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Alcibiade et l'expédition de Sicile

Publié le 30/08/2012

Extrait du document

La situation à Sparte à ce moment était plutôt en faveur d’une non-intervention, et Sparte envisageait seulement d’envoyer des émissaires au Syracusains pour les dissuader de s’entendre avec Athènes. C’est dans ce cadre que se tînt l’assemblée. Thucydide nous rapporte le discours que tint Alcibiade lors de cette assemblée pour écouter les propositions des Syracusains et des Corinthiens. Ce discours marque une trahison telle que l’on n’en verra pas d’autre dans l’Histoire : Alcibiade décrivit en détail le plan d’attaque des Athéniens, et comment le déjouer de manière précise. Qui mieux que lui, l’instigateur de l’expédition, ne le connaît ? Par un habile discours, il dissipa les craintes des Lacédémoniens, en leur expliquant qu’il avait tenté de renouer les relations avec Sparte, et que s’il avait été stratège d’une démocratie, c’est que sa famille, hostile à la tyrannie, avait fini par accepter cette démocratie, qui tournait à l’extrême, bien que lui même fut partisan de l’oligarchie. Il s’attela ensuite à exposer l’aide qu’il avait promis aux Spartiates en échange de l’hospitalité. Il révéla tout d’abord le véritable dessein de l’expédition, en ne mentionnant pas que c’était son projet et que personne d’autre que lui n’était au courant de cette entreprise, mais bien que c’était une décision d’Athènes que les stratèges devaient mettre à exécution, et que même sans lui ils allaient le poursuivre. Il fît ceci pour montrer aux Lacédémoniens que bien que le théâtre des opérations soit lointain, les répercussions pourraient retomber directement jusque sur Sparte. Ayant acquis l’écoute de son auditoire, il présenta les actions que devait mener Sparte et ses alliés pour empêcher cela : il fallait créer une diversion en Grèce en occupant et fortifiant Décélie, aux portes de l’Attique, pour la désorganiser, et ainsi désorganiser l’exploitation des mines d’or du Laurion et du même coup porter un rude coup à la puissance financière d’Athènes. Le plus frappant dans son discours est l’audace dont il fait preuve en tenant des propos justifiant sa conduite : « Et je demande que personne d’entre vous ne me juge défavorablement si, moi qui passais naguère pour avoir l’amour du pays, je marche aujourd’hui à toute force contre ma patrie avec ses plus grands ennemis ; que non plus l’ardeur de l’exilé ne crée pas de préventions contre mes paroles. Exilé je le suis ; mais je me dérobe ainsi à la méchanceté de qui m’a chassé, non à la possibilité, si vous m’écoutez, de vous être utile. Et les plus grands ennemis d’Athènes, d’autre part, ne sont pas ceux qui, comme vous, visaient en elle l’ennemie, mais ceux qui ont contraints ses amis à lui devenir ennemis. Quant à l’amour du pays, je ne l’éprouve point là où l’on me fait tort, mais la où en sécurité j’exerçais mes droits politiques ; à mon sens, il n’est pas vrai que j’aie une patrie et qu’aujourd’hui je marche contre elle : bien plutôt elle a cessé d’être, et je veux la reconquérir. Et l’on a vraiment l’amour du pays, non pas quand, après l’avoir injustement perdu, on se refus à mâcher contre lui, mais quand, par tous les moyens, dans l’ardeur de son désir, on s’efforce de la recouvrer. «. Voilà ici le moyen par lequel il justifie ses actions, sa trahison, qui vont amener à la défaite athénienne et ruiner sa puissance. Certains conseils donnés par Alcibiade furent écoutés, d’autre non. Le premier adopté fut l’envoi d’une armée à Syracuse, sous le commandement de Gylippe, qui fut chargé de préparer les armées avec les Corinthiens. La seconde fut la fortification de Décélie qui permettrait de ravager l’Attique et qui ferait peser sur Athènes une menace permanente. A partir du moment où ces décisions furent prises, c’en fut fini de l’expédition athénienne. Malgré l’envoi d’une nouvelle flotte, d’hommes et de moyens supplémentaire, sous le commandement de Démosthène, rien n’y fit. Son plan échoua, et l’indécision de Nicias quand à un retour à Athènes fut fatal pour Athènes : perdant sa flotte et se retrouvant acculée sur terre, l’armée athénienne se fît massacrés, les prisonniers subirent une véritable torture dans les latomies de Syracuse, et Nicias et Démosthène furent mis à mort. 

« Athéniens furent donc renvoyés chez eux.

Mais cette affaire refléta encore une fois l'impérialisme propre à Athènes, avec son besoin de s'accroître encore et toujours,ce que condamnait pourtant Périclès qui savait que la victoire pouvait lui être acquis seulement « si vous consentez à ne pas étendre votre domination dans le tempsoù vous êtes en guerre, et à ne pas aller chercher délibérément des périls supplémentaires (car je crains plus nos fautes à nous que les desseins de l'adversaire) ».

MaisPériclès n'était plus lors de l'envoi des ambassadeurs des deux cités siciliennes, et pour un Alcibiade qui voulait surpasser ses prédécesseurs, Thémistocle et Périclès,c'était une occasion en or de devenir le stratège qui offrirait à Athènes un nouveau territoire où asseoir sa domination.

En effet on peut bien parler ici de conquête, lesintentions athéniennes n'étaient pas seulement de ramener l'ordre dans la grande île, car Thucydide nous dit que « C'est contre une île de cette importance que lesathéniens brûlaient de faire campagne.

Leur plus véritable motif était le désir qu'ils avaient de se la soumettre toute entière ; mais ils voulaient en même temps, par unprétexte spécieux, porter secours à leurs frères de race et aux alliés qu'ils s'étaient acquis ».

Mais pour pouvoir mener à bien cette entreprise, Alcibiade devait toutd'abord convaincre l'Assemblée. La première partie des deux livres que consacra Thucydide à l'expédition de Sicile concerne la mise aux voix de l'envoi d'une expédition en Sicile.

Une premièreassemblée décida de l'envoi d'une flotte de soixante navires dès le retour des ambassadeurs athéniens, rapportant soixante talents d'argents de Ségeste, couvrantl'entretien pendant un mois de la flotte athénienne, et laissant miroiter d'autres richesses, Ségeste promettant de financer la flotte expéditionnaire.

Les stratègesdésignés furent Alcibiade, Nicias et Lamachos pour conduire l'expédition.

Cinq jours plus tard, lors d'une assemblée décidant les moyens à mettre à dispositions desgénéraux, Nicias en profita pour faire un discours et redemander un vote pour décider l'envoi de l'expédition, considérant que la cité fut « mal inspirée ».

Au cours dece discours, il attaque personnellement Alcibiade, l'accusant de ne pas servir le bien de la cité, mais ses propres intérêts, en voulant s'attirer la gloire, et tirer desbénéfices pour couvrir ses dépenses.

Et cela nous est confirmé par Thucydide lui-même qui nous apprend que les goûts d'Alcibiade « le portaient au delà de ce quelui permettaient ses ressources, tant pour l'entretien de son écurie que pour ses autres dépenses ».

Nicias fit miroiter dans son discours les dangers qu'encouraientAthènes si elle mettait en place une telle expédition : tout d'abord la situation en Grèce n'était pas stable, la difficulté d'une conquête aussi lointaine, et lesconséquences que pourraient avoir un échec.

Car si Athènes échouait, il se pourrait fort bien que Syracuse s'allie à Sparte pour se venger de l'attaque qu'elle auraitsubit, alors que pour le moment une alliance entre Syracuse et Sparte n'eût aucune raison d'être.

Ce dernier argument n'était pas forcément valable : lors de lapremière expédition de Sicile, Syracuse imposa son point de vue aux autres cités de l'île, et permettait aux Athéniens de se demander si Syracuse ne pourrait pas finirpar poser un problème à ses alliés et aux autres cités libres de l'île.

Laissée seule, elle pourrait se développer, gagner en pouvoir et un jour devenir l'allié desPéloponnésiens, puisqu'elle a été fondée par Corinthe, alliée de Sparte et hostile à Athènes.Lorsque ce fut au tour d'Alcibiade de prendre la parole, il répondît d'emblée aux attaques personnelles qu'il subît de la part de Nicias.

Tout de suite transperce lesentiment de supériorité qui nourrît Alcibiade, commençant son discours en disant que « Plus que tout autre, j'ai des droits, Athéniens, à exercer le commandement ».Il fait un parallèle entre sa gloire et celle de la cité, entre sa fierté et celle de la cité, entre ses propres ambitions et l'impérialisme de la cité.

Il se considérait comme lecontinuateur de Périclès, le premier citoyen, le représentant et l'incarnation humaine de la cité.

Pour prendre à contrepied Nicias qui exposait les dangers encourus parAthènes si elle se lançait dans une expédition, Alcibiade usa de toute son habileté, de ses talents d'orateurs et de la connaissance du dossier dont il était le plus ardentdéfenseur.

Pour ce qui concernait les dangers proches d'Athènes, il soutînt que l'alliance argienne permettrait de maintenir un statu quo, et qu'en cas d'une invasion del'Attique, la flotte athénienne permettrait de contrebalancer l'incursion spartiate.

De plus, avançant une théorie nouvelle, il alla plus loin que Périclès.

Ce dernieraffirmait qu'Athènes ne pouvait abandonner son empire, et qu'il fallait maintenir son emprise dessus, sans pour autant faire de nouvelles conquêtes.

Pour Alcibiade,Athènes ne pouvait renoncer à conquérir, elle était la première puissance, elle se devait non seulement de venir en aide aux cités qui lui réclamait, mais surtout, plusque d'une simple aide, être un arbitre, mais surtout dominer.

On ne pouvait arrêter l'impérialisme athénien, on ne pouvait prôner la neutralité, il fallait aller de l'avantpour l'entretenir.

Et loin de riposter par une contre attaque aux propos de Nicias à son égard, il montra le bénéfice que retirerait Athènes d'une collaboration entreNicias et lui-même, esquivant ainsi l'attaque que porta Nicias sur la jeunesse dans son discours.

Voyant que le discours d'Alcibiade fit mouche dans l'assemblée,Nicias décida de remonter à la tribune pour un deuxième discours.

Il décida, pour décourager l'Assemblée de voter en la faveur de l'expédition, de soulever laquestion des efforts et des vastes moyens que devrait mettre en place la cité pour engager un tel effort.

Mais son discours eu l'effet contraire, et cela enthousiasma lesfoules, prêtes à consentir à un effort considérable qui ne l'en ferait que ressortir grandie.C'est dire les qualités d'orateur et la popularité dont jouissait Alcibiade et qui lui permirent de mener à bien son projet.

Nicias, qui tenta de stopper l'expédition, ne fitqu'aider Alcibiade.

Enflammée par tous ces discours, l'Assemblée ne vota rien de moins que l'envoi de cent trières, des navires de transports, cinq mille hoplites, uneinfanterie légère, l'affectation des 3000 talents en réserve à l'Acropole avec défense de les utiliser pour autre chose, et la confirmation des pleins pouvoirs desstratèges.

Ce fut un grand succès pour Alcibiade, et le départ de l'expédition fut vraiment fastueuse, en contraste de ce que fut sa fin.

Avec tous ces moyens,Alcibiade allait pouvoir conquérir la Sicile, et devait voir la concrétisation de ses projets.Mais qu'étaient réellement ses projets ? Ses contemporains n'en avaient strictement aucune idée.

Le seul moment où ils ont pu en avoir une idée est lors du discoursqu'il tint à Sparte et que nous rapporte Thucydide, lorsqu'il dît : « Nous sommes partis pour la Sicile, d'abord, si nous le pouvions, afin de soumettre les Siciliens, etaprès eux les Italiens à leur tour ; ensuite, afin de faire une tentative contre l'empire carthaginois et Carthage elle-même.

Que ce projet réussît, soit complètement, soitmême en majeure partie, nous nous attaquions alors au Péloponnèse, ramenant d'abord en totalité les forces grecques que nous nous étions adjointes là-bas, puis denombreux barbares que nous prenions à notre solde, Ibères et autres, reconnus comme étant, parmi les barbares de là-bas, les plus belliqueux, enfin des trières quenous construisions en quantité en plus des nôtres, grâce au bois abondant d'Italie.

Avec elles nous tenions le Péloponnèse assiégé de toutes parts ; en même temps, lesforces d'infanteries y faisaient des poussées sur terre, et nous emportions ses villes de force, ou bien dressions contre elles des fortifications : nous espérions donc,dans la guerre, le réduire aisément, et, après cela, étendre notre empire à la Grèce toute entière.

».

Il est intéressant de noter ici l'emploi du nous, pour désigner tousles Athéniens.

Car en effet, qui parmi les membres de l'Assemblée se doutait des réels desseins d'Alcibiade ? Personne.

La domination de la Sicile aurait déjà été ensoit une victoire considérable, faisant passer Alcibiade pour le plus grand général athénien, surpassant Périclès et Thémistocle.

Alors aller jusqu'à rêver d'unedomination sur l'Italie et les Carthaginois, une victoire définitive sur les Spartiates et une hégémonie sur la Grèce entière ? Je ne pense pas que quelqu'un d'autre quelui ait pu imaginer une telle entreprise.

L'Assemblée n'eut jamais qu'à statuer sur une expédition purement sicilienne.

Sans ce discours qu'il tînt aux Spartiates et quenous rapporte Thucydide, nous n'aurions jamais connu les projets d'Alcibiade.

Comme le dit Jacqueline de Romilly dans sa biographie sur Alcibiade, « Au contrairedes poupées russes qui en contiennent des infiniment plus petites, l'ambition d'Alcibiade s'ouvre sur des intentions de plus en plus grande.

». Cependant, malgré la réussite de la mise en marche de l'expédition, il se retrouvait empêtré dans une affaire qui aurait pu lui coûter la direction de l'expédition dès ledébut, c'est la mutilation des Hermès.

Pendant une nuit, tous les Hermès de la ville furent mutilés.

Les seuls contemporains à nous rapporter les faits sont Thucydideévidemment, ainsi qu'Andocide, orateur dont nous avons conservé deux discours.

Ce sacrilège, car vraiment c'en était un, chamboula la cité et y fit peser uneatmosphère de suspicion.

Jean Hatzfeld se propose de dater l'attentat, qui aurait eu lieu lors d'une nouvelle lune pour permettre aux criminels d'agir dans l'obscurité,au 7 ou 8 juin de l'année 415, et la dénonciation de Diocleidès au début du mois de juillet.

La mutilation de tous les Hermès indiquait une intention précise d'ungroupe déterminé, et faisait planer l'ombre d'un complot, visant peut-être, dans cette période de grands préparatifs pour le départ de la plus grande expéditionqu'Athènes n'ait jamais lancé, à un renversement de la démocratie.

Et ce n'est pas un hasard si ce cet acte est intervenu à ce moment-la précis.

Le spectre de latyrannie et de l'oligarchie plana au dessus d'Athènes, elle, championne de la démocratie face à Sparte l'oligarque.

Ce sacrilège fut surement l'œuvre de quelqueshétairies, qui revinrent souvent dans les témoignages des dénonciateurs, et qui agitèrent Athènes lors des troubles de 411.

Tout de suite une atmosphère de soupçonpesa dans toute la cité, entre accusations et dénonciations, qu'elles soient vraies ou fausses, chacun profitant de cette occasion pour faire dénoncer ses ennemispolitiques.

Et le premier touché fut Alcibiade.

Non pas pour la mutilation des Hermès, mais pour l'affaire de parodie des Mystères d'Eleusis.

Lors des diversesdénonciations, précédant le départ de l'expédition, un esclave, Andromachos, déclare avoir vu Alcibiade prendre part non pas à la mutilation des Hermès, mais à uneparodie des Mystères.

C'est bizarrement juste après la prononciation d'un décret suivant la mutilation des Hermès qui ordonnait de dénoncer « tout autre sacrilège ».Dans le climat qui régnait dans la cité, et les citoyens, pensant que ces sacrilèges préludaient au renversement de la démocratie, ne tardèrent pas de faire le lien entreles deux : si Alcibiade était coupable pour l'un, il devait avoir un rapport avec l'autre.

De plus, qui mieux qu'Alcibiade pouvait représenter l'oligarchie, et a fortiori latyrannie ? Lui, par son attitude ambitieuse, son insolence.

Il fut cependant le premier à demander une enquête, en demandant que s'il était coupable, qu'on lecondamne sur le champ, mais qu'on n'attende pas qu'il soit loin pour le calomnier alors même qu'il ne pourrait pas se défendre.

Les éléments étant minces, et le faitque les gens pensaient, comme nous le disions, que c'était grâce à lui que les Mantinéens et les Argiens les avaient rejoint dans l'expédition, on le laissa partir.

Cetteaction n'était cependant pas anodine.

Si on l'avait jugé sur le moment avec les autres coupables arrêtés, il aurait surement été acquitté, lui le stratège populaire dansl'armée, l'instigateur de l'expédition.

Ses détracteurs, montant à la tribune, feignirent de porter tellement d'attention à la réussite de l'expédition que le jugementd'Alcibiade lui porterait préjudice, et qu'on le jugerait à son retour.

Ce ne fut donc qu'un sursis provisoire.. »

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