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Tito

Publié le 27/02/2008

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Au matin du 28 mai 1943, un détachement militaire britannique était parachuté dans les montagnes du Monténégro, en mission de reconnaissance. Les deux officiers, dont moi-même avaient pour consigne de prendre contact avec l'état-major des partisans d'obédience communiste. Les autorités militaires et politiques britanniques ignoraient tout de la nature et des effectifs des groupes qui opéraient sur la totalité du territoire yougoslave depuis qu'y avaient pénétré, deux ans auparavant, les forces de l'Axe. Rien ne permettait, non plus, d'en identifier les chefs. On avait même émis l'hypothèse qu'il s'agissait d'une intervention russe, et que ce mouvement de résistance était encadré par des agents soviétiques. Londres avait fait plusieurs démarches diplomatiques auprès des Soviétiques pour concerter avec eux sa prise de contact avec les partisans yougoslaves. Sans réponse de Moscou, les Britanniques décidèrent alors d'agir seuls. Quelques heures après leur atterrissage, les membres de la mission britannique étaient escortés vers une cachette située sur les rives boisées d'un lac de montagne. Là, des hommes et des femmes étaient assemblés sous les arbres. Dans sa simplicité même, l'accueil fut solennel. Tandis que nous entrions dans le camp où se dressaient les tentes, une silhouette vint à notre rencontre : un homme mince, en uniforme gris impeccable, dépourvu d'insignes ou de galons, chaussé de bottes de cheval noires. La première impression fut celle d'un calme trompeur. L'homme avait le geste bref et la voix basse, mais il émanait de lui une incontestable autorité. Il ne semblait en rien un fanatique, il avait belle allure, un visage aux traits nets, un regard gris direct, de belles mains aux doigts fins. Son maintien était celui d'un aristocrate né, équilibré, sans la moindre trace d'agressivité, naturellement et totalement maître de lui-même. Cette première impression devait se préciser, à force de le côtoyer quotidiennement durant des mois, vers une image plus complète de l'homme et du chef.

« quelques missions ayant trait à l'envoi de volontaires aux Brigades internationales en Espagne.

En 1937, Tito étaitchargé par le Komintern de l'épuration et de la réorganisation du Parti Communiste clandestin en Yougoslavie.

C'estlà que la police de Zagreb perd sa trace et que le dossier devient muet. La seconde source est notre rapport, datant de 1943, envoyé en réponse à une demande d'informations de Londresconcernant l'identité de l'homme auprès de qui nous étions officieusement accrédités. Les renseignements allemands, publiés dans la presse locale aux mains de l'occupant, ainsi que les clichésanthropométriques datant de ses séjours en prison, et les photos qu'avaient pu faire de lui des unités allemandes,ne m'étaient pas inconnus.

Ils prouvaient, à mes yeux, que l'ouvrier métallurgiste Josip Broz n'était autre que le Titoqui nous accueillait dans son quartier général depuis notre arrivée.

Plusieurs détails mentionnés par les Allemandsnous furent confirmés par Tito lui-même au cours d'entretiens privés.

Il nous en livra même, au fil des mois,d'inédits. Tito n'était pas seulement le chef militaire qui, en septembre 1941, avait organisé l'insurrection des partisans enSerbie, mais aussi le secrétaire général d'un Parti Communiste yougoslave entièrement remis à neuf, et dont lescadres, organisés en un réseau serré politico-militaire, étaient l'élément moteur du mouvement de résistance.Chasser les forces de l'Axe, renverser les régimes fantoches de Serbie et de Croatie, battre en brèche lesmouvements concurrents, nationalistes et royalistes de Mihailovic, étaient des tâches immédiates, au-delàdesquelles était proclamée l'intention d'instaurer une république communiste révolutionnaire.

Son passé d'homme duKomintern, son expérience de la clandestinité en Autriche et en France, bien plus encore sa formation intensive àMoscou, tout cela semblait donner de Tito l'image conventionnelle du prosélyte sanglé dans sa camisole de forcedoctrinaire et inaccessible à d'autres sentiments.

Un homme sans nom ni visage derrière le masque d'acier dupseudonyme, rompu par ses années de formation aux contraintes et à la discipline du travail de sape ayant refoulétoute trace de sa personnalité antérieure. Mais ce schéma ne concordait pas avec l'homme que nous avions en face de nous, et dont l'image considérablementplus étoffée devait apparaître au grand jour dès l'après-guerre.

Tito aimait le débat et la discussion ouverte.

Ilprenait ses décisions et formait son jugement par l'exercice rationnel des mécanismes d'un esprit large et délié.

Sesconvictions, affermies par l'exil et la prison, ne limitaient pas une vaste curiosité sur les hommes et les événements.Sa confiance en soi et sa volonté de fer n'écrasaient pas : il savait parfois en jouer, les masquer par un humourdistancé et souriant, un charme désarmant. A la fin de la guerre, Tito avait rempli les trois tâches qu'il s'était fixées en 1941 : la création d'une force militaireindépendante sous son commandement personnel absolu, accélérant par là le repli allemand hors des Balkans ; laconsolidation, allant de pair avec la libération du pays, du pouvoir politique du Parti Communiste yougoslave.

Latroisième et dernière étape était l'instauration d'une république populaire.

Tito allait devoir arracher contre leur gré àses alliés britanniques et américains, par une diplomatie patiente et ferme, l'abandon de leurs idées de coalitionlégitimiste reposant sur un compromis avec l'ancien gouvernement royal, sauf de façon transitoire et pour permettreaux autres parties de sauver la face.

Las des visées politiques de Londres et de Washington, il prit pour hypothèseque ceux-ci n'avaient finalement aucun moyen de pression sur lui, si ce n'est militairement.

Les limites d'une telleconfrontation furent données par la crise de Trieste. Prenant le risque calculé de déplaire à ses alliés occidentaux, Tito poursuivit son but ultime : instaurer une nouvellesociété révolutionnaire et balayer les débris de la royauté yougoslave.

Le support moral de l'Union Soviétique,accordé prudemment et indirectement dans la période de négociations entre les Trois Grands pour un règlementeuropéen, était un atout logique et décisif à la fois pour assurer l'élimination des éléments hostiles à la réalisation deson ambition essentielle : la construction d'une république fédérale populaire de Yougoslavie. Le Parti Communiste yougoslave, sous la direction de Tito, était le premier à accéder au pouvoir dans un Étateuropéen depuis la révolution bolchevique.

Les structures de la nouvelle république semblaient reprendre à leurcompte les trente années d'expérience soviétique et se donner en exemple aux pays voisins d'Europe centrale etorientale qui furent absorbés après 1945 dans l'orbite soviétique.

Comme devait le dire plus tard Tito : “ Les Russesont eu une influence considérable sur l'organisation de notre État parce que nous en avons fait notre exemple.

” Cette apparente et totale subordination de la nouvelle Yougoslavie à la politique soviétique dura exactement troisans.

Tito lui-même, en dépit de sa connaissance directe des méthodes soviétiques qu'il avait pratiquées dansl'entre-deux-guerres, ne s'attendait pas à l'ampleur que prit la pénétration russe dans tous les secteurs de sonpays, ni à l'intention déclarée de Moscou de traiter Belgrade en satellite. Les premiers signes de rupture étaient déjà discernables en 1947.

Parmi eux, les plus évidents étaient l'arrogance etl'inefficacité des nombreux experts soviétiques venus aider au redressement économique du pays, et les tentativesdes services de renseignement soviétiques de recruter des agents au sein du Parti Communiste et même à l'intérieurdu Comité central.

L'affrontement, qui se produisit en 1948, prit la forme de sous-entendus dialectiquesobscurément formulés, qui montraient tout simplement que Staline n'avait rien compris à la signification de larésistance yougoslave des années de guerre.

La doctrine soviétique, selon laquelle aucun pays ne pouvait se libérerd'un occupant ennemi que par l'intervention directe de l'Armée rouge, ne s'appliquait pas à la Yougoslavie. Staline pressa les dirigeants yougoslaves de faire leur autocritique lors d'une séance spéciale du Kominform,. »

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