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SCARRON: Le Roman comique (Fiche de lecture)

Publié le 22/11/2010

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Il y avait entre autres un petit homme veuf, avocat de profession, qui avait une petite charge dans une petite juridiction voisine. Depuis la mort de sa femme, il avait menacé les femmes de la ville de se remarier et le clergé de la province de se faire prêtre, et même de se faire prélat à beaux sermons comptants. C'était le plus grand petit fou qui ait couru les champs depuis Roland. Il avait étudié toute sa vie; et quoi que l'étude aille à la connaissance de la vérité, il était menteur comme un valet, présomptueux et opiniâtre comme un pédant et assez mauvais poète pour être étouffé s'il

y avait de la police dans le royaume.

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« «Il y avait entre autres un petit homme veuf, avocat de profession, qui avait une petite charge dansune petite juridiction voisine.

Depuis la mort de sa femme, il avait menacé les femmes de la ville dese remarier et le clergé de la province de se faire prêtre, et même de se faire prélat à beauxsermons comptants.

C'était le plus grand petit fou qui ait couru les champs depuis Roland.

Il avaitétudié toute sa vie; et quoi que l'étude aille à la connaissance de la vérité, il était menteur commeun valet, présomptueux et opiniâtre comme un pédant et assez mauvais poète pour être étouffé s'il y avait de la police dans le royaume.» (Le Roman comique, I, 8) 2.

L'ENVERS DE LA PRÉCIOSITÉ L'essor que connaît le roman dans la première moitié du XVIIe siècle est placé sous le signe du baroque.

Il s'épanouitdans deux directions, antinomiques et complémentaires.

Face au roman héroïco-sentimental, pratiqué par lesécrivains précieux comme Honoré d'Urfé ou Mlle de Scudéry, naît un roman réaliste à dominante burlesque, héritierd'une tradition qui s'est incarnée depuis l'Antiquité dans Le Satiricon de Pétrone, L'Âne d'or d'Apulée, le Gargantua et le Pantagruel de Rabelais, mais aussi dans le roman picaresque espagnol du XVIe siècle.

Ce type de roman, qui prend le contre-pied du roman précieux, inspire outre Scarron des auteurs comme Charles Sorel (1602-1674), quiécrit une Histoire comique de Francion (1623), ou encore Furetière (1619-1688) et son Roman bourgeois (1666). La première des antithèses éclatantes que propose le roman comique au roman précieux est celle du réalisme quis'oppose à la peinture de la société idéale que l'on trouve développée dans la préciosité.

Mais, on l'a vu, ce réalismes'arrange d'effets d'écriture — fantaisie, imagination, pittoresque — qui introduisent autant de distorsions dans ladescription de la réalité.

C'est dans ces distorsions que doit être trouvée la grande originalité de Scarron.

Utilisantpar exemple un procédé inverse de celui sur lequel reposait l'écriture de son Virgile travesti (user d'un style et d'images vulgaires pour conter une histoire noble), écrivain, dans Le Roman comique, se divertit à singer l'emphase des romans héroïques, en racontant une histoire qui met en scène des personnages du commun.

C'est le style héroï-comique, qui élève la moindre bagarre d'auberge au rang de grandiose bataille : «Le Destin en trois sauts fut hors de la chambre aux dépens de son pourpoint que lui déchirèrent La Caverneet sa fille en voulant le retenir.

Il entra dans la chambre d'où venait la rumeur, où il ne vit goutte et où lescoups de poing, les soufflets et plusieurs voix confuses d'hommes et de femmes qui s'entrebattaient, mêlées aubruit sourd de plusieurs pieds nus qui trépignaient dans la chambre, faisaient une rumeur épouvantable.

Il s'allamêler parmi les combattants imprudemment et reçut d'abord un coup de poing d'un côté et un soufflet del'autre [...]» (Le Roman comique, I, 12) Cette manière parodique, qui démystifie brutalement l'emphase, est plus visible encore dans une scène où, une foisde plus, un personnage se trouve aux prises...

avec un pot de chambre : «Le hasardeux Ragotin se précipita courageusement du lit en bas, mais un coup si hardi n'eut pas le succèsqu'il méritait.

Son pied entra dans un pot de chambre que l'on avait laissé dans la ruelle du lit pour son grandmalheur...

Nous le laisserons foulant l'étain d'un pied superbe pour aller recevoir un train qui entra en mêmetemps dans l'hôtellerie.» (Ibid., II, 7) Ces effets de contraste, qui suscitent le burlesque et affichent l'intention parodique du roman, ont aussi un sens plus profond.

Derrière l'aspect trivial et prosaïque de l'histoire surgit une image complexe de la réalité conforme à l'esthétique baroque et à la conception que Scarron a du monde. 3.

DÉSORDRES ET RUPTURES: LE SENS DE L'ESTHÉTIQUE BAROQUE Dans cette première moitié du xvne siècle, le monde vu à travers le prisme baroque est un monde en mouvement, oùse font jour de multiples contradictions.

C'est l'homme aux prises avec ces contradictions que peignent lesromanciers du burlesque, le montrant sous un jour nouveau, n'hésitant pas à insister sur toutes les formes de sonambivalence (celle du corps et de l'esprit, de l'être et du paraître, du rêve et de la réalité).

Cette ambivalenceparcourt tout Le Roman comique, qui oscille sans choisir entre l'étude réaliste des moeurs et le romanesque des histoires d'amour, entre le burlesque et l'imagination fantaisiste où s'immisce parfois le rêve. Autre aspect de l'esthétique baroque, la liberté de construction domine le Roman comique.

Scarron, largement influencé par les romanciers espagnols, intègre dans la trame de son récit quatre nouvelles traduites de l'espagnol,introduites chaque fois par un narrateur, et qui n'ont aucun rapport avec l'action principale.

Il en résulte une œuvretouffue, qui semble parfois partir dans tous les sens.

Cet apparent manque de cohérence n'est qu'une manifestationde l'esthétique baroque, qui privilégie le mouvement, l'inattendu, voire le désordre et une certaine outrance,témoignages de l'incertitude d'un monde dans lequel le hasard est maître.

Et c'est encore au hasard que se réfèrent. »

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