Pétrarque
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
[...]
FRANÇOIS : Qui dira mon ennui et mon dégoût quotidien dans la plus triste et la plus bruyante des villes, sentine
étroite et reculée où convergent les ordures du monde entier ? Qui trouvera les mots pour rendre ce spectacle
qui soulève le cœur : les rues infectes où des porcs immondes se mêlent aux chiens enragés, le bruit des roues
qui ébranlent les murs, les voitures qui débouchent par les rues transversales, les mendiants hideux, les riches
arrogants, ceux qui s'abandonnent au désespoir, ou à une joie tapageuse, les métiers divers, le brouhaha confus
des voix, et la cohue des passants ? Tout cela émousse les sens habitués à une vie meilleure, ôte le calme aux
esprits généreux, et trouble leurs nobles études.
Que Dieu garde mon frêle navire de sombrer dans ce naufrage,
car lorsque je regarde autour de moi il me semble être descendu tout vivant en enfer.
Va donc te livrer à de
hautes pensées ! “ Va maintenant composer des vers sonores ! ”
AUGUSTIN : Grâce à ce vers d'Horace, je comprends ce qui t'afflige le plus.
Tu regrettes de te trouver dans un
endroit qui n'est pas propice à tes études.
Le même écrivain l'a dit : “ Tout le chœur des poètes aime les bois et
fuit les villes ”.
Toi-même tu as écrit dans une épître : “ La forêt plaît aux Muses ; la ville est l'ennemie des
poètes ”.
Si le tapage de ton imagination cessait, crois-moi, le vacarme qui t'entoure ne troublerait plus ton âme.
Pour ne pas répéter ce que tu sais depuis longtemps, tu as une précieuse lettre de Sénèque, et son livre De la
tranquillité de l'âme.
Tu as aussi sur les moyens de guérir cette maladie mentale un très bon livre de Cicéron où il
résume les discussions qui ont eu lieu le troisième jour dans sa propriété de Tusculum, et qu'il a envoyé à Brutus.
FRANÇOIS : Tu sais que j'ai lu tous ces textes avec soin.
AUGUSTIN : Mais cela ne t'a servi de rien !
FRANÇOIS : Mais si, tant que j'ai lu, cela m'a beaucoup servi, mais à peine refermais-je le livre que je cessais d'y
adhérer.
AUGUSTIN : Comme toujours avec les lecteurs ! Voilà comment s'est répandue l'horrible engeance des pédants.
Dans les écoles on parle beaucoup de l'art de vivre, mais bien peu le mettent en pratique.
Marque bien les
passages importants de ces livres, et tu tireras fruit de ta lecture.
[...].
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