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Albert Samain: Mon enfance captive a vécu dans des pierres

Publié le 17/01/2022

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Mon enfance captive a vécu dans des pierres, Dans la ville où sans fin, vomissant le charbon, L’usine en feu dévore un peuple moribond. Et pour voir des jardins je fermais les paupières... J’ai grandi ; j’ai rêvé d’Orient, de lumières, De rivages de fleurs où l’air tiède sent bon, De cités aux noms d’or, et, seigneur vagabond, De pavés florentins où traîner des rapières. Puis je pris en dégoût le carton du décor Et maintenant, j’entends en moi l’âme du Nord Qui chante, et chaque jour j’aime d’un cœur plus fort Ton air de sainte femme, ô ma terre de Flandre, Ton peuple grave et droit, ennemi de l’esclandre, Ta douceur de misère où le cœur se sent prendre, Tes marais, tes prés verts où rouissent les lins, Tes bateaux, ton ciel gris où tournent les moulins, Et cette veuve en noir avec ses orphelins...

 

1. Le poème est composé de deux quatrains à rimes embrassées, qui ont les mêmes rimes. Puis viennent trois tercets, composés chacun d'une rime unique. La structure est donc ABBA ABBA CCC DDD EEE.

« La haine du pays noir Le premier quatrain dépeint l'horreur suscitée par le pays minier.

Horreur d'abord fondée dans l'enfermement,marqué par « mon enfance captive », la présence des « pierres », sans vie, et la locution « sans fin ». « L'usine » est alors décrite comme un ogre, à la fois « en feu » et qui « dévore un peuple moribond ».

Ontrouvera dans cette expression un écho avec la « veuve en noir avec ses orphelins » du dernier vers.

La seuleévasion possible de ce monde a lieu en fermant les paupières, c'est-à-dire de façon paradoxale : fermer lesyeux pour échapper au noir... 1. La fuite dans le rêve2. C'est cette fermeture des paupières du vers 4 qui ouvre au rêve du vers 5.

Rêve éveillé ou non, mais de toutefaçon, rêve d'évasion et de bonheur. Le lien entre les deux quatrains est renforcé par la reprise des rimes dans la même structure embrassée. Enfin, ce rêve, série de lieux communs, est l'inverse exact des manques de l'enfance.

À l'enfermement succède levagabondage, aux « pierres », les « pavés florentins », au « charbon », « l'air tiède » qui « sent bon », au « feu »,les « fleurs »... 2.

Le retour au pays natal Une rupture nette s'opère dans le passage aux tercets, par le biais d'un changement des temps verbaux : passésimple, puis passage au présent.

De même, la structure des strophes — tercets — comme des rimes est différente. Cette rupture est d'abord un rejet des lieux communs du second quatrain, « pris en dégoût », et dénoncés comme «le carton du décor ».

La fuite était factice, et donc inopérante. Dès lors, le poète se tourne vers un monde intérieur, où il célèbre le lien idyllique avec ses origines, «ô ma terre deFlandre », tout en reprenant une série de lieux communs — « Ton peuple grave et droit », « Tes marais, tes présverts », etc.

—, mais cette fois-ci valorisés. III.

Un lyrisme à valeur esthétique et symbolique Un hymne au pays natal Le pays natal évoque d'abord des sentiments forts, comme aimer « d'un coeur plus fort », repris par « chanter», dans le premier tercet.

Le verbe « aimer » répond par ailleurs au substantif « âme », et la rime évolue de «décor » à « Nord », puis « foit », montrant bien l'évolution vers la célébration du pays natal. La première personne se fait présente, dans l'appropriation du pays : « ô ma terre de Flandre », soulignée parl'emploi du vocatif.

Le divorce initial entre le «je » et son pays s'est donc résorbé. Dès lors, le paysage s'humanise, avec son « air de sainte femme », son « peuple », ou encore « cette veuve »,et surtout acquiert une dignité grandiose, dans l'accumulation des adjectifs, « sainte », « grave », « droit ». 1. Une valeur esthétique On a là un tableau flamand typique, dans l'énumération de nombreux éléments : « marais », « prés verts », «bateaux », « ciel gris où tournent les moulins ». Ce paysage rassemble les éléments mêmes du réel, avec le ciel, la terre et l'eau, tandis que le feu estabandonné au premier quatrain péjoratif. Certes, cela ressemble aussi à une carte postale, et à une accumulation de lieux communs.

Mais les sentimentsy sont sincères, contrairement aux rêves rocambolesques du second quatrain.

La différence entre ces deuxséries de lieux communs réside dans la simplicité et l'humilité de la seconde. 2. Une oeuvre symbolique3. Le poème traduit alors un rêve de retour à l'enfance, à travers le rejet des décors de l'adolescence.

Parti du paysdes mines, le lecteur y est finalement reconduit, mais sous une modalité heureuse.

Le poète semble alors avoir réussi à revivre sereinement son passé. Mais le décor des tercets ne fait guère illusion, puisque ressurgit au dernier vers la « veuve », liée au « peuplemoribond)> du premier quatrain.

La suspension finale marque bien que le rêve ne saurait effacer la réalité.. »

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