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L'année 1998 dans le monde

Publié le 05/12/2018

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Le souffle du XXIe siècle aura fait frissonner l'échine du monde avec deux années d'avance. Certes, 1998 n'aura pas été marquée par un de ces événements qui, à l'échelle de l'histoire, constitue une telle rupture que le passé paraît, soudain, totalement révolu. Mais, presque insidieusement, la toile de fond de nos vies a disparu pour laisser place au décor de notre futur : la mondialisation.

 

Ce phénomène est le fil conducteur de ces douze mois, et la trame certaine de nos lendemains. L'expression a triomphé parce qu'elle est, bel et bien, devenue réalité. Elle s'est incarnée dans des faits qui n'ont rien de commun entre eux : la politique l'a découverte avec l'affaire Clinton-Lewinsky, internationalisée sur Internet ; l'économie, dans le grand remue-ménage de la crise asiatique et le Meccano des méga-fusions, en a fait sa règle officielle; le sport, à l'occasion du Mondial, a démontré que rien, aujourd'hui, ne peut échapper à cette moulinette planétaire.

 

Tout, désormais, est instantané et immédiat. La Terre est une sphère électronique qui anéantit l'espace et le temps. En marche depuis quelques années déjà, la globalisation est la marque certaine du prochain millénaire.

 

C'est une révolution, mais nul n'en prend encore la pleine mesure. Quels en sont les bénéfices réels ? Quels risques fait-elle courir? L'existence des individus en est bouleversée. Celle des États aussi.

 

Car ce nouveau périmètre impose de revoir tous les principes de vie commune des nations. L'affaire Pinochet en aura été, cette année 98, l'illustration flagrante : elle signe l'émergence - difficile - d'une nouvelle justice démocratique transnationale et supérieure.

 

Bien entendu, le rôle de la technologie dans ce grand passage est considérable : la toile proliférante de l'Internet est la traduction, high-tech, de la mondialisation. Et, sans doute, en est-elle l'une des causes. La république de Gutenberg s'efface devant la démocratie de Gates : l'une allait très profond mais lentement, l'autre va partout et très vite ; l'une fixait les convictions et les croyances, l'autre les chahute et les balaye ; l'une en appelait d'abord à la réflexion, l'autre fonctionne avant tout sur l'émotion.

 

Bref, 1998 restera comme l'an I d'un nouvel ordre mondial qui bouleverse nos valeurs et devrait donner naissance à un régime de vérité et de justice dont nul ne peut dire encore s'il sera un progrès.

 

L'affaire Clinton-Lewinsky est-elle, en effet, un progrès? Ce grand déballage, strip-tease politico-sexuel inédit, aura occupé les douze mois de cette année. Bien sûr, nombre d'événements ont scandé l'actualité internationale - le conflit du Kosovo, le départ de Suharto en Indonésie, les troubles sanglants du Congo Kinshasa, la victoire des socialistes en Allemagne ou l'annonce du départ du général Zeroual en Algérie -, aucun, cependant, ne porte en lui

« des traces de nouveauté comparables à celles que l'on trouve dans le feuilleton judiciaire de la Maison-Blanche.

Le Monikagate n'a, de fait, rien à voir avec le scandale du Watergate, même si son enjeu est la présidence des États-Unis.

Ce soap opera tranche avec le passé parce que, pour la première fois dans l'histoire des nations démocratiques, un chef d'État est mis en cause sur sa vie privée.

L'un des progrès, précisément, des deux derniers siècles, avait été l'affirmation d'une chose publique supérieure à la somme des intérêts particuliers, le triomphe des notions de République et d'intérêt général.

Autant de concepts qui ont permis de découpler les sphères du public et du privé, en particulier dans la gestion politique de l'É tat.

Ainsi, le Monikagate est un grand bond en arrière, une remise en cause d'un acquis plus républicain que démocratique.

Les assauts du procureur Kenneth Starr n'ont rien à voir avec ceux du sénateur McCarthy contre des prétendus communistes au début des années 50.

L'Amérique est passée du procès politique contraire à l'esprit démocratique à un procès privé contraire à l'esprit républicain.

Cette dérive inquisitoriale -dans laquelle ne sont plus défendus les principes de l'É tat mais une morale personnelle dont la justice, par une sorte de golpe institutionnel, s'approprie la définition - a trouvé, en outre, son terreau idéal les médias, toujours en quête de spectaculaire.

La mondialisation de l'actualité a fait de l'information un marché dans lequel tous les coups ou presque sont bons pour l'emporter, c'est-à-dire être le premier.

Aller toujours plus vite, frapper toujours plus fort, tel est le code de conduite de la médiasphère mondiale.

C'est ainsi que le Monikagate a été utilisé comme produit d'appel pour la promotion d'Internet, nouveau média à la recherche d'une clientèle élargie.

Le web a trouvé là l'occasion éclatante de faire la preuve de sa spécificité : instantanéité de l'information, capacités illimitées de diffusion, approche planétaire et interactive.

Plus rien ne sera comme avant dans le monde de l'information après cet événement, qui ouvre, d'ailleurs, un débat capital : déboulons-nous dans une société de la communication -dans laquelle l'émetteur cherche à manipuler l'opinion - ou pénétrons-nous dans une société de l'information -dans laquelle le médiateur s'emploie à objectiver les faits et recherche la vérité? Cette interrogation est fondamentale car, de la réponse qui lui sera apportée dépend l'évolution de la démocratie.

C'est-à-dire la libre détermination des individus dans le prochain millénaire.

Un cycle long, au fond, se referme deux siècles après son apparition.

La Révolution française avait accouché de deux concepts : la république et la démocratie.

L'une et l'autre ont triomphé mais l'une et l'autre, qui ont relevé tant et tant de défis, sont, aujourd'hui, mises à mal par le changement d'échelle de la mondialisation.

Pourra-t-on appliquer à la planète des recettes et des principes adaptés aux cadres nationaux, plus étroits? Comme lors du Monikagate, c'est la justice qui a, en s'emparant du dossier Pinochet, donné un coup de boutoir dans un ordre international établi.

La souveraineté des États est remise en cause dans ses fondements mêmes dès lors que la justice nationale peut être contestée, contournée ou ignorée.

Pour des raisons de politique intérieure, le Chili avait renoncé à poursuivre l'homme qui lui avait imposé sa férule.

L'Espagne, au nom de la justice, l'a fait et a mis sous pression les pays occidentaux -la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis, etc.

-pour qu'ils lui emboîtent le pas.

Le fait est majeur, mais représente-t-il l'avènement d'une nouvelle justice démocratique? Pendant que le général Pinochet découvre que sa version des valeurs chrétiennes ne justifie pas toutes les exactions et que la justice ne se réduit pas à un peloton d'exécution, que de dictateurs courent encore et, plus terrible, sévissent encore! L'Europe prétend donner l'exemple, mais elle a beaucoup de chemin à parcourir.

C'est chez elle que sévit le Serbe Slobodan Milosevic.

C'est dans l'espace européen qu'a été inventée la notion d'épuration ethnique.

C'est l'Union européenne qui, cette année, aura laissé éclater le drame du Kosovo.

Paradoxale Europe, qui fabrique son unité monétaire et affiche au même moment. »

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