'ils pouvaient l'acquérir )). Ce que Lénine commente ainsi : (( Le plus misérable agent de police a plus d'autorité que les représentants du clan ; mais même le cher du pouvoir militaire d'un État civilisé pourrait envier le cher du clan, que la société patriarcale entourait d'un respect volontaire et non imposé par le bâton. )) Ajoutons que, pour entretenir ce pouvoir public spécial placé au-dessus de la société et qu'on désigne du nom d'~t.at, il faut d-;s impôts et une dette publique. Les fonctionnaires, par la perception des impôts, sont en possession des moyens d'entretien du pouvoir public, et par conséquent du pouvoir public lui-même.

Marx, dans le Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, a parlé, à propos de la France de 1851, de

Guerre impérialiste : tel est le qualificatif que Lénine, on l'a vu, lui donne dans le mémorable article du Social-Démocrate en date du ter novembre 1914. L'épithète cc impérialiste >> a un sens, ici, spécifiquement léniniste. L'un des ouvrages les plus célèbres de Lénine (qu'il allait écrire à Zurich au printemps de 1916) s'intitule : L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Selon l'auteur, le capitalisme florissant et \" progressif » de l'époque de Marx s'était transformé en impérialisme, par la substi­tution du monopole à la libre concurrence. Le monopole (cartels, trusts, concentration bancaire, d'où domination du capital financier) avait en efTet amené les groupements monopolistes à conquérir, après le marché intérieur, les marchés extérieurs. Et, en vertu du parallélisme postulé par le marxisme entre l'économique et le politique, Je partage du monde - colonies, sphères d'influence --entre les grandes puissances avait nécessairement accompagné le partage du monde entre les groupements mono­polistes. VoilA l'impérialisme issu des flancs du capitalisme. Mais le monopole engen­drait infailliblement une tendance à la stagnation el à la « putréfaction » ; il aggravait toutes les contradictions du capitalisme. En ce sens il était la transition du régime capitaliste parasitaire, agonisant, pourrissant, vers un ordre economique et social supérⁱeur ; il était le « slaùe suprême du capitalisme » el la cc veille ùe la révolution socialiste \"·

La guerre de 1914 élail des deux côtés une guerre « impérialiste », c'est-à-dire « une guerre de conquête, de pillage, de brigandage, une guerre pour le partage du monde, la distribution et la redistribution des colonies, des zones d'influence, du capital financier, etc. ». Donc le social-chauvinisme, • socialisme en paroles, chauvi­nisme en fait », ». EL la mission des partis avant-gardes de la classe ouvrière et de la révolution prolétarienne, tel que le Parti bolchevik, était de transformer cette guerre impérialiste de nations eri guerre civile, l.,.l'exemple de la Commune de Paris. Ce serait l'œuvre de l'Internationale épurée, de la Ille Internationale « communiste \" à venir (« commu­niste » : un maître mot oublié, el que Lénine ressuscite, du marxisme authentique).

On le sait : ce qu'écrivait Lénine aux premiers mois de la guerre, plus tard il l^'a fait.. Si important qu'ail pu être le rôle joué par les autres chefs bolcheviks, nul n'a jamais contt>slé que la part prépondérante, décisive dans le triomphe flnal du bolche­visme en Ru~!\\ie revient à Lénine.

Ise 16 avril 1917, après un long exil, Lénine rentre en Russie, de Suisse, par l'Alle­magne complaisante. Tout de suite, par ses fameuses Thèses d'avril, il dicte le chemin à suivre. Chemin si révolutionnaire que le gros du Parti bolchevik en est épouvanté. Lénine est c< plus à gauche que la gauche ». « C'est du délire. >l Lénine estime que la révolution démocratique-parlementaire ou bourgeoise (celle du Gouvernement provi­soire, de Milioukov, de Kerensky) est achevée, et doit être immédiatement transformre en révolution socialiste, prolétarienne. Or il y a à peine plus d'un mois que le tsarisme a été abattu.