L'estran
Publié le 10/01/2019
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ENTRE TERRE ET MER
L'estran. Un drôle de nom pour un milieu très particulier, qui ne s'étend que sur quelques dizaines de mètres de large en moyenne. Mais qui s'étire interminablement sur des dizaines de milliers de kilomètres rien qu'en Europe. Car l’estran, c'est la frontière entre la terre et la mer, entre l'eau et l'air. Là où les marées sont faibles, comme en Méditerranée, ce n'est qu'une limite entre deux mondes très différents. Là où les marées sont importantes, comme dans l'Atlantique, c'est un monde à part entière, un milieu particulier riche d'une vie originale adaptée à subir quotidiennement la montée de la mer et son retrait.
L'ALTERNANCE DES MARÉES
Marée haute, marée basse
Nous savons depuis Isaac Newton que deux corps s'attirent en
proportion de leur masse, inversement au carré de la distance qui les sépare : c’est la force de gravité. La Lune, très proche de la Terre, et le Soleil, beaucoup plus éloigné mais plus massif, attirent grâce à cette force de gravité l'eau des océans, dont la surface se déforme. À l’aplomb de la Lune, et exactement à son opposé, l’eau fait un dôme : c'est marée haute. La marée basse se situe exactement à mi-chemin entre ces deux points. Comme le Soleil peut se trouver dans l'alignement de la Lune ou dans n’importe quelle position par rapport à elle, son influence peut s'ajouter à celle de la Lune, ou au contraire la contrecarrer. C'est pourquoi l'amplitude des marées varie sans cesse, selon un cycle dépendant de la révolution de la
Terre autour de son axe (un jour), de la Lune autour de la Terre
(28 jours) et de la Terre autour du Soleil (un an).
La marée, c’est la variation régulière du niveau de la mer à son point de rencontre avec la terre. L'estran, c’est la bande de côte pouvant être submergée ou dégagée par le flot. En Europe, le délai entre deux marées hautes est de 12 h 25 mn environ. Les heures de marée varient donc chaque jour. Mais ces horaires sont parfaitement calculables en fonction de la position de la Lune et du Soleil, et de l'endroit de la côte où l'on se trouve. Les horaires des marées sont publiés dans les journaux diffusés sur le littoral à la rubrique météo, ou sous forme de table pour l’année. C'est une aide précieuse pour tous les gens de mer, pêcheurs, marins ou plaisanciers.
«
ressemblent
à des lichens, formant
alors une croûte de quelques
millimètres d'épaisseur, souvent de
couleur vive : jaune, rouge, verte.
Certains vers bâtissent de longs tubes
de sable durci ou de calcaire, serrés les
uns contre les autres comme les
hermelles, ou en petits groupes, voire
isolés sur le haut des rochers et même
sur les coquilles de moule comme les
serpules ou les spirorbes.
Ces tubes
leur servent de refuge.
RtSISTER AU DESSÈCHEMENT
Les organismes marins trouvent sur
l'estran, aux eaux peu profondes vite
réchauffées, souvent remuées et riches
en nourriture, un milieu idéal pour se
développer rapidement Mais ils paient
ces avantages de l'inconvénient majeur
du risque de dessèchement à marée
basse.
Les tactiques pour y échapper
sont diverses et variées.
les algues ont souvent des cloisons
gélatineuses entre leurs cellules.
Cette
substance gonflée d'eau maintient les
tissus quand elles sont immergées, et
retient l'eau quand elles sont à l'air
libre.
l'industrie alimentaire utilise les
propriétés gélifiantes de quelques
algues comestibles comme le
ca"agheen, qui se retrouvent dans les
flans et autres desserts.
Certaines
espèces du haut de plage, comme la
pelvétie ou le varech spiralé, ne sont
pas submergées durant plusieurs jours.
Elles se dessèchent au point de devenir
cassantes, entrant en vie ralentie sans
mourir.
Au retour du flot, elles se
gonflent d'eau et reprennent souplesse
et vie.
la plupart des animaux à coquille ou à
tube, coquillages, balanes, vers, etc
s'enferment hermétiquement chez eux,
emprisonnant un peu d'eau de mer
dans leur cavité.
Ils maintiennent ainsi
une petite bulle de marée haute à
marée basse.
D'autres, moins bien
équipés, comme les éponges ou les
anémones de mer, restent en bas de
l'estran pour ne pas rester trop
longtemps à l'air.
Elles se trouvent de
préférence sur le côté à l'ombre des
rochers, ou sous la protection d'une
couche d'algues.
Quand la grève est sableuse ou
vaseuse, impossible de s'attacher
solidement le salut est alors dans la
mollesse du fond, qui permet de
creuser des terriers ou de s'y enfoncer
très facilement le sable et la vase
restant toujours humide en profondeur
à marée basse, le dessèchement n'est
plus à craindre.
Quand la mer s'est
retirée, la grève semble déserte, et
pourtant la vie grouille sous nos pieds,
trahie par mille indices.
COQUILLAGES Deux trous éloignés d'un centimètre ou
deux indiquent le refuge d'une coque.
Elle laisse en effet affleurer les deux
orifices de son siphon pour aspirer l'eau.
Si les deux trous se touchent
presque, c'est la trace d'un couteau,
aux coquilles fines et allongées pour
pénétrer facilement dans le sable.
En
mettant un peu de sel sur les trous du
couteau, il croira que la marée revient
et remontera à la surface.
Un jet
d'eau trahit une praire effrayée par les
pas qui s'approchent, et qui s'enfonce
plus profondément là où meurent
les vagues, un coquillage saute
brusquement avant de s'enfoncer dans
le sable mouillé.
C'est une donace
surprise par le flot bouillonnant qui l'a
découverte, et qui cherche à retrouver
au plus vite son abri protecteur.
VERS Quand la mer vient juste de se retirer,
le sable ou la vase sont lisses.
Mais
après quelques heures, de nombreux
tortillons parsèment la grève.
Ce sont
les déjections de l'arénicole, ou ver de
vase, un appât apprécié des pêcheurs
car les poissons en sont friands.
Approchez-vous d'un tortillon et vous
verrez un petit cratère à côté.
Ainsi sont
trahies les ouvertures du terrier en U
habité par l'animaL Il avale la vase,
créant un cratère là où se trouve sa
tête.
Il en digère les particules
organiques, et la rejette en tortillon là
où se trouve son anus.
le néreis se
cache aussi dans le sable à marée
basse, mais ne construit pas de terrier.
Il est beaucoup plus difficile à repérer.
les pêcheurs qui le recherchent aussi
comme appât bêchent la vase pour le
ramasser.
AUTRES ANIMAUX
Qui pourrait croire que le sable dégagé
par la marée puisse abriter des
poissons ? Et pourtant, la plie ou
carrelet se font parfois piéger dans les
mares laissées par le reflux.
Ce poisson
plat se confond parfaitement avec la
couleur du fond sur lequel il reste
plaqué.
la vive, au contraire, s'enfouit
presque entièrement dans ces eaux peu
profondes.
Les aiguillons de sa
nageoire dorsale sont venimeux et
infligent de cruelles douleurs à qui a le
malheur de marcher dessus.
le crabe
masqué, lui, ne laisse dépasser du sable
que ses antennes qui lui servent de
tuba pour respirer.
l'étoile de mer
disparaît très rapidement dans le sable,
uniquement trahie par une empreinte
qui s'efface peu à peu.
le retour rapide
du flot est vital pour ces espèces qui ne
peuvent rester très longtemps ainsi
exposées.
LES OISEAUX DE L'ESTRAN
la marée basse rend toutes ces proies
accessibles aux animaux terrestres.
De
nombreux oiseaux se sont spécialisés
dans l'exploitation de cette riche ressource
car ils peuvent venir et partir
très vite en volant, sans risque d'être
piégés par la marée montante.
Avec
son bec court et robuste travaillant
comme un coin, l'huîtrier pie fracture
les coquillages, moules, bigorneaux et
autres coques.
Le chevalier
gambette, au bec plus fin et long,
plonge dans la vase superficielle pour y
attraper vers, crustacés, coquillages et
autres menues proies.
le courlis cendré
au bec encore plus long et recourbé
mange la même chose, mais il atteint
des proies plus profondes.
Quant à
l'avocette, au bec curieusement aplati
et courbé vers le haut, elle filtre la vase
liquide.
Bien d'autres oiseaux
fréquentent les grèves, avec des becs
variés, exploitant chacun une catégorie
de proies.
Par l'importance des
ressources alimentaires qu'il procure,
l'estran est une halte très fréquentée
sur la route des migrations.
IU+tiiiU Sur les côtes rocheuses, en particulier
celles où de gros rochers détachés
parsèment l'estran, les creux, les fentes
et les interstices sont suffisamment
nombreux pour offrir flaques et
retraites discrètes aux animaux qui
nagent ou marchent sur le fond à
marée haute.
la couche d'algues peut
également procurer un abri contre les
prédateurs comme contre le
dessèchement
POISSONS
Beaucoup de poissons profitent de ces
opportunités.
le mor docet, de la
famille des blennies, se tapit au fond
des petites mares retenues au creux des
gros rochers.
le porte-écuelle doit son
nom à la ventouse située sous son
ventre au niveau des ouïes, et qui lui
permet de se fixer solidement sur le
dessous d'un rocher, bien souvent à
l'abri d'un rideau d'algues.
la motelle,
avec son corps glissant en boudin et
son habitude de se tapir dans une
crevasse fait penser à une murène en
miniature, mais elle est inoffensive pour
l'homme.
les crevettes, aux nombreuses espèces
dont l'une des plus connues et des plus
grosses est le bouquet des poissonniers,
ne peuvent survivre que
dans l'eau des mares, même les plus
minuscules.
les crabes, mieux armés
pour la vie terrestre, s'accommodent
bien mieux de l'air libre.
Le crabe vert
est le plus courant Il voisine dans les
crevasses avec de petits tourteaux bien
plus rares.
l'étrille court à vive allure
sous les rochers, alors que l'araignée de
mer reste immobile, camouflée par les
algues accrochées à sa carapace.
le
bernard-l'hermite est un crabe mou qui
se protège en squattant une coquille
vide de mollusque.
les coquillages sont
nombreux et variés dans les fentes des
rochers, en particulier ceux de la famille
des gastéropodes, c'est-à-dire à coquille
spiralée comme les escargots.
les plus
communs sont les littorines, et parmi
elles, le très courant bigorneau dont la
chair est excellente.
INSECTES ET AUTRES PETITES BtTES
Jusqu'ici, nous n'avons vu que des
espèces marines se cachant à marée
basse.
Mais il existe sur l'estran
quelques espèces terrestres se cachant
à marée haute.
le talitre ou puce de
mer est un crustacé nocturne
mangeant les algues pourrissantes
échouées sur la plage.
le jour, il vit
dans un terrier creusé dans le sable
mouillé.
Il supporte très bien la
submersion par les grandes marées,
mais ne sort qu'à l'air libre.
l'anuride et
le pétrobie sont de petits insectes
primitifs qui courent sur les rochers à
marée basse.
la marée haute les
confine dans des fentes étroites gardant
des poches d'air emprisonnées,
assurant leur survie.
GRANDEUR ET MISÈRES
DE L'ESTRAN
UN VRAI CARDE·MANGER
Depuis la préhistoire les hommes
viennent se nourrir sur l'estran en
pratiquant ce qu'on appelle la pêche à
pied.
la principale ressource, la plus
facile à atteindre, est représentée par
les innombrables coquillages
comestibles.
les bigorneaux ou les
bulots cachés sous les algues, les
praires, les coques ou les couteaux qui
s'enfoncent dans le sable, les moules,
les huîtres ou les patelles qui
s'accrochent aux rochers ont une
grande valeur gastronomique.
Certains
crustacés, comme les gros bouquets ou
l'étrille, font aussi les délices des tables
les plus raffinées, aux côtés du piquant
oursin.
les grandes marées découvrent
exceptionnellement des zones presque
toujours immergées, et les meilleures
pêches se font à ce moment là.
De
nombreux amateurs, imitant leurs
lointains ancêtres, chaussent alors leurs
bottes pour profiter de l'occasion et
ramasser un plateau de fruits de mer.
POLLUTIONS VENUES DE LA TERRE
Malheureusement, ce milieu est fragile
et l'homme ne le respecte pas comme il
faudrait Le rejet d'eaux d'égout, pas ou
mal épurées, le lessivage des terres agricoles
saturées d'engrais chimiques
très solubles dans l'eau, apportent sur
l'estran des eaux très riches en matières
nutritives.
Elles favorisent la pousse
excessive de certaines algues vertes, qui
peuvent étouffer toute autre vie, et qui
dégagent une odeur nauséabonde en
pourrissant Ce problème est
particulièrement aigu sur les côtes
rocheuses favorables à ces algues.
POUUTIONS VENUES DE LA MER
Les marées noires, spectaculaires
quand un pétrolier coule, insidieuses
quand il se contente de nettoyer
illégalement ses cuves, sont très
destructrices car elles recouvrent
l'estran d'une pellicule asphyxiante et
toxique.
Tout le monde
mémoire ces images d'oiseaux
englués venant mourir sur les plages.
le nettoyage rapide imposé pour faire
revenir très vite les touristes est souvent
aussi destructeur, tuant tout ce qui a
échappé au pétrole.
les plages sont
propres, mais mortes.
Pour des raisons encore mal connues,
mais liées à des perturbations
provoquées par l'homme, des algues
minuscules peuvent proliférer par
endroit Certaines espèces colorent la
mer en rougeâtre et les professionnels
parlent alors d' « eaux rouges ».
Ces
algues libèrent une toxine dangereuse
pour l'homme, qui se concentre dans
les coquillages filtrant l'eau pour se
nourrir.
le ramassage, la vente et la
consommation des coquillages de
l'estran sont alors interdits par les
autorités pour des raisons sanitaires.
URBANISATION l'une des plus graves menaces qui pèse
sur le littoral est son bétonnage.
Que ce
soit pour accueillir des touristes en été
ou des retraités toute l'année, les côtes
voient pousser depuis 50 ans toujours
plus de constructions, en limite même
des plages.
l'estran souffre des
pollutions qui en découlent et de la
surfréquentation des baigneurs et des
pêcheurs amateurs.
Parfois, c'est la
nature qui gagne.
Par endroits, le recul
de la côte menace des zones
construites trop près du rivage, ou sur
des falaises trop fragiles.
le
réchauffement du climat et la montée
du niveau des océans qui en découle
risquent d'amplifier ce phénomène
dans l'avenir.
PRtSERVATION
L'estran est un milieu d'une richesse
extrême, où faune et flore de la mer et
de la terre viennent se mêler au rythme
du flux et du reflux quotidiens.
Mais
c'est aussi un milieu unique et fragile
que des perturbations trop fortes ou
trop fréquentes appauvrissent On a
longtemps cru que la mer était capable
d'absorber à l'infini tous les déchets
que nous déversions dedans .
Nous
savons aujourd'hui que ce n'est pas vrai
et que le littoral est un trésor dont il
faut prendre soin, à protéger d'urgence..
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