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« Des cannibales » ou « Des coches » Montaigne

Publié le 04/04/2023

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« Ce n’est pas une négation : « nous n’avons… que » c’est une restriction Texte 1 1 5 10 Ce n’est pas une négation : « qu’il n’y a rien » est une subordonnée Ce n’est pas une négation : « que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » est une subordonnée […] Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation1, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage.

Comme de vrai nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes.

Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits ; là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice2 et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages.

En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés ; lesquelles nous avons abâtardies en ceux- ci 3 , les accommodant au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l’envi des nôtres 4, en divers fruits de ces contrées-là sans culture.

Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur sur notre grande et puissante mère nature.

Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l’avons du tout étouffée.

Si est-ce que partout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. Phrase déclarative 15 Les lierres se déploient mieux par eux-mêmes, l’arbousier s’élève plus florissant sur la roche solitaire, […], les oiseaux chantent plus harmonieusement qu’aucun art.

“ Et veniunt hederœ sponte sua melius, Surgit et in solis formosior arbutus antris, Et volucres nulla dulcius arte canunt5. Properce, Elégies, I, 2, 10 Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté, et l’utilité de son usage, non pas la tissure de la chétive araignée.

Toutes choses, dit Platon, sont 20 produites ou par la nature, ou par la fortune, ou par l’art.

Les plus grandes et plus belles par l’une ou l’autre des deux premières, les moindres et imparfaites par la dernière. Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de façon de l’esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle.

[…] Page 25 Négations – Forme de phrase Négation 3 : fait écho à « ne … seulement » juste plus haut.

Nie les compétences des humains. Négation 4 : construite sur le préfixe négatif « in » de « imparfaites ». Pas d’interrogation - – Type de phrase 1 Cette nation : le Brésil. Artifice : technique. 3 Ceux-ci : renvoie aux fruits. 4 A l’envi des nôtres : comparées aux nôtres. 5 Properce, Élégies, I 1, 10. 2 1 Texte 1 Explication linéaire n° 1 Michel Eyquem de Montaigne est une figure emblématique parmi les auteurs humanistes du 16ème siècle ce qui signifie qu’il place l’Homme au cœur de ses préoccupations en s’appuyant sur sa propre expérience, son observation du Monde et sa connaissance de l’Histoire.

A l’origine d’un nouveau genre littéraire, Montaigne, dans ses Essais, associe les références antiques et les évènements récents comme la découverte du Nouveau Monde.

Certains chapitres de cette œuvre restent plus célèbres que d’autres, comme « Des cannibales » ou « Des coches ».

Cet extrait se situe dans le chapitre « Des cannibales » après une digression, dans le style « à sauts et à gambades » revendiqué par Montaigne même.

Lecture de l'extrait : ne pas oublier ! Au travers de ce texte, nous répondrons à la problématique suivante : Comment Montaigne critique-t-il implicitement les Européens ? Montaigne construit son argumentaire en deux mouvements.

Dans le premier qui se termine par « notre goût corrompu », Montaigne combat les préjugés de ses contemporains.

Dans un second mouvement, l’humaniste prend part au débat entre « nature » et « culture ». Le premier mouvement se décompose en deux phases.

Dans la première phase de ce premier mouvement, « Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, », Montaigne défend sa thèse par le biais d’une assertion rendue catégorique par la négation « n’ ...rien » qui met en exergue que ces amérindiens ne peuvent être assimilés aux termes « barbares, sauvages » car rien ne le justifie.

Sa thèse est ensuite précisée par un argument de valeur : « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage.

».

Selon Montaigne, tout ce qui échappe à nos habitudes et à notre entendement est assimilé à « barbare », au sens que l'opinion commune lui donne c’est-à-dire au sens péjoratif de « non civilisé », « cruel ».Montaigne dénonce alors l'ethnocentrisme qui est l’attitude courante en Europe par l'ironie qui suit : « Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses ».

En outre, l'énumération avec l’anaphorei liée à l'adjectif « parfait(e )» exagère le propos de Montaigne et souligne le ridicule du discours de ses contemporains.

La seconde phase du premier mouvement débute à « Ils sont sauvages ».

« Sauvage » est envisagé au sens étymologique, c’est-à-dire silvaticus, en latin « qui vient de la forêt ».

Selon Montaigne, les Indiens sont donc purs, naturels.

L’humaniste renverse ainsi le raisonnement européen par une série d'antithèses ii en s'appuyant sur la métaphore filée iii des « fruits.

La succession de vocabulaire dépréciatif et hyperboliqueiv « altéré, artifice, détournés » incrimine les Européens et ne laisse aucun doute sur l'opinion de Montaigne.

Les Européens pervertissent la nature, « l'ordre commun » afin qu'elle réponde à leurs besoins ; alors que les fruits naturels (et donc par analogie les Tupinambas) recèlent de vertus, de qualités incomparables.

Montaigne construit son éloge au peuple amérindien, avec un vocabulaire mélioratif, renforcé par l’emploi du superlatif « les plus utiles et naturelles vertus et propriétés ». Dans la 1ère phrase du second mouvement, qui débute à « Et si pourtant », Montaigne souligne par l’opposition « si pourtant », le paradoxe qui met le jugement des Européens en contradiction avec luimême.

En outre, Montaigne joue à nouveau sur la polysémie d'un mot, ici, « culture ».

Montaigne précise à son lecteur, que les Tupinambas du Brésil vivent de la pêche, de la chasse et de la cueillette, qu'ils ne pratiquent pas la « culture » au sens agraire du terme et que c'est uniquement dans ce senslà qu'ils sont « sans culture ».

Montaigne oppose alors les réalisations humaines avec l'œuvre de la nature, insurpassable selon lui.

La métaphore de la « mère » présente la nature comme la matrice, à l'origine de toute vie.

La nature reste inégalable ; ce que l'oxymorev « merveilleuse honte » souligne. Comme fréquemment chez Montaigne, une citation, ici du poète latin Propercevi qui joue une fonction d’argument d’autorité vient illustrer.... »

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