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albatros baudelaire

Publié le 05/01/2024

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« Avec ce poème, Baudelaire reprit l’idée, chère aux romantiques, du génie méprisé, du poète incompris et solitaire. Pour Chateaubriand, les poètes étaient des «chantres de race divine».

Pour Vigny, le poète était en butte à la société matérialiste pour laquelle il est un égaré, un être inutile (dans “Stello”, “Chatterton”).

Pour Hugo, le poète a une mission civilisatrice, il doit guider les peuples : il est l’annonciateur de l’avenir dans “Fonction du poète” ; il est un mage dans “À l’homme”.

Pour Musset, le poète est un être souffrant qui offre sa poésie, issue de sa souffrance, au public avide (“La nuit de mai”).

Gautier accordait aussi une valeur esthétique à la souffrance.

C’est ainsi qu’en conséquence, pour Baudelaire, le poète, foncièrement différent des autres êtres humains parce qu’il aspire à l’idéal, n’est pas fait pour vivre sur la Terre, pour se mêler à une société vouée à l’utilité et qui ne voit dans la poésie qu’enfantillages. En 1861, dans la seconde édition du recueil “Les fleurs du mal”, ‘’L’albatros’’ prit la deuxième place de la partie intitulée “Spleen et idéal”.

Comme Baudelaire y analysait ces deux états opposés que connaît le poète sinon l’être humain en général, il avait donc, pour illustrer la dualité de l'être humain cloué au sol et aspirant à l'infini, pour symboliser le poète malheureux, cet incompris qui est fait pour un autre monde que celui dans lequel il évolue, et paraît ridicule et inadapté face aux êtres humains, il avait choisi un oiseau qui n’était ni l'aigle royal des romantiques ni le condor à la solitude orgueilleuse décrit par Leconte de Lisle, mais l’albatros.

Ce splendide oiseau planeur, qui est le plus grand des oiseaux de mer, certaines espèces ayant jusqu'à quatre mètres d'envergure, a un plumage blanc, et un bec noir, d’où son nom qui est la réunion des racines «alba» (= «blanc») et «atro» (= «noir»).

Il habite généralement I'océan de I'hémisphère austral, dépassant rarement le Tropique du Capricorne, planant et tournant fréquemment autour des navires.

Il avait été observé par Cook, décrit par Buffon qui indiqua que «l’oiseau prend un vol élevé dans le gros temps et par la force des vents». Baudelaire avait pu voir des albatros lors de la traversée jusque, dans I'océan lndien, à I'ile Bourbon (aujourd’hui, la Réunion) qu’il fit en 1841-1842.

Et, selon plusieurs témoignages très affirmatifs, le poème serait né d’un incident survenu au cours de cette traversée, et qu’il raconta à l’île Maurice : un soir, comme un grand albatros s’était abattu sur le pont, les hommes d’équipage s’amusèrent à le malmener, à le rendre ridicule, allèrent jusqu’à lui brûler les yeux avec une pipe ; il vit le jeu sinistre, et, fou de rage, se précipita sur l’un des bourreaux, un grand matelot, et le frappa des pieds et des poings jusqu’à l’instant où le capitaine accourut, qui les sépara.

À son retour, il aurait encore souvent raconté à ses amis cette anecdote.

Au dire de l’un d’eux, Ernest Prarond, il avait même «certainement» rapporté de son voyage un poème qui y était consacré, et qu’il récita «dès son retour».

Un autre ami, Henri Hignard, se souvint qu’il lui lut ‘’L'albatros’’ à I'hôtel Pimodan, par conséquent entre 1843 et 1846, et il ajouta qu’il avait été «composé sur Ie pont du navire en pleine mer».

Et, en effet, les trois premières strophes du poème donnent bien l’impression du souvenir d’un fait vécu. Devant ces quatre strophes d’alexandrins, on pourrait croire qu’on a affaire à un sonnet, d’autant plus que le poème aboutit à une véritable chute.

Mais elles sont toutes des quatrains.

Cependant, la composition ressemble bien à celle d'un sonnet : les trois premières strophes s’opposent en effet à la dernière, chacune, dans cette démonstration en forme, contenant une idée centrale : - Le premier quatrain nous présente l'albatros dans les airs, c'est-à-dire dans son élément. - Le second quatrain nous montre l’albatros maladroit sur le pont du navire. - Le troisième quatrain décrit l'humiliation et les souffrances de l'oiseau du fait de la méchanceté des marins. - Après ce déroulement narratif en plusieurs étapes, le quatrième quatrain précise que les destins de l'albatros et du poète sont tout à fait comparables. Nous allons donc analyser le poème en mettant en parallèle l’albatros et le poète. Première strophe : .

On remarque que, dans le vers 2, qui est équilibré (6-6), l’albatros n’est pas décrit entièrement, l’auteur n’insistant que sur certains éléments.

Dans la périphrase mise en apposition, «vaste oiseaux des mers», l'adjectif «vastes» étonne car il est impropre pour désigner un oiseau ; en revanche, cette épithète qualifie proprement les «mers», terme qui complète le mot «oiseaux», ce qui permet de projeter l'ampleur et l'immensité de la mer sur l'albatros : il en prend analogiquement les dimensions, et les projette sur le poète qu'il représente.

Mais cet oiseau doté de majesté, de noblesse, de force, de supériorité, qui, dans le ciel, domine les éléments de la mer, suit les navires, y trouvant un moyen facile d’assurer sa subsistance, ce qui est à mettre en parallèle avec le recours que le poète doit faire à la société, recours qui lui rend d’autant plus difficile la poursuite de l’idéal.

Les albatros sont alors, au vers 3, qualifiés par une nouvelle périphrase, «indolents compagnons de voyage», car leur vol est surtout un planement lent, souverainement calme, comme indifférent. L’adjectif rend la paresse du vol, mais convient aussi au poète qui est comme absent de la réalité commune, indifférent aux contingences d'ici-bas, aux soucis habituels, qui domine avec hauteur la mêlée confuse des êtres humains, tandis qu’ils le considèrent comme paresseux.

Cette course se fait sur la profonde masse d’eau salée, d’où «les gouffres amers», expression qui se trouvait déjà dans ‘’Ténèbres’’ de Théophile Gautier, tandis que la rime «mers-amers», qui se trouvait dans ‘’L'albatros’’ de Polydore Bounin, fut encore reprise par Baudelaire dans ‘’Le voyage’’ (vers 6 et 8) tandis que, dans ‘’L’homme et la mer’’, on trouve «mer-amer». Dans cette strophe, l'oiseau est nettement supérieur à l'équipage du bateau car il est dans son milieu naturel, les airs.

On peut remarquer aussi que cette strophe, où, de vers en vers, le rythme s'amplifie, est constituée d’une longue phrase qui épouse à la fois le mouvement de l’albatros et celui du navire. Deuxième strophe : Elle apporte un contraste brutal avec la première dans une autre longue phrase qui traduit le dépaysement du «vaste oiseau des mers» tombé sur un bateau exigu , sa démarche disgracieuse sur le pont, son immobilisation pitoyable.

Mais cette phrase est désarticulée pour rendre la désarticulation dont est victime maintenant l’albatros qui, dans cette strophe est soumis à l'équipage qui peut se moquer de lui. Au vers 6, dont la coupe forte marque un contraste, la déchéance de l’albatros est soulignée par de fortes antithèses : «rois de l’azur» (l’azur n’étant pas, pour Baudelaire, que le bleu du ciel, mais ayant une valeur d’élévation et de pureté spirituelles, comme «l’air supérieur», «les espaces limpides», «les champs lumineux et sereins» qu’il avait déjà évoqués dans “Élévation”) s’oppose à «maladroits et honteux» (du fait aussi de la rime intérieure «rois» «droits») comme, au vers 7, «grandes ailes blanches» s’oppose à «avirons».

À l’idée de pitié mêlée de mépris par son caractère misérable, dérisoire, que recouvre le mot «piteusement» se joignent ses sonorités et, en particulier ce «ment» qui est à l’hémistiche (car il faut bien prononcer le «e» habituellement muet pour que le vers soit juste), comme un glas après lequel s’étend un autre hémistiche auquel, au contraire, le retour de l’assonance en «an» donne une allure majestueuse.

Et tout ce vers, par le retour des «l» liquides, est imprégné de mollesse, de faiblesse, d'abandon et de découragement.

Il déborde, par un enjambement sur le vers 8, où une inversion met l’accent sur la comparaison des ailes avec des «avirons», l’albatros étant considéré comme un navire en réduction.

Mais les avirons sont devenus des freins et non plus des propulseurs : on les entend râcler les planches par la sonorité qu’impose la liaison dans «traîner-à», au point que ces ailes, elles aussi inutiles et même gênantes, ne semblent plus appartenir aux albatros. Troisième strophe : Dans une suite de phrases courtes juxtaposées, Baudelaire s’y est employé à insister sur la déchéance de l’albatros, prisonnier sur le pont du navire et martyrisé par des hommes grossiers, par une série d’oppositions.

Ainsi, plus on avance dans le texte, plus I'image détérioriée de l'oiseau, devenu un souffre- douleur, est mise en relief, occultant peu à peu I'image majestueuse antérieure. Dans les vers 9 et 10, qui sont fortement coupés, qui ont un rythme proche, créé par la succession de mots courts et nettement articulés, par la répétition de la structure exclamative, on remarque d’abord qu’à la noblesse du «voyageur ailé» (premier hémistiche où les sonorités donnent une idée de légèreté, d’aisance, de noblesse), s’opposent «gauche» (qui reprend l’idée de «maladroits») et «veule» (qui ajoute une idée de faiblesse, de lâcheté, de manque de ressort.... »

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