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SAINT-SIMON: Mémoires (Fiche de lecture)

Publié le 22/02/2012

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La révocation de l'Édit de Nantes, sans le moindre prétexte et sans aucun besoin, et les diverses proscriptions plutôt que déclarations qui la suivirent furent les fruits de ce conflit affreux qui dépeupla un quart du royaume, qui ruina son commerce, qui l'affaiblit dans toutes ses parties, qui le mit si longtemps au pillage public et avoué des dragons, qui autorisa les tourments et les supplices dans lesquels ils firent réellement mourir tant d'innocents de tout sexe par milliers, qui déchira un monde de familles, qui arma les parents. contre les parents pour avoir leur bien et les laisser mourir de faim, qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs États aux dépens du nôtre et leur fit bâtir de nouvelles villes, qui leur donna le spectacle d'un si prodigieux peuple proscrit, nu, fugitif, errant sans crime, cherchant asile loin de sa patrie...
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« enfin pour les retranscrire avec verve et précision lui permettent de restituer de la façon la plus vivante la vie deCour.

Il excelle dans l'art du portrait et dans celui de la mise en scène. Les Mémoires offrent en effet une galerie de portraits pittoresques.

Plus de sept mille personnages traversent ces pages qui témoignent du sens inné de l'observation de-leur auteur.

Saint-Simon aura sans doute passé une largepart de son temps à la Cour à regarder, à épier l'attitude, le comportement, les faits et gestes de chacun.

Raressont les détails qui lui échappent et il décrit les êtres avec une précision qui touche autant à leur allure extérieurequ'à leur caractère: «Madame de Castries était un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bienprise, et aurait passé dans un médiocre anneau : ni derrière, ni gorge, ni menton ; fort laide, l'air toujours enpeine et étonné ; avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole.

[...] Aimable,amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec ladernière finesse, sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne jamais les oublier ; glorieuse, choquéede mille choses, avec un ton plaintif qui emportait la pièce ; cruellement méchante quand il lui plaisait, et fortbonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général.» On le voit, la précision chez Saint-Simon n'exclut pas l'expressivité.

C'est la vivacité de la phrase, la multiplicité despériodes qui contribuent à donner vie au portrait.

Ce sont aussi les expressions imagées dont Saint-Simon fait grandusage, n'hésitant pas, comme l'a montré José Cabanis dans Saint-Simon l'admirable (Gallimard, 1974), à comparer souvent ceux qu'il croque à des animaux, obéissant ainsi à un procédé très à la mode depuis La Fontaine : sous lesperruques poudrées surgissent ainsi un «chat écorché», «de longues dents de cheval», «une araignée venimeuse»,«un méchant singe», «un visage de grenouille écrasée», etc. Ce faisant, Saint-Simon nous suggère à quel point le spectacle de la Cour est autre chose que ce que l'on croitvoir.-Tel un metteur en scène, le duc fait de Versailles un théâtre où, sous les masques de la bienséance qui sontaussi ceux de l'hypocrisie, il déchiffre la vérité des cœurs.

Un des passages les plus fameux de ses Mémoires est celui précisément qu'il nomme «spectacle de Versailles» et où il «met en scène» la mort du grand Dauphin : «Tous les assistants étaient des personnages vraiment expressifs.

Il ne fallait qu'avoir des yeux, sans aucuneconnaissance de la Cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages.» Enjeu politique s'il en est, la mort de l'héritier du trône suscite l'accablement de ses partisans qui voient disparaîtreavec lui tous leurs espoirs de promotion.

À l'inverse, le parti du duc d'Orléans (dont Saint-Simon lui-même) a du malà masquer sa joie : «Ceux qui déjà regardaient cet événement comme favorable avaient beau pousser la gravité jusqu'au maintienchagrin et austère, le tout n'était qu'un voile clair qui n'empêchait pas de bons yeux de remarquer et dedistinguer tous leur traits.» Saint-Simon montre à quel point le tragique de l'événement — un homme qui se meurt — est occulté par lesintrigues d'une Cour en représentation permanente.

Et si l'écrivain semble maîtriser l'art de la mise en scène à laperfection, c'est qu'il en a appris les règles dans ce théâtre qu'est Versailles, où la réalité est jouée avant d'êtrevécue. 2.

UNE DISTANCE CRITIQUE Dans ce décalage entre la réalité et sa représentation, entre la vérité et les apparences transparaît la distance prisepar Saint-Simon par rapport au monde de la Cour.

Cette distance est d'abord celle de la clairvoyance dupsychologue qui sait mettre à nu les consciences sous le vernis des usages mondains C'est aussi celle de l'historienqui prend position contre l'évolution du régime et de la monarchie sous le règne de Louis XIV.

Si les Mémoires sont l'oeuvre d'un historien partisan, profondément hostile au Roi-Soleil, dans cet esprit partisan, la rancoeur personnelleest pour beaucoup : Saint-Simon n'a sans doute pas pardonné à Louis XIV ce qu'il considère comme un manque deconsidération à son égard.

Sans aucun respect courtisan de la personne royale, il n'hésite pas à qualifier lemonarque d'esprit «au-dessous du médiocre», et à faire de lui des portraits bien peu flatteurs : «Le Roi n'aimait et ne comptait que lui, et était à soi-même sa fin dernière.» «C'était un homme uniquement personnel, et qui ne comptait tous les autres, quels qu'ils fussent, que parrapport à soi.

Sa dureté là-dessus était extrême.» Si le duc se laisse parfois entraîner à la mesquinerie par sa susceptibilité et ses inimitiés personnelles, sa critique nese limite cependant pas au seul règlement de compte personnel.

C'est la politique conduite par Louis XIV que Saint-Simon réprouve dans sa totalité, comme preuve de la dérive absolutiste du régime.

L'un des actes politiques deLouis XIV qu'il réprouve le plus est la révocation de l'Édit de Nantes' : «La révocation de l'Édit de Nantes, sans le moindre prétexte et sans aucun besoin, et les diverses proscriptionsplutôt que déclarations qui la suivirent furent les fruits de ce conflit affreux qui dépeupla un quart du royaume,qui ruina son commerce, qui l'affaiblit dans toutes ses parties, qui le mit si longtemps au pillage public et avouédes dragons, qui autorisa les tourments et les supplices dans lesquels ils firent réellement mourir tant. »

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