LE TRIOMPHE ÉPHÉMÈRE DU Système colonial

LE TRIOMPHE ÉPHÉMÈRE DU Système colonial

Maître à penser d’une IIIe République laïque et impérialiste, promoteur d’une théorie raciale qui assimile le progrès à la suprématie rationaliste de l’Occident, Renan définissait parfaitement, dans sa Réforme intellectuelle et morale de la France, l’idéologie colonialiste partagée alors par une écrasante majorité des descendants des Gaulois: «La nature a fait une race d’ouvriers, c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d'honneur: gouvernez-la avec justice en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite [...] une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre: soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre [...] une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne.»

Seuls les anarchistes, Jaurès, les premiers bolcheviks et quelques intellectuels, dont Victor Segalen et Anatole France, s’insurgent contre la dilapidation du patrimoine culturel et matériel des peuples colonisés. L’heure est au consensus sur l’exploitation forcenée de l’Empire, avec une absence de scrupules que le discours visionnaire mais naïvement humaniste de Lvautey tente de justifier par le développement du «protectorat», c’est-à-dire «la pénétration économique et morale d’un peuple, non par l’asservissement à notre force ou même à nos libertés, mais par une association étroite, dans laquelle nous l’administrons dans la paix par ses propres organes de gouvernement, suivant ses coutumes et ses libertés à lui». Après Gallieni, Lyautey est devenu le théoricien pragmatique de la grande entreprise coloniale: résident-général au Maroc de 1912 à 1925, par son expérience exemplaire, il gagnera un prestige étonnant non seulement parmi les administrateurs français, mais plus encore chez leurs concurrents britanniques. Revitalisant les traditions et les pouvoirs locaux (festivités grandioses, restauration des monuments anciens, valorisation du sultanat et respect des coutumes islamiques), il juxtapose un Maroc moderne fondé sur l'agriculture intensive et l'extraction des phosphates au Maroc ancestral, créant de toutes pièces des villes comme Casablanca sans rien changer à la vie de la médina. Stricte ségrégation urbaine, œuvres sociales tapageuses, institutions culturelles mixtes franco-chérifiennes: ce royaume «protégé» devient malgré lui la vitrine alléchante de la colonisation à la française.