Le Front populaire vu par P. Mendès-France
Publié le 17/01/2022
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Questions :
1. Expliquez le premier paragraphe.
2. Expliquez les phrases en écriture penchée dans le texte.
3. Comment l'auteur explique-t-il l'échec du Front populaire? Ne peut-on invoquer d'autres raisons?
Document
« La politique systématiquement déflationniste qui avait prévalu en France depuis le début de la grande crise avait manifestement échoué. Il faut se souvenir que, dans les années suivantes, la plupart des autres pays du monde étaient sortis de la crise de 1930. Ils avaient abandonné un certain nombre de principes monétaires classiques et orthodoxes et, grâce à cela, ils étaient sortis de la dépression et avaient redressé leur production (...)
C'est dans ce contexte que, pour la première fois en France, un gouvernement à direction socialiste prenait le pouvoir. Il y eut d'abord un effet de surprise. Personne ne s'y attendait; puis un moment d'attente curieuse et même une sorte de confiance relative en un gouvernement plus capable qu'un autre, après tout, de faire évacuer les usines occupées par les grévistes et de calmer la classe ouvrière. Mais cela ne dura que peu de semaines. Bientôt la présence des socialistes à la tête du pouvoir suscitait parmi les possédants, non seulement les grands, mais aussi les moyens et parfois chez les plus modestes, une émotion qu'on ne peut imaginer aujourd'hui. De puissantes forces, travaillant au grand jour, exploitaient cette émotion. (...). Ce gouvernement, il va d'abord parer au plus pressé; avant tout il s'agit de relancer la vie économique, la production. (...) Les mesures prises en quelques semaines constituent à cet égard un ensemble impressionnant. (...) Tout tendait à mettre un terme à la politique de déflation, à reconstituer le pouvoir d'achat, à stimuler la production. (...) Par contre certaines lois avaient un caractère un peu différent et sortaient en réalité du sytème. (...) Ce n'est donc pas sans raison que le souvenir de 1936 est resté très profondément ancré dans l'esprit de la classe ouvrière. Ces lois avaient une portée d'émancipation, de libération; elles transformaient la nature des relations entre employeurs et employés. (...) Au printemps 1937, le bilan de la gestion était positif. Six mois après la dévaluation, les indices de la production s'étaient redressés; le pouvoir d'achat ouvrier et paysan s'était amélioré, même si on tient compte de la hausse des prix; le chômage était en voie de réduction. Je crois que si les circonstances politiques n'avaient pas été aussi contraires, (...) l'entreprise se serait poursuivie d'une manière finalement satisfaisante «.
P. Mendès-France : Exposé-débat du 26 avril 1965 à l'Ecole normale supérieure. Cité dans : G. Lefranc, « L'Expérience du Front populaire «.
1. Né en 1907, fut en 1938, sous-secrétaire d'État au Trésor dans le second cabinet Blum et président du Conseil en 1954-1955.
«
• Le fétichisme du franc.
L'histoire monétaire de la France (échec de Law, chute vertigineuse des assignats lors dela révolution française, baisse du franc entre 1914 et la dévaluation du «franc à quatre sous» de Poincaré en 1928)a conduit les Français à une crainte instinctive de toute dépréciation monétaire.
Cet attachement s'explique aussipar le rôle des « petites économies » dans la vie des Français de l'époque.
Seule l'épargne accumulée peut lesassurer contre les principaux risques de l'existence (maladie, chômage, vieillesse) .
Les « petits épargnants » sontdonc particulièrement nombreux en France.
Leur poids électoral est considérable.
Ils votent en général pour lagauche modérée ou radicale, mais toute atteinte à leur épargne par le biais de l'inflation risquerait, comme en 1928,de les rejeter à «droite».
Comme le dit Herriot : « Les Français ont le cœur à gauche, mais le portefeuille à droite ».
• La politique déflationniste vise, tout en maintenant la valeur de la monnaie, à sortir de la crise par la relance dumarché extérieur.
Mais, pour que les prix des produits français soient compétitifs sur les marchés mondiaux, il fautréduire leur prix de revient et notamment les salaires.
L'État doit montrer l'exemple en rétablissant son équilibrebudgétaire tout en allégeant la pression fiscale; il est donc amené à limiter ses dépenses.
Une large fraction del'opinion publique condamne du reste les « budgétivores » : fonctionnaires trop nombreux, salariés bénéficiaires des« assurances sociales »» versées en partie par l'État, etc.
Les décrets-lois de Laval, en 1935, symbolisent cettepolitique : ils réduisent autoritairement les traitements des fonctionnaires, les loyers, les fermages, de 10%.
• L'échec.
La politique déflationniste maintient la France dans la crise.
Les exportations françaises se heurtent auxbarrières douanières protectionnistes dont s'entourent les États étrangers et ne peuvent surmonter le handicapsupplémentaire des dévaluations importantes des principales monnaies.
La demande intérieure, encore freinée par laréduction des revenus, ne peut pas davantage assurer la relance économique.
La production continue de baisser etle chômage d'augmenter.
2.
La réussite étrangère
L'échec de la politique déflationniste poursuivie en France est plus flagrant encore quand on compare, en 1935-1936, la situation de la France et celle des autres grandes puissances économiques comme les États-Unis,l'Angleterre et l'Allemagne qui ont suivi des politiques fort différentes.
• L'influence de Keynes.
Ces États étrangers, rejetant les théories « monétaristes » classiques, s'appuient aucontraire sur les théories de l'économiste anglais Keynes.
Celui-ci estime que la crise est due à une insuffisance dela demande (consommation et investissement).
Il préconise, pour assurer la reprise, l'intervention de l'État etsurtout l'augmentation de ses dépenses même au prix d'un déficit budgétaire.
• L'abandon de P« orthodoxie monétaire».
Dès 1931, l'Angleterre avait abandonné l'étalon-or et laissé « flotter » lalivre sterling qui ne tarde pas à perdre 30% de sa valeur.
En 1933, Roosevelt suspend également la convertibilité dudollar qui baisse aussitôt avant d'être stabilisé, en janvier 1934, après une dévaluation de 40 %.
En Allemagne, ledocteur Schacht utilise la technique financière originale des « traites de travail » pour financer les travaux entreprispar l'État.
Souvent, ces manipulations monétaires s'accompagnent d'un déficit budgétaire important destiné àcouvrir les fortes dépenses engagées par l'État.
• Les pays étrangers « sortis de la crise ».
Toutes ces mesures, assorties d'autres actions corollaires (commel'A.A.A.
et le N.I.R.A.
du New Deal ou même le réarmement en Allemagne) avaient pour but, en allégeant les dettesdes débiteurs, en stabilisant les revenus paysans, en réduisant le chômage, en revalorisant les salaires etc., derelancer la demande intérieure.
Les États-Unis insistent particulièrement sur l'augmentation de la consommation desplus défavorisés.
Partout la production remonte.
Mais il convient ici de souligner l'ambiguïté de l'expression utiliséepar Mendès-France : en réalité, ces pays amorcent une remontée mais ils n'ont pas encore, en 1936, retrouvé leurniveau de 1929.
Leur réussite est donc relative.
Elle est même fragile dans certains cas comme le prouve la «rechute » américaine en 1937.
II.
La victoire du Front populaire
1.
« Un effet de surprise »
Il peut paraître à priori étonnant que l'une des plus grandes victoires de la gauche en France ait provoqué, selonMendès-France, une surprise.
Mais il y eut, en réalité :
• Une victoire électorale étriquée.
Malgré les apparences, en effet, la victoire du Front populaire n'est considérablequ'en ce qui concerne les gains de siège (378 pour l'ensemble de la gauche contre 327 en 1932).
Mais elle ne futobtenue que par un déplacement des voix relativement limité, de l'ordre de 300 000 voix, soit 3 % à peine du corpsélectoral.
Il ne s'agit donc pas d'un « raz de marée » électoral qui eut été aisément prévisible.
• La discipline de vote, surtout, constitue la véritable surprise de ces élections.
L'accord du Front populaire stipulait,en effet, que le candidat de gauche le mieux placé au premier tour serait le candidat unique de gauche au deuxièmetour.
Or, malgré de très profondes et très anciennes réticences à l'égard de leurs « partenaires », notamment lescommunistes, les électeurs, malgré le secret de l'isoloir, ont respecté la discipline de vote du deuxième tour.
On nepourrait comprendre autrement les gains des communistes qui passent de 12 à 72 sièges.
De plus, ceux descandidats radicaux qui avaient été distancés au premier tour par un de leur partenaire de la gauche et qui avaient,malgré tout, maintenu leur candidature, n'avaient pas été suivis par la grande majorité de leurs électeurs..
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