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MARIVAUX : Le Jeu de l'amour et du hasard (Analyse)

Publié le 22/02/2012

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Lorsqu'il donne Le Jeu de l'amour et du hasard au Théâtre-Italien, Marivaux a quarante et un ans. Cela fait dix ans qu'il est un homme de théâtre, si l'on considère que L'Amour et la Vérité, joué par les Italiens en janvier 1720, marque ses vrais débuts au théâtre, c'est-à-dire si l'on compte pour rien Le Père prudent et équitable, une comédie en vers qui ne fut jamais jouée, si ce n'est par des théâtres de société, et qu'il fit imprimer en 1712, à son entrée dans le monde des lettres. Le Jeu est la seizième pièce qu'il écrit, la quinzième qu'il fait jouer : Marivaux est un auteur chevronné, qui a déjà connu des succès et des revers. Dès 1720, Arlequin poli par l'amour a recueilli les faveurs du public. La même année, l'échec retentissant de La Mort d'Annibal, une tragédie en vers, a définitivement orienté le génie de Marivaux vers sa véritable voie : pour le théâtre, il n'écrira plus que des comédies en prose.
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« de langage d'Arlequin, le marivaudage, lié aux désirs et aux réticences de Silvia et de Dorante.Si le hasard — bien surveillé — préside aux deux premiers actes, c'est l'amour qui met en scène le dernier : dumoment où Silvia, une fois détrompée, décide pourtant de pousser le jeu jusqu'au bout (II, 13), le principedramaturgique est modifié ; on, se retrouve dans le cadre, également cher à Marivaux, de l'épreuve.

Non que lehasard et la chance aient perdu toute place dans l'action : Silvia joue son bonheur à quitte ou double, et il s'en fautd'un cheveu que la mésentente ne l'emporte sur l'aveu (cf.

la fausse sortie de Dorante, III, 8).

La scène réglée parl'amoureuse conserve l'instabilité essentielle des jeux de hasard.Le rythme général, rapide et enlevé, explique que Le Jeu ait été relativement épargné par la critique de l'époque ;celle-ci reprochait à Marivaux le manque d'action de ses pièces, et par action, on entendait alors ces événementsextérieurs susceptibles de créer des péripéties.

Pas d'enlèvements, pas de pirates barbaresques, pas dereconnaissance fortuite dans cette forme de comédie, aussi close sur elle-même que l'était la tragédie classique.

SiLe Jeu tourne vite et bien, il n'en reste pas moins que le mouvement marivaudien par excellence, ce n'est pas le pasde charge, mais l'imperceptible tremblé du coeur.

Les contemporains avaient raison de se plaindre en jugeant quel'action n'avançait pas assez vite : le plaisir du texte, chez Marivaux, correspond au surplace del'action.

Dans les plus belles scènes, il ne se passe rien, sinon le trouble de deux coeurs, entre l'angoisse et l'extase. 2.

Les personnages « D'une certaine manière, tous les personnages de Marivaux vivent ou revivent un commencement du monde et dela société », écrit B.

Dort, qui insiste avec raison sur la très grande jeunesse des héros.

Dans Le Jeu, la distributionillustre ce point : à l'exception d'Orgon, tous les rôles supposent la liberté de la jeunesse, son inexpérience et safantaisie.La symétrie apparente des situations fait ressortir les différences réelles plutôt qu'elle ne les dissimule : différencesentre maîtres et serviteurs, d'une part, si flagrantes que les premiers spectateurs trouvèrent choquant, du point devue de la vraisemblance, que Silvia puisse se laisser prendre au déguisement d'Arlequin ; différence entre les sexes,également, car si le stratagème est le même au départ, il diffère dans ses conséquences et dans son évolution.Si Dorante et Silvia prennent le masque en même temps, ils ne le quittent pas ensemble.

Le déshonneur estévidemment plus grand pour Silvia : qu'une fille bien née écoute les avances d'un domestique est un fait aberrantdans les moeurs du temps, sans commune mesure avec la situation faussement symétrique du fils de famille éprisd'une servante.

L'atmosphère libertine installée par la Régence a banalisé les amours ancillaires, que la modificationde la condition domestique favorisait.

Les Goncourt notent avec justesse que les servantes, au cours du siècle, serapprochent de leurs maîtresses pour en devenir des sortes de suivantes : « Les grâces de la femme de chambre, cesont les grâces de Marton devenant les grâces de Suzanne.

» Silvia, c'est indéniable, souffre plus dans un premiertemps de la situation créée par le double déguisement ; mais elle prend largement sa revanche à l'acte III,puisqu'elle choisit en toute conscience, à la différence de Dorante qui agissait sans connaissance de cause, de fairesouffrir l'objet de ses désirs.

Selon le Mercure qui se fait leur écho, les spectateurs du temps jugèrent mal cetroisième acte qui leur semblait ne tenir qu'à « une petite vanité » : peut-être n'étaient-ils pas prêts à goûter uneinitiative féminine aussi impérieuse.

Mue par le soin de sa coquetterie actuelle et par le souci de son bonheur futur,Silvia exige de Dorante un complet sacrifice.

Non seulement il doit renoncer à ses intérêts matériels, mais encore ildoit prendre le risque d'offenser gravement l'amour d'un père, et, plus généralement, de heurter toutes lesconvenances sociales du temps.

Lorsque l'institution est en cause, et qu'il ne s'agit plus de liaison équivoque maisde claire mésalliance, la situation s'inverse, et Dorante se retrouve en position de victime.

Si donc Silvia a plussouffert dans un premier temps, elle a rendu cette souffrance, et l'a fait délibérément : on est presque tenté devoir, dans la manipulation lucide et enjouée qu'elle organise, une pointe de sadisme, mais l'interprétation doit êtreprudente, et ne pas méconnaître que le but du jeu est louable.

Silvia n'est pas un bourreau des coeurs : elleopprime et ne brise pas.

La torture morale qu'elle exerce a pour fin de sceller l'union heureuse, et de rendreinoubliable cet instant de l'engagement où se joue le destin amoureux des époux.

En prolongeant le jeu, Silviatémoigne essentiellement de l'extrémisme sentimental féminin.Notons que la propension à faire souffrir n'appartient pas aux femmes exclusivement.

Mario s'amuse aux dépens desa soeur (II, 11) et, s'il joue avec les sentiments qu'elle a, tout comme elle jouera avec ceux de Dorante, c'est sansavoir les mêmes excuses, ni courir les mêmes risques.Les scènes d'amour entre Arlequin et Lisette redoublent, sur le mode comique, la naissance de l'amour.

Ici, lesentiment s'égaie de couleurs franches et naïves : l'arrivisme impénitent, l'appétit sensuel et la bonne humeuroccupent ces scènes où les personnages, très vite conquis et convenant de l'être, s'épargnent de bon coeurl'oppression des premiers soupirs.

Avec les serviteurs, Marivaux figure la jouissance de s'aimer sans retard niremords.

Plus que de désir, c'est de plaisir qu'il s'agit.

On peut interpréter ce changement d'accent de deux façonsopposées.

Certains jugeront que les serviteurs sont en avance sur les maîtres, puisqu'ils parviennent rapidement aupoint où ces derniers ne manqueront pas d'arriver.

Dans ce cas, il faut croire que les serviteurs détiennent la véritéde l'amour : sans le vouloir, ils font, par leur réalisme, la critique de l'amour aristocratique, cette manière défiante des'élire et d'engager sa foi, où l'idéalisme se conjugue avec l'orgueil pour différer le consentement.

Mais à l'inverse onpeut soutenir que les domestiques sont plus attardés qu'en avance.

Dans cette perspective, ils seraient en deçà del'amour ; exclus de l'ordre du désir, ils illustreraient seulement une forme physique et tendrement animale de l'union.L'Arlequin au masque noir, au corps leste et ludique, n'est pas, en effet, un simple domestique ; il est aussi un êtreintermédiaire entre l'homme et l'animal dont il a gardé l'innocence et la joie.

Aussi la naïveté d'Arlequin est bien plusgrande que celle de Lisette, qui partage avec sa maîtresse le trait féminin de la coquetterie : tandis que la vanitéd'Arlequin est burlesque et déplacée, dans l'esprit de la farce, Lisette laisse percer, dans l'exécution de son rôle,quelque vanité de ses charmes (II, 1) ; vanité fort bien placée, toute dans l'esprit du marivaudage.

Ainsi, le couple. »

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