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Néron

Publié le 28/02/2010

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Commençons par la fin : c'est une vue du personnage qu'on prend rarement. Suétone le suit à la trace, dans les halètements de l'hallali. Et c'est merveille que, plus d'un demi-siècle après la mort de Néron, il ait pu relever tant de détails. Le réveil au milieu de la nuit, la nouvelle que gardes et amis ont disparu, la fuite vers la villa de l'affranchi Phaon : "pieds nus, seulement vêtu d'une tunique, se couvrant les épaules d'un vieux manteau usagé dont il tire le capuchon sur sa tête". Suétone signale entre-temps un tremblement de terre subit, pas moins, entouré d'éclairs, et le cheval qui se cabre à la puanteur d'un cadavre sur la route (quel est donc ce cadavre ?). Néron se fraye péniblement un chemin à travers ronces et broussailles, s'aidant des mains et des pieds, refuse le pain sordide qu'on lui offre, finit par ordonner qu'on creuse sa fosse ("Qualis artifex pereo !"). Vient ensuite le cérémonial suprême de l'hésitation : tantôt demandant qu'on entame les lamentations funèbres, tantôt priant quelqu'un qu'on se tue pour lui donner l'exemple, tantôt se reprochant sa faiblesse ; enfin, le poignard dans la gorge, avec l'aide de son secrétaire Épaphrodite.

« Encore une fois, loin de nous l'idée de plaider pour celui qui reste "l'horreur du genre humain", ainsi que l'ont écritlégitimement des milliers de plumes chrétiennes et juives.

On a tout dit sur sa mégalomanie, sa perversité, sescrimes : Octavie, la première épouse stérile ; Poppée, qu'il épouse ensuite (en l'empruntant à son ami Othon) et qu'iltuera du fameux coup de pied au ventre ; les maîtresses et les amants ; jusqu'à l'amorce d'inceste avec sa propremère (et là, on y croit : les avances, semble-t-il, venaient d'elle et relèvent du style de vie de cette Agrippinedécidée à tout, afin de conserver son pouvoir). Par ailleurs, ses prétentions artistiques et son cabotinage, qui enchantent les historiens, car, comme on sait, le goûtdes arts, c'est déjà la damnation.

Suétone note, curieusement : "Il se mit lui-même à composer avec aisance despoèmes, contrairement à ce que pensent certains, qui le supposent avoir fait passer pour siennes les oeuvresd'autrui.

En effet, il m'est arrivé de mettre la main sur des tablettes et des cahiers d'une élaboration consciente etproprement originale, comme en faisaient foi les ratures, les additions et les surcharges nombreuses.

Et il fit mêmepreuve d'un talent de peintre et de sculpteur nullement négligeable..." Un vrai monstre. Des astrologues lui prédisant sa chute, il dit : "L'art nous nourrit", entendant par là qu'il se résignerait à vivreuniquement des produits de son art.

On peut se demander si, souverain par l'ambition égoïste d'une mère, il ne s'estpas senti assez vite mal à son aise dans la peau d'un empereur.

A sa fièvre de spectacles, à cette préférenceaccordée aux fantasmes aux dépens de la réalité, il faut peut-être rattacher son élan vers l'évasion, en direction del'Orient.

Rien de plus significatif que le creusement du canal de Corinthe, qu'on lui doit. Au fait, si on parlait de ce qu'il laisse ? Bien sûr, on ressasse les dépenses excessives pour sa Maison Dorée, surl'Esquilin.

Après l'incendie de Rome, il songe à reconstruire la ville selon un plan magnifique.

On lui doit encore le portd'Antium, la reconstruction du Temple du Capitole et le début de la construction du Colisée.

Un urbaniste à laHaussmann, peut-être, ce destructeur... Il se trouve qu'aucun historien ne croit plus sérieusement à sa responsabilité dans l'incendie qui dure six jours etsept nuits.

Les feux, à Rome, étaient faciles et fréquents.

Suétone, qui abonde en détails sur les exploits dupyromane, oublie que bien auparavant il a inscrit à l'actif de Néron un détail singulier : "Il imagina de donner unenouvelle forme aux édifices de Rome : environner les îlots de maisons et les demeures de portiques pourvus deterrasses, du haut desquelles on pût combattre les incendies ; et il les fit construire à ses propres frais." D'une taille proche de la moyenne, paraît-il, les cheveux d'un blond cendré, les yeux gris bleu mais la vue faible, leventre bedonnant, les jambes graciles.

Du visage, l'historien ajoute qu'il était beau plutôt qu'agréable.

Ce visage, unbuste, entre autres, le révèle : pas d'ovale, mais une espèce de boule encombrée de graisse, axée sur la ligne clairenettement souveraine des yeux, à quoi s'oppose la verticale que forme un nez juste mais avide, une petite bouched'enfant, un menton dodu et qui fait saillie.

Qu'évoque-t-il ? Les Vitelloni de Fellini : leur dégénérescence provincialepar la chair et par la frustration, cette maladie secrètement italienne, plus encore romaine.

Mort à trente et un ans,Néron ne passera pas la durée moyenne de la dolce vita.... »

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