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aondromaque

Publié le 09/11/2014

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www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ''Andromaque'' (1667) Tragédie en cinq actes et en vers de Jean RACINE pour laquelle on trouve un résumé puis successivement l'examen de : les sources (page 3) l'intérêt de l'action (page 7) l'intérêt littéraire (page 14) l'intérêt documentaire (page 21) l'intérêt psychologique (page 23) l'intérêt philosophique (page 32) la destinée de l'?uvre (page 33) l'étude de toutes les scènes (pages 39-94) Bonne lecture ! RÉSUMÉ Acte I Scène 1 : Séparés par une tempête, le roi d'Argos, Oreste, et son ami, Pylade, se retrouvent à Buthrote, capitale de l'Épire, à la cour de Pyrrhus, «le fils d'Achille et le vainqueur de Troie». Oreste vient, au nom des Grecs qui sont inquiets de la survie d'un jeune prince ennemi, lui réclamer Astyanax, fils d'Hector et d'Andromaque, qu'elle a soustrait par ruse au carnage de la ville, tandis qu'elle est captive de Pyrrhus. Mais, comme il est épris d'elle, et qu'il lui offre même sa main et sa couronne, le roi temporise depuis un an (vers 969), délaisse sa fiancée, Hermione, qui attend les noces promises et pour lesquelles elle est venue de Sparte, la paix reposant en partie sur cette union. Comme Oreste aime passionnément Hermione, qui l'a cependant éconduit, il espère en secret que Pyrrhus refuse de livrer Astyanax, et laisse partir la princesse, qui pourrait alors accepter son amour. Scène 2 : Pyrrhus repousse la requête d'Oreste. Scène 3 : Devant son confident, Phoenix, Pyrrhus souhaite qu'Oreste remmène Hermione. Scène 4 : Pyrrhus fait part à Andromaque de la menace qui pèse sur son fils, menace qui est une arme entre ses mains. Faisant état du refus qu'il a opposé à Oreste, il lui demande en échange d'accepter de l'épouser. Comme, bien qu'angoissée, elle oppose de la résistance, refuse même, il devient menaçant. Acte II Scène 1 : Devant sa confidente, Cléone, Hermione exprime son dépit à I'idée qu'Oreste va la voir humiliée. Cléone I'incite à bien recevoir le jeune prince, et à partir avec lui. Elle refuse, espérant que Pyrrhus lui reviendra. Scène 2 : Oreste déclare son amour à Hermione, et lui annonce que Pyrrhus refuse de livrer Astyanax. Elle manifeste de la colère, ne cache pas qu'elle aime Pyrrhus, et qu'elle espère ne pas le perdre. Elle accepte toutefois qu'Oreste fasse une dernière tentative en demandant à son rival de choisir entre elle et Astyanax. Scène 3 : Sûr de la réponse du roi, Oreste se réjouit. Scène 4 : Contre toute attente, Pyrrhus se déclare prêt à livrer l'enfant, et à épouser Hermione. Fier de sa victoire sur lui-même, il se propose d'aller braver Andromaque. Lucidement, Phoenix le met en garde. Acte III Scène 1 : Oreste, désespéré, projette d'enlever Hermione. Pylade essaie de I'en dissuader, mais promet de I'aider, par amitié. Scène 2 : Hermione, qui triomphe, fait souffrir Oreste. Scène 3 : Elle laisse éclater sa joie devant sa confidente. Scène 4 : Andromaque vient supplier Hermione de sauver Astyanax. La princesse grecque, qui rayonne de bonheur, et affiche le mépris le plus ironique envers la captive troyenne, la repousse. Scène 5 : Confidente d'Andromaque, Céphise I'encourage à suivre les conseils d'Hermione en acceptant de rencontrer Pyrrhus. Scène 6 : Andromaque supplie Pyrrhus de lui garder son fils. Scène 7 : Pyrrhus, toujours épris d'Andromaque, lui offre de l'épouser et de sauver ainsi son enfant. Il essaie donc de la convaincre, et, renouvelant son ultimatum, déclare que, si elle refuse, tout est perdu. Scène 8 : Andromaque décide d'aller se recueillir sur le tombeau d'Hector. Acte IV Scène 1 : Devant cette cruelle alternative, Andromaque semble céder : son intention est d'épouser Pyrrhus, d'obtenir ainsi sa protection pour l'enfant, et, aussitôt après, de se donner la mort. Céphise veillera sur Astyanax. Scène 2 : Par son silence devant cette suprême injure (l'autel apprêté pour elle va recevoir Andromaque !), Hermione inquiète Cléone. Puis elle réclame Oreste. Scène 3 : Folle de rage amoureuse, elle lui demande, comme preuve d'amour, de tuer Pyrrhus. Les hésitations d'Oreste attisent sa soif de vengeance. Scène 4 : Vainement, Cléone tente de montrer à Hermione son imprudence. Scène 5 : Avant son mariage avec Andromaque, Pyrrhus veut se justifier auprès d'Hermione en lui déclarant qu'il ne I'a jamais aimée. Elle lui crie sa propre passion, le menace. Scène 6 : Phoenix prend peur, mais Pyrrhus ne bronche pas. Acte V Scène 1 : Hermione, attendant le résultat de l'action d'Oreste, toujours partagée entre I'amour et I'orgueil, se demande si elle veut ou non la mort de Pyrrhus. Scène 2 : Cléone, en racontant à Hermione la cérémonie du mariage, excite sa colère. Scène 3 : Oreste vient annoncer à Hermione que les Grecs ont tué I'amant infidèle, et attend sa récompense. Furieuse, elle laisse éclater sa douleur et son amour. Après de violentes imprécations contre lui, elle chasse I'homme qui a obéi, à la lettre, à ses injonctions. Scène 4 : Oreste exhale son désarroi, et, quand Pylade lui annonce qu'Hermione s'est tuée sur le cadavre de Pyrrhus, qu'Andromaque veut qu'on venge ses deux époux, en proie à de sombres visions, il devient fou, et est emmené par Pylade. Analyse Sources Avec ''Andromaque'', pour satisfaire les doctes, Racine revint au mythe, choisit un épisode célèbre de I'Antiquité auquel il dut les grandes lignes de son sujet. Mais il emprunta à des contemporains certains détails, certaines situations. Ces sources antiques furent : - L'''Iliade'' d'Homère, où il parle à trois reprises d'Andromaque : - au chant VI, elle fait ses adieux à Hector au moment où il va se battre contre Achille qui le tuera ; elle lui dit : «Hector, tu es pour moi mon père, ma mère vénérable, tu es aussi mon frère, tu es mon époux florissant de jeunesse.» ; le héros s'attendrit et prévoit l'esclavage d'Andromaque ; Racine s'en souvint au vers 262, et dans presque tout I, 4, puis au vers 1020 ; - au chant XXII, Hector étant mort, Andromaque se désespère et se lamente sur le sort de l'orphelin qui reste désormais sans appui ; au chant XXIV, le vieux Priam, «respecté d'Achille» (vers 938), a ramené à Troie les restes défigurés d'Hector, et Andromaque regrette qu'il ne lui ait pas laissé en mourant quelque sage parole dont elle puisse se souvenir (Racine écrivit en marge de ce discours : «Paroles divines d'Andromaque sur le corps d'Hector ; tout cela marque la jeunesse de l'un et de l'autre ; la séparation est plus douloureuse.»). Il faut remarquer qu'alors qu'aux vers 874-875, Andromaque déclare à Hermione : «Les Troyens en courroux menaçaient votre mère, J'ai su de mon Hector lui procurer l'appui», nulle part dans l'''Iliade'' les Troyens ne menacent Hélène. On constate seulement qu'au chant III, quand Ménélas et Pâris (l'ancien et le nouveau mari d'Hélène) vont se battre en combat singulier, les Troyens murmurent : «Qu'elle s'en retourne sur ses nefs, et qu'elle ne nous laisse pas à nous et à nos enfants, un souvenir affreux.» Enfin, au chant XXIV, Hélène regrette ainsi Hector : «Jamais, ô Hector, tu ne m'as dit une parole injurieuse ou sévère, et si l'un de mes frères ou de mes s?urs, ou ma belle-mère [?] me blâmait dans nos demeures, tu les reprenais et tu les apaisais par ta douceur et par tes paroles bienveillantes.» - ''Les Troyennes'', tragédie d'Euripide où Andromaque est un personnage épisodique, simplement la veuve d'Hector et la mère d'Astyanax, dont on voit le désespoir lorsqu'on lui arrache celui-ci pour le jeter du haut des remparts de Troie ; le vers 193 d'''Andromaque'' : «Achéens, pourquoi avez-vous tué cet enfant? de peur qu'il ne relève Troie tombée?» est un souvenir des vers 1156-1162 des ''Troyennes''. - ''Andromaque'', autre tragédie d'Euripide où Andromaque, captive de Néoptolème, est en butte à l'hostilité de la femme de celui-ci, Hermione, qui l'accuse de l'avoir rendue stérile par ses sortilèges. Comme Andromaque a eu de Néoptolème un enfant, Molossos, elle menace de le tuer, et sa mère doit le cacher. Elle lui dit : «Ö mon fils, moi, ta mère, pour que tu ne meures pas chez Hadès ; pour toi, si tu échappes au destin, souviens-toi de ta mère et rappelle-toi dans quelles souffrances je suis morte.» (vers 414-416), ce qu'on retrouve au vers 1046 de la tragédie de Racine. Hermione, profitant de l'éloignement de son mari, cherche à tuer cette rivale, qui s'est réfugiée dans un temple, asile inviolable. Pour I'obliger à se livrer, Hermione et son père, Ménélas, menacent la vie de son fils. Elle est sauvée par l'intervention du sage Pélée, le grand-père du roi. Craignant la réaction de son mari, Hermione veut se tuer. Arrive Oreste (son amoureux venu la chercher pour la ramener chez son père, et redemander sa main). Elle s'enfuit avec lui. On apprend alors que Néoptolème a été tué, à I'instigation d'Oreste, à Delphes, devant I'autel d'Apollon, à qui iI était venu demander pardon de lui avoir reproché la mort de son père. La fin de la pièce est consacrée au récit (qui, en V, 3, fut imité librement par Racine qui en retint surtout les détails propres à renforcer la colère d'Hermione ; ainsi, le vers 1515 reprend les vers 1135-1136 de l'''Andromaque'' d'Euripide : «Quand ils l'eurent enveloppé et encerclé de toutes parts, sans lui laisser le temps de respirer?») et à la déploration de cette mort. Cette pièce discoureuse, les adversaires s'affrontant dans d'interminables démonstrations oratoires, fournit surtout à Racine l'idée de la jalousie et des emportements d'Hermione. Les diférences sont radicales : ce n'est pas au fils d'Hector que I'Andromaque d'Euripide se dévoue, mais à celui de Néoptolème ; celui-ci ne l'a jamais suppliée de l'aimer, loin de là : il I'a utilisée puis rejetée ; et c'est parce qu'il a épousé Hermione qu'il est assassiné, et non parce qu'il la dédaigne. - L'''Énéide'' de Virgile, où : - au chant II, on lit : «Pyrrhus traîne au pied même de l'autel Priam qui tremble et glisse dans le sang de son fils ; de la main gauche, Pyrrhus saisit la chevelure, de la droite il brandit son étincelante épée et la plonge dans le flanc du vieillard jusqu'à la garde.», ce qui se retrouve dans le vers 996 où il est montré «Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé» ; - au chant Ill, Andromaque est déjà cette veuve inconsolable, restée fidèle de coeur à Hector : «Andromaque offrait à la cendre d'Hector les mets accoutumés et les présents funèbres, et elle invoquait les mânes devant un cénotaphe de vert gazon et deux autels consacrés pour le pleurer toujours.» (ce que Racine reprit au vers 944) ; elle retrouve son époux en son fils : «Tels étaient ses yeux, ses mains, son visage» (ce que Racine reprit au vers 653). Tendre et tragique, elle garde sa dignité dans son exil et sa servitude. Le ton de mélancolie délicate et nuancée est déjà le même que chez Racine. On trouve aussi l'idée de la passion d'Oreste, meurtrier de Pyrrhus par amour pour la femme qu'on lui a ravie. Mais iI est fait allusion au second mariage d'Andromaque dans des vers que Racine se garda de citer. Et Virgile ne dit mot d'Astyanax qui, pour la grande majorité des auteurs anciens, a été «précipité du haut des remparts, quand le sol de Troie fut tombé au pouvoir des Grecs» (Euripide, ''Andromaque'', vers 10-11). Il nous raconte, par la bouche d'Andromaque elle-même, que Pyrrhus, après avoir vigoureusement abusé de sa captive, et lui avoir fait un enfant, Ia donna à un autre de ses esclaves troyens, Hélénus, quand il épousa Hermione, I'enlevant à Oreste, à qui elle devait se marier. Enflammé d'amour, et rendu frénétique par les Furies qui poursuivaient en lui le meurtrier de sa mère, Oreste, sans y être poussé par Hermione, égorgea Pyrrhus devant I'autel de ses pères. Une partie du royaume revint alors à Hélénus (et à sa compagne, Andromaque) qui y reconstruisirent Troie en miniature, avec un beau cénotaphe pour Hector, que sa veuve pleurait toujours. Pourtant, avec audace, Racine, au début de sa première préface, cita dix-huit vers de ce chant III, en prétendant : «Voilà, en peu de vers, tout le sujet de cette tragédie. Voilà le lieu de la scène, I'action qui s'y passe, les quatre principaux acteurs, et même leurs caractères. Excepté celui d'Hermione dont la jalousie et les emportements étaient assez marqués dans l'''Andromaque'' d'Euripide.» - au chant IV, où Didon dit : «Celui-là qui fut mon premier époux, celui-là a remporté avec lui mon amour, qu'il le possède et le conserve dans le tombeau.» (vers 29-30), ce que Racine reprit au vers 866 ; où, parlant d'Énée qui l'a abandonnée, elle se demande : «Mes pleurs l'ont-ils fait gémir? A-t-il détourné les yeux? A-t-il, vaincu, versé des larmes ou a-t-il eu pitié de celle qui l'aime?», ce que Racine reprit au vers 1400. - ''Les Troyennes'' de Sénèque, pièce qui ne fournit à Racine que quelques traits, que quelques détails d'expression, ce qui explique qu'il ne l'ait pas citée. Le vers 204 d'''Andromaque'' est un souvenir des vers 740-742 de la pièce de Sénèque : «Cette ville en ruine, promise aux cendres, est-ce lui qui la réveillera? Ces mains relèveraient Troie? Troie n'a aucun espoir si elle n'en a que de ce genre.» Le vers 377 en est un autre : «J'aurais déjà suivi mon époux, si mon enfant ne me retenait. Il dompte mes sentiments et me défend de mourir. Il me force à demander encore quelque chose aux dieux : il a prolongé ma misère.» (vers 419 et suivants). - ''Les Héroïdes'' d'Ovide, qui contiennent une belle lettre d'Hermione suppliant Oreste de venir la délivrer de sa vie avec Pyrrhus. Ni ces emprunts, ni ces analogies ne sauraient diminuer l'originalité de Racine qui fit subir à ces sources antiques des transformations significatives, et, pour l'essentiel, inventa et conduisit lui-même l'action de sa tragédie où I'histoire qu'il nous présente est à peu près le contraire, dans les faits comme dans I'esprit, de celle que racontaient les Anciens dont il se réclamait. Sa pièce part de I'ultimatum des Grecs, se développe à travers Ia stratégie d'Oreste, de Pyrrhus et d'Hermione, et bute sur le refus d'Andromaque, toutes choses étrangères aux sources et même historiquement inconcevables. C'est seulement à partir du milieu de l'acte IV qu'il rejoignit la tradition, laquelle toutefois ignorait les revirements d'Hermione, qui animent toute cette dernière partie. En revanche, si I'on se borne aux thèmes de l'oeuvre, la pièce reste proche de ses sources, et I'on peut mieux cerner ses innovations et leur raison d'être. Chez Racine comme chez Virgile, les évènements se détachent sur le même arrière-plan : le culte d'Hector et de Troie, la fidélité morale de la malheureuse Andromaque, persécutée chez les trois auteurs. Quant à I'intrigue, elle a partout le même principe général : la violence passionnelle, qui fait de Pyrrhus le tyran ou le violeur de sa captive, d'Hermione, la persécutrice de sa rivale, d'Oreste le meurtrier de Pyrrhus. Mais on ne trouve nulle part, sauf pour Oreste, le ressort de la pièce de Racine : un amour admiratif, refusé, qui se retourne en violence, et qui aboutit au chantage de Pyrrhus, au dilemme d'Andromaque, au meurtre du roi, au revirement d'Hermione, à son suicide et à la folie d'Oreste. Ce thème, qui fonde toutes les relations actantielles de la tragédie, et qui entraîne les réactions constitutives de I'intrigue, n'a pas de source chez les Anciens. En revanche, il était très fréquent dans le roman, la pastorale, la tragi-comédie puis la tragédie depuis le début du siècle. Ausi, bien plus que de Virgile et d'Euripide, I'intrigue d'''Andromaque'' est inspirée de canevas modernes. Si, pour satisfaire les doctes, Racine avait choisi un épisode célèbre de I'Antiquité, ce fut pour séduire le public mondain qu'il le réorganisa complètement en se souvenant d'?uvres qui lui inspirèrent le chantage de Pyrrhus, le dilemme d'Andromaque, l'exigence vengeresse d'Hermione et sa promesse non tenue. Ce sont : - ''L'Hercule mourant'' (1646) de Rotrou où il trouva l'idée de quelques situations. - ''Pertharite'' (1652), tragédie de Corneille, où l'usurpateur Grimoald est épris de sa captive, Rodelinde, femme du roi détrôné ; où Garibalde explique à Édüige, amante éconduite de Grimoald, qu'il ne tuera pas celui-ci comme elle le lui demande en se promettant à lui, car, lui dit-il, dès qu'elle sera vengée, son amour renaîtra, et elle détestera celui qui aurait eu I'imprudence de servir une réaction de haine passagère. On a là les éléments essentiels du drame de Racine, une situation fort semblable ; mais la perspective est toute différente : le personnage cornélien garde assez d'autonomie pour traduire son analyse critique en refus d'adhésion, tandis que Ie personnage racinien, malgré sa lucidité, ne peut qu'adhérer aveuglément à une passion qui exprime I'angoisse de son insuffisance, et I'espoir d'une reconnaissance salutaire ; et le dénouement est différent. On peut avancer l'hypothèse que le jeune dramaturge qu'était Racine ambitionna de se mesurer avec son glorieux devancier. Il était d'ailleurs habituel à l'époque qu'un auteur dramatique reprenne un sujet traité par d'autres avant lui. Or Racine obtint son premier grand succès en reprenant le sujet même qui valut son premier échec à son grand rival ! - Des romans précieux, comme celui, qui eut un immense sucès, de l'Espagnol Montemayor, ''Diana'' (1558), où on voit une succession d'amours non réciproques ; comme ceux de Madeleine de Scudéry, dont les héros chevaleresques ont toutes les qualités dont Hermione, dans ses rêveries solitaires, pare l'objet de ses voeux. - Maintes pièces de théâtre aujourd'hui oubliées, Racine ayant de la production dramatique de son siècle une connaissance étendue. Ainsi, si des critiques mal informés lui ont fait un mérite d'avoir imaginé l'odieux chantage auquel Pyrrhus soumet sa prisonnière, c'était au contraire une situation qui avait beaucoup servi : dans ''Aristotime'' de I'obscur Le Vert, dans le ''Thrasybule'' de Montfleury, dans ''La mort de I'empereur Commode'' (1657) et ''Camma'' (1661) de Thomas Corneille. Dans cette dernière pièce, on trouvait aussi la chaîne des amours contrariées et ses cruels dilemmes, l'idée de l'ordre donné par Hermione à Oreste de tuer Pyrrhus, avec la promesse, à ce prix, de l'épouser. Le fameux «Qui te I'a dit?» d'Hermione (vers 1643) était presque un lieu commun de la tragédie : le même coup de théâtre se trouvait déjà dans ''Alcimédon'' de Du Ryer, ''Cléomène'' de Guérin de Bouscal, ''Josaphat'' de Magnon, ''Amalasonte'' de Quinault, ''Démetrius'' de Boyer. Racine pouvait avoir trouvé l'idée du projet que forme Andromaque de se tuer après avoir subi un mariage détesté dans ''Sidonie'' de Mairet, et, plus nettement, dans ''Sémiramis'' de Desfontaines. Dans I'obscur Sallebray il avait retenu ce vers : «Je brûle par le feu que j'allumai dans Troie», et ne I'avait pas méprisé puisqu'on le retrouve, en effet, sous cette forme : «Brûlé de plus de feux que je n'en allumai» (vers 320). Dans ''Pausanias'' de Quinault (1666), le héros éponyme est un chef des Grecs qui, fiancé à une princesse de sa nation, s'est épris d'une ennemie parce qu'il a «jusque dans I'amour voulu chercher la gloire», en bravant les interdits. Et cette situation piquante, aimer un(e) ennemi(e), avait été traitée aussi par plusieurs romanciers. Elle permettait de déployer dévouement et galanterie chevaleresques, ou bien de faire sonner un défi. Avoir connu et utilisé des sources tant antiques que modernes, avoir utilisé des mécanismes déjà usés, n'empêcha pas Racine de concevoir avec ''Andromaque'' une ?uvre originale. La principale transformation qu'il opéra concerne la place et la signification du personnage éponyme, et de son rapport avec Pyrrhus : au lieu d'être une vaincue réduite à l'état d'esclave qu'on viole puis qu'on rejette, elle garde chez lui une fierté de reine, est une grande dame qu'on supplie, dont la grandeur est surtout d'ordre spirituel. Et il fut supérieur à ses prédécesseurs par la précision de la composition dramatique, l'élégance du style, et ses connotations poétiques, surtout par la signification philosophique de comportements jusque-là un peu gratuits. Intérêt de l'action Avec ''Andromaque'', Racine donna une tragédie où on retrouve tous les éléments habituels du genre : un débat entre la Grèce victorieuse et ce qui reste de Troie, d'où les intérêts d'État et les devoirs de famille ne sont pas absents ; la rivalité d'une veuve de héros et d'une jeune princesse orgueilleuse ; l'opposition d'un roi fier et violent et d'un parfait amant longtemps éconduit. Mais, en fait, il y inaugura un nouveau type de tragédie, dont l'originalité tenait à un double refus : celui de la tragédie de Corneille, et celui de la tragédie romanesque et galante ; qui était marqué à la fois de plus de rigueur dramatique et de plus de poésie ; où la violence passionnelle de I'amour se greffe sur I'enjeu politique, et entraîne tout, comme une fatalité. Il repoussa la conception de la tragédie que se faisait Corneille. Il est vrai que, dans ''Andromaque'', il lui reprit le «grand intérêt d'État» ; mais le drame de tous les personnages vient de ce que la politique réclame exactement le contraire de ce qu'ils veulent (Oreste, exigeant au nom des Grecs que Pyrrhus épouse Ia femme que lui-même adore, en est le symbole) ; de ce que le choix politique est en même temps le choix de la vengeance (en témoigne Pyrrhus qui menace Andromaque d'épouser Hermione, et d'abandonner ainsi son fils, Astyanax, qui est réclamé par les Grecs). Il est vrai aussi que les sentiments d'Hermione pour Pyrrhus, et ceux de Pyrrhus pour Andromaque peuvent s'élever jusqu'à un certain héroïsme, et ne sont pas éloignés, en leur naissance, de l'admiration éperdue que professaient les amoureux de Corneille, car celui-ci faisait très délibérément et très consciemment reposer ses pièces sur des passions «plus nobles et plus mâles que l'amour», qui était pour lui une passion maîtrisable, qu'on devait et qu'on finissait par pouvoir combiner avec (ou soumettre à) la politique et la liberté du moi. Si on retrouve la situation chère à Corneille du choix impossible, si chacun des quatre protagonistes est soumis à un dilemme, ''Andromaque'' étant, selon Jacques Schérer, «la tragédie du dilemme par excellence», aucun (sauf Andromaque qui en vient à accepter d'épouser Pyrrhus pour se suicider ensuite) ne finit par choisir la postulation supérieure, celle qui, chez le vieux dramaturge, transcendait les deux termes de I'alternative, la force d'entraînement de la passion finissant toujours par être la plus forte. Et, dans ''Andromaque'', le «grand intérêt d'État» est mis au second rang, une place prééminente étant accordée aux sentiments individuels et surtout à l'amour, auquel sont subordonnés les autres mouvements des personnages. L'instinct y tient un langage inusité incompatible avec les traditions de la morale héroïque. Les cornéliens firent un faux procès à Racine en lui reprochant ses héros qui sont tout occupés d'amour, car personne avant lui n'avait montré qu'il pouvait déboucher sur une scène irrémédiablement dévastée. Cette conception de la passion irrésistible qu'il se faisait était issue de la tragédie galante, de la pastorale dramatique, du roman précieux, tous genres où on trouvait souvent le thème conventionnel de l'enchevêtrement d'amours sans réciprocité, de la chaîne des amours non réciproques : des amants aiment sans être aimés, sont aimés par celles qu'ils n'aiment pas. Racine la reprit dans toute sa rigueur : Oreste aime Hermione, qui ne I'aime pas ; Hermione aime Pyrrhus, qui ne I'aime pas ; Pyrrhus aime Andromaque, qui ne l'aime pas car elle ne pense qu'à Hector, qui est mort et quasiment divinisé, qui fixe toute la chaîne puisqu'il ne peut pas changer : elle lui sera donc absolument fidèle, jusqu'au moment inattendu où ce mort prendra la parole pour proposer une solution. Comme leur couple est clos, qu'Andromaque n'est pas une «belle inhumaine» susceptible de découvrir I'amour à la fin, et qu'Hermione et Pyrrhus sont trop enferrés dans leur passion respective pour être susceptibles de reporter leur amour sur qui les aime, cette chaîne ne peut être rompue. Ces personnages se refusent I'un à I'autre mais sont étroitement solidaires, comme les mécanismes d'une «machine infernale» où «chaque geste de l'un réagit immédiatement sur le sort de tous les autres.» (R. Picard). En fait, le mécanisme de la pièce est plus subtil car, entre les personnages, existe une hiérarchie morale. Il faut constater que Ia fière Hermione a dédaigné Oreste pour Pyrrhus, qui lui est héroïquement supérieur, tandis que celui-ci a rencontré dans Andromaque une valeur supérieure, au moment où se dévaluait la sienne. Cette hiérarchie morale ne peut être modifiée par la stratégie imaginée par Oreste et Hermione, même si, tout au long de l'intrigue, se produisent des oscillations des c?urs, des va-et-vient des personnages, des revirements psychologiques, Racine faisant se rencontrer des intérêts politiques inévitables et des intérêts amoureux irrésistibles, des conflits intérieurs insolubles et insurmontables, effectuant donc une synthèse par laquelle il créa une nouvelle forme d'intérêt tragique, tout en réalisant le mieux l'idéal de la tragédie classique. En effet, ''Andromaque'', tragédie en cinq actes et 1 648 alexandrins, correspond bien à la définition de la tragédie qui voulait que, le sujet étant historique ou mythologique, on voie des personnages de rang noble mais impuissants, soumis au malheur par des forces supérieures (des dieux le plus souvent) qui les manipulent, l'enchaînement des événements et le dénouement nécessairement dramatique relevant d'une fatalité implacable, qui peut sembler injuste, inique et bien au-delà de l'endurance humaine. La tragédie touche donc le public par la terreur et la pitié. On ressent de la terreur devant le drame où les personnages sont plongés, devant la mécanique passionnelle implacable dans laquelle ils sont entraînés. On ressent de la pitié pour ces êtres lucides mais sans confiance en eux-mêmes. Le rôle des forces supérieures est bien marqué car celui qui met en branle l'action, Oreste, se demande «qui peut savoir le destin qui m'amène ?» (vers 25), constate : «Tel est de mon amour l'aveuglement funeste» (vers 481), la pièce atteignant d'emblée à la fascinante cruauté tragique. Puis, dans un cycle infernal, son action s'exerce sur Hermione, qui elle-même influe sur Pyrrhus, qui veut contraindre Andromaque, qui, étant partagée entre Hector et Astyanax, le premier la faisant aspirer à la mort et donc refuser la proposition de Pyrrhus, le second l'attachant à la vie et l'incitant à accepter la proposition, ce qui entraîne un retournement de Pyrrhus contre Hermione, dont la décision déclenche un enchaînement inéluctable qui mène à l'hécatombe finale. Au XVIIe siècle, la tragédie, à la suite d'Aristote et de l'abbé d'Aubignac, théoricien français auteur d'une ''Pratique du théâtre'' (1657) et de ''Dissertations concernant le poème dramatique'' (1665), non seulement continua à être écrite en des alexandrins qui manifestaient le refus d'imiter la vraie vie, la volonté de solenniser la langue, mais fut soumise à des règles auxquelles Corneille se pliait difficilement, tandis que Racine sut s'y soumettre avec une habileté qui donne I'impression du naturel. Au regard de ces règles, ''Andromaque'' est une véritable tragédie. Non seulement elle conduit à un meurtre, à un suicide et à un délire, mais tous les protagonistes (sauf Andromaque, qui a déjà subi son malheur, et que menace une nouvelle catastrophe) sont à la poursuite d'une personne ou plutôt d'une raison d'être qui les refuse, et cherchent à s'en emparer par une violence qui se retourne contre eux. Cependant, le dénouement est un heureux revirement. Racine se plia aux règles de la tragédie classique : - La règle de l'unité d'action voulait que tous les événements de la pièce soient liés et nécessaires, de la scène d'exposition jusqu'au dénouement de la pièce ; qu'apparaisse évident le motif de la présence ou de la sortie des personnages ; que les actions secondaires contribuent à l'action principale. Ici, si les difficultés d'Hermione pourraient être considérées comme constituant une deuxième intrigue, sous-jacente à la première, elle est en fait intimement mêlée à celle-ci. L'attention, loin de se disperser, est concentrée sur un problème unique : Andromaque acceptera-t-elle ou refusera-t-elle d'épouser Pyrrhus? De sa décision dépendent son destin et celui de son fils, mais aussi ceux de Pyrrhus, d'Hermione et d'Oreste. Du balancement de ses hésitations naissent toutes les péripéties de la pièce. Il n'y a rien dans tout cela qui sente l'artifice : on a l'impression que rien ne pouvait se passer autrement. Si Voltaire critiqua Ie manque d'unité de l'action, il avoua néanmoins son admiration en termes élogieux : «Il y a manifestement deux intrigues dans ''Andromaque'' de Racine, celle d'Hermione aimée d'Oreste et dédaignée de Pyrrhus, celle d'Andromaque qui voudrait sauver son fils et être fidèle aux mânes d'Hector. Mais ces deux intérêts, ces deux plans sont si heureusement rejoints ensemble que, si la pièce n'était pas un peu affaiblie par quelques scènes de coquetterie et d'amour plus dignes de Térence que de Sophocle, elle serait la première tragédie du théâtre français.» (''Remarques sur Ie ''Troisième discours du poème dramatique''''). - La règle de l'unité de temps voulait, d'après Aristote, que l'action ne dépasse pas une «révolution de soleil», qu'elle coïncide le plus possible avec le temps du spectacle : on en avait fixé la durée maximale à vingt-quatre heures. Son respect dans la pièce est bien marqué aux vers 1123-1124 : «J'ai moi-même, en un jour, Sacrifié mon sang, ma haine et mon amour.» et au vers 1213 : «Cette nuit je vous sers, cette nuit je l'attaque.» Ce respect fut d'autant plus facile que la tragédie débute en pleine crise (même si le conflit entre Pyrrhus et Andromaque dure depuis un an [vers 969]) ; que l'ambassade d'Oreste oblige Pyrrhus et Andromaque à des décisions immédiates. Racine a été si peu gêné par la limite des vingt-quatre heures qu'il a parfois interrompu I'action par des «paliers», afin de ménager I'intérêt des spectateurs, et d'éviter la précipitation. Il fut même l'un des dramaturges qui se sont le plus approchés de l'idéal du théâtre classique qui voulait que le temps de l'action corresponde au temps de la représentation (c'est-à-dire environ trois heures). Mais le passé est tout de même évoqué : autrefois, eut lieu la guerre de Troie, «dix ans de misère» (vers 873) ; comme l'est aussi l'avenir : Astyanax est reconnu «pour le roi des Troyens» (vers 1512). - La règle de l'unité de lieu voulait que toute l'action se déroule dans un même endroit. C'est bien le cas puisqu'il est indiqué que «la scène est à Buthrote, ville d'Épire, dans une salle du palais de Pyrrhus». En fait, si la pièce ne peut que se dérouler dans le palais, ce n'est peut-être pas dans la même salle. Mais, au vers 790, il y a élargissement du lieu par un décor hors palais. Et il fallait des récits de ce qui ailleurs s'est passé ; mais ils ne sont pas artificiels : la vision de Troie en flammes s'impose dans la mémoire d'Andromaque au moment où elle doit accepter Pyrrhus pour époux : «Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle?» [vers 997]) ; on ne peut éviter le récit de la mort de Pyrrhus et du suicide d'Hermione. Mais il fallait aussi à l'époque ne pas montrer sur la scène les actions violentes, afin de se soumettre à? - La règle du respect de la bienséance qui voulait que soit maintenu un certain protocole entre des personnages qui sont des grands de ce monde, même s'ils s'assassinent ; qui interdisait de choquer le spectateur par la présence de sang sur la scène, par le tableau de l'intimité physique. Boileau la résuma ainsi : «Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose : Les yeux en le voyant saisiront mieux la chose ; Mais il est des objets que l'art judicieux Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux.» (''L'art poétique''). Racine ne put se résoudre à nous présenter, comme Euripide, une Andromaque qui craint pour le fils qu'elle a eu de Néoptolème ; il expliqua dans sa seconde préface d'''Andromaque'' : «Andromaque ne connaît pas d'autre mari qu'Hector, ni d'autre fils qu'Astyanax. J'ai cru en cela rne conformer à l'idée que nous avons rnaintenant de cette princesse. La plupart de ceux qui ont entendu parler d'Andromaque ne la connaissent guère que pour la veuve d'Hector et la mère d'Astyanax. On ne croit point qu'elle doive aimer ni un autre mari ni un autre fils». Sa pièce comporte un assassinat et un suicide. Mais le spectateur ne voit pas couler le sang. Le récit provoque la terreur et la pitié, mais en évitant l'horreur qui ne convient pas à un «honnête homme» : Oreste raconte la mort de Pyrrhus, Pylade celle d'Hermione. Certes, la folie d'Oreste est dépeinte avec un réalisme assez brutal (V, 5), mais à aucun moment le dramaturge ne cède au mauvais goût : dans sa déchéance, Oreste reste grand, comme doit l'être un héros de tragédie. - La règle de la nécessité de la vraisemblance. Elle est observée dans la pièce car chaque personnage prend place dans un conflit historiquement et psychologiquement vrai. Le reproche adressé à Racine d'avoir mélangé les genres en introduisant certaines scènes de dépit amoureux (III, 6) ou quelques répliques de roman précieux porte à faux puisqu'il a, de la sorte, respecté le caractère de ses personnages. Avec ''Andromaque'', Racine administra la preuve qu'il était classique d'instinct, mais qu'il libéra aussi la tragédie de la servitude de cet ensemble d'attitudes, de gestes et de mots, auquel les contemporains avaient fini par lier Ie genre. L'admirable simplicité et clarté d'ensemble et l'aisance du mouvement de la pièce masquent une habile construction. L'acte I est marqué par l'intervention d'Oreste. Dès la première scène achevée, et l'exposition entièrement assumée par le dialogue entre lui et Pylade (I, 1), I'action débute par deux ultimatums : diplomatique (I, 2) et affectif (I, 4). À l'acte II, Pyrrhus reprend la réponse négative qu'il avait opposée à Oreste, pour punir Andromaque de celle qu'elle avait faite à Pylade pendant I'entracte (II, 3, 4, 5). Cette péripétie bouleverse le plan d'Oreste qui se croyait maître d'une Hermione lassée des dédains du roi (II, 1, 2). Cet acte de renversement des alliances, durant lequel Oreste s'est cru accepté par Hermione, et pensa Pyrrhus capable d'oublier Andromaque, mène la crise à son paroxysme. À l'acte III, Oreste projette d'enlever Hermione, quitte à assassiner son rival (III, 1). Se croyant triomphatrice assurée, elle affronte son soupirant (III, 2) et sa rivale (III, 4) avec une insolente étourderie qui jette Andromaque aux pieds de Pyrrhus (III, 6), Iequel revient sur sa décision, et en remet, pour la durée de I'entracte à venir, la responsabilité entre les mains de sa captive (III, 7). L'action reflue alors vers le tombeau d'Hector (III, 8). Coup de théâtre central, un «miracle» s'est produit pendant l'entracte ; c'est la résolution prise par Andromaque d'épouser Pyrrhus. Quand débute I'acte IV, son stratagème (accepter le rnariage et se suicider dès après la cérémonie qui aura engagé la foi de Pyrrhus [IV, l]) a retourné la situation. Hermione reprend alors I'initiative, et, dans sa colère, commande à Oreste le meurtre de I'amant infidèle (IV, 3). Ce nouvel ultimatum, suspendu durant une dernière et vaine entrevue d'Hermione et Pyrrhus (IV, 5), engage le dénouement, auquel Racine eut soin de nous préparer dès la première scène. À l'acte V, la catastrophe, suspendue par les atermoiements d'Hermione (V, 1) puis les incertitudes d'Oreste (V, 2), voit s'enchaîner le récit du meurtre par le meurtrier, le désaveu d'Hermione (V, 3), son suicide et la folie d'Oreste (V, 5). La courbe de l'action se dessine donc dans un plan que définissent deux axes. En «ordonnée», Andromaque hésite entre Ia fidélité due à l'époux, et celle due à son fils, dilemme qui s'inscrit dans I'univers intangible des valeurs, sur la verticale allant du touchant au sublime. En «abscisse», I'interdépendance des passions non réciproques des autres personnages précipite les faits en répercutant les conséquences de la moindre décision sur l'horizontale de l'intrigue qui marche vers son dénouement fatal. Car, du fait de l'implacabilité des enchaînements, on assiste à un jeu systématique de répercussions en échos (résultat de la chaîne des amours non réciproques). Une rigoureuse chronologie des faits s'impose, notamment au cinquième acte. Il ne se passe matériellement rien entre I'exposition et le dénouement, tout tenant à des conflits d'âmes, à des rebondissements psychologiques, à tout un jeu de déguisements, de stratégies, d'affrontements violents ou de duels mouchetés, grâce au dynamisme romanesque des passions concurrentes, que le dramaturge poussa au paradoxe, faisant décidément fonctionner cette situation tragique sur un plan ludique. Ainsi, Oreste rencontre Pyrrhus, qui refuse son ultimatum, puis Hermione, qui conclut : si Pyrrhus «y consent, je suis prête à vous suivre» (vers 590). Il exulte (vers 591-592). Il lui suffit de revoir Pyrrhus, qui, justement, arrive... pour annoncer qu'il «épouse» Hermione dès le lendemain. Pour que ce complet revirement soit encore plus frappant, son explication est rejetée dans la scène suivante. Puis c'est au tour d'Hermione d'exulter (vers 849-854)... un moment, car Pyrrhus revient aussitôt à Andromaque. Or, coup de théâtre central, qualifié de «miracle» (vers 1050), celle-ci, contre toute attente sinon toute vraisemblance, accepte de l'épouser avec I'intention de se suicider aussitôt. Dans la chaîne des amours impossibles, trois groupes de termes opposés se repoussent et s'attirent à la fois : Oreste et Hermione, Hermione et Pyrrhus, Pyrrhus et Andromaque. Hermione et Pyrrhus sont les deux moyens dont Oreste et Andromaque sont les deux extrêmes. Le jeu du drame dans cette intrigue à incidences multiples est tout entier dans le va-et-vient de ces deux moyens termes, tantôt se rapprochant, tantôt s'éloignant de ces deux extrêmes. Tantôt, en effet, Pyrrhus, désespéré, se détourne d'Andromaque, et revient à Hermione, qui alors se hâte d'abandonner Oreste, et ainsi les deux extrêmes restent seuls, Andromaque dans sa joie, Oreste dans sa fureur ; tantôt, au contraire, l'espoir ramène Pyrrhus vers Andromaque, et Hermione, à son tour désespérée, ulcérée, se retourne vers Oreste. Il n'y a aucune intervention externe, aucune combinaison matérielle, aucune surprise. C'est une merveille d'art dramatique. Racine commence sa pièce au moment où les passions longtemps contenues vont déchaîner leur fureur : depuis longtemps déjà, Oreste «traîne de mers en mers sa chaîne et ses ennuis» (vers 44), Pyrrhus s'empresse autour d'Andromaque, Hermione «pleure en secret le mépris de ses charmes» (vers 130). Brusquement, un fait nouveau survient, qui irrite les passions, rompt l'équilibre d'une situation déjà tendue, enclenche le cycle infernal de la chaîne à sens unique des amours insatisfaits sans autre issue que le sang, met en branle la roue du destin, et précipite les êtres vers une fin tragique : l'arrivée d'Oreste à la cour de Pyrrhus, le seul «obstacle», au sens cornélien du terme. Ce fait initial, qui va déclencher la crise, s'explique déjà par les caractères : l'ambassade des Grecs a été provoquée par la jalousie d'Hermione, sur laquelle Oreste veut agir («La fléchir, l'enlever, ou mourir à ses yeux» [vers 100]). Devant ce fait initial, chaque héros réagit selon ses intérêts, ses sentiments, ses passions, et I'attitude de chacun se répercute à son tour sur les autres, d'où une chaîne de réactions psychologiques. Oreste, apprenant qu'Hermione reviendrait vers lui si elle était repoussée par Pyrrhus, subordonne son ambassade à ses propres intérêts, et, par son insolence, pousse Pyrrhus à refuser de livrer Astyanax. Aussitôt, le roi exploite la situation nouvelle : il exerce une pression sur Andromaque, qui est soumise, d'une part, à l'attrait de la mort que lui inspire le souvenir d'Hector, et, d'autre part, à l'attrait de la vie au nom d'Astyanax. Son hésitation entre ces deux forces provoque le revirement de Pyrrhus, le retournement du quadrille tragique. Pour obtenir l'appui de Pyrrhus, elle devra se montrer plus conciliante. Comme elle résiste encore, il passe de la galanterie à la menace, puis retourne vers Hermione. Cette dernière rayonne de bonheur. Mais Oreste est désespéré..., etc. Une lutte à mort est engagée, et, comme les ardeurs ont la même violence, personne ne cèdera. Vers le quatrième acte, survient un moment d'indécision où plusieurs solutions demeurent possibles : Hermione condamne Pyrrhus, puis arrête le bras d'Oreste. Mais, finalement, tous périssent, dans un dénouement qui est exceptionnellement riche en péripéties. Pyrrhus est assassiné en plein triomphe. Oreste, venu annoncer à sa belle le succès de l'entreprise qu'elle lui a commandée, se voit opposer le célèbre démenti : «Pourquoi l'assassiner? Qu'a-t-il fait? À quel titre? Qui te I'a dit?» (vers 1542-1543). Andromaque, qui devait être la victime soit du meurtre de son fils livré aux Grecs, soit d'un mariage suivi d'un suicide, non seulement survit indemne, mais triomphe au-delà de toute espérance : «Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis, Ils la traitent en reine.» (vers 1587-1588). Ce qui est remarquable dans ce dénouement, c'est que la victime désignée échappe à tous les malheurs prévus, par un coup de théâtre qui inverse le résultat de l'intrigue. Ce dénouement ne correspondait pas aux habitudes de Racine, mais plutôt à celles de Corneille. On peut même le rapprocher de ceux de ''Cinna'', ''Rodogune'', ''Héraclius'' et ''Nicomède''. Il est, au demeurant, conforme à la justice que survive celle qui incarnait la valeur et la fidèle permanence, celle qui échappait à la passion funeste, celle qui a la sympathie du public. Mais cela confirme aussi que l'auteur d'''Andrornaque'' n'assumait pas encore la tragédie jusqu'au bout, comme il le fera avec la mort de Britannicus, d'Atalide et Bajazet ou d'Hippolyte. Tout part d'Andromaque pour revenir à elle qui n'a décidé que sa propre mort, le jeu des passions faisant toutefois d'elle la seule responsable de l'issue tragique où le couple Andromaque-Hector, représenté par Astyanax (toujours invisible et toujours présent) triomphe de Pyrrhus («Il expire...» [vers 1495-1520]), d'Hermione («Elle meurt?» [vers 1604-1612]), d'Oreste («Il perd le sentiment» [vers 1645]). La tragédie naît donc de ce que la passion fatale est incompatible avec la chaîne amoureuse, et l'action tragique naît du balancement entre les vaines espérances et les accès de clairvoyance de chacun : d'où le jeu permanent des paroles données et reprises, des espoirs presque réalisés qui s'écroulent, et des promesses intenables qui débouchent sur l'hécatombe finale, qui ne manque pas de romanesque : l'assassinat de Pyrrhus qui est ordonné par la jalousie, le suicide d'Hermione par désespoir d'amour, la plongée d'Oreste dans la folie par excès de malheur. Ce serait un dénouement de mélodrame s'il n'y avait le génie de Racine, et le prestige de ces héros légendaires qui baignent dans une lumière sacrée. On remarque d'autre part que la pièce compte deux grandes scènes par acte, ce qui n'est pas trop pour quatre personnages principaux ; dans chaque acte, la première grande scène est consacrée à Oreste ou à Hermione, et la seconde à Pyrrhus ou à Andromaque. Ce parallélisme ne cesse qu'au cinquième acte, car Pyrrhus y meurt, et Andromaque n'y paraît pas. L'essentiel de la pièce tient à des face-à-face entre deux personnages, à des confidences faites aux confidents, ou à des affrontements avec l'être aimé. On peut relever les grands dialogues qui se déroulent : - entre Pyrrhus et Oreste : l, 2 ; II, 4. - entre Andromaque et Pyrrhus : I, 41 ; III, 6 et 7, deux rencontres seulement, mais capitales. - entre Andromaque et Hermione : III, 4, une seule rencontre, mais la «scène à faire». - entre Hermione et Oreste : II, 2 ; IlI, 2 ; IV, 3 ; V, 3. - entre Hermione et Pyrrhus : IV, 5, scène capitale, longtemps attendue. Jacques Scherer (''La dramaturgie classique en France'') fit remarquer : «Chaque acte de la pièce se termine par une décision. Ces décisions ne mettent qu'en apparence le point final aux divers actes. Elles ne sont jamais des solutions, elles sont au contraire lourdes de conséquences ; issues de conflits, elles engendrent nécessairement d'autres conflits. Le spectateur, loin de considérer qu'un problème est réglé, ne peut que se demander quel sera le prochain problème.» La tragédie a, à plusieurs reprises, des saveurs de comédie. En effet, d'emblée, la chaîne des amours impossibles a quelque chose de ridicule, de dérisoire, d'autant que les comportements et même les sentiments sont ballottés et inversés par les fluctuations qui la parcourent. Parfois, les déguisements des personnages sont trop poussés, et leur vanité est trop avantageuse, quand ils jouent à qui fera craquer l'autre. Le dénouement n'est pas sans rapport avec le mécanisme comique du trompeur trompé : Pyrrhus est assassiné au moment où il se joue insolemment de tout le monde, et les instigateurs du meurtre, Oreste et Hermione, au lieu du bonheur escompté, trouvent I'un la folie et I'autre le suicide, tandis que triomphe Andromaque, victime désignée. En général, l'auteur d'une tragédie classique s'identifiait à ses héros, pour leur attribuer les paroles que commandait la vraisemblance. Mais celui d'''Andromaque'' se désolidarisa parfois des siens pour se faire complice du public à leurs dépens (nous plaçant dans la position de spectateurs de comédie), et peut-être aussi parce qu'il ne voulut pas partager l'aveuglement d'une misère tragique à laquelle il ne s'identifiait pas encore autant qu'il allait le faire à partir de ''Britannicus''. Il nous invite à une distanciation ironique, la difficulté pour I'acteur étant alors d'adhérer à la fois à son personnage et au(x) rôle(s) qu'il se donne, tout en faisant percevoir au public les intentions distanciées que l'auteur introduisit dans son discours. Racine se moqua de Pyrrhus : - à travers certaines reparties d'Andromaque : - «Et quelle est cette peur dont le c?ur est frappé, Seigneur? Quelque Troyen vous est-il échappé?» (vers 267-268) ; - «Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce? Faut-il qu'un si grand c?ur montre tant de faiblesse? Voulez-vous qu'un dessein si beau, si généreux, Passe pour le transport d'un esprit amoureux?» (vers 297-300) ; - «Retournez, retournez à la fille d'Hélène.» (vers 342) ; - «Et que veux-tu que je lui dise encore? Auteur de tous mes maux, crois-tu qu'il les ignore?» (vers 925-926) ; - «Pardonne, cher Hector, à ma crédulité, Je n'ai pu soupçonner ton ennemi d'un crime.» (vers 940-942) ; - à travers ses propres propos de jaloux de comédie de boulevard : «Tu l'as vu comme elle m'a traité. Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée, Que son fils me la dût renvoyer désarmée. J'allais voir le succès de ses embrassements. Je n'ai trouvé que pleurs mêlés d'emportements. Sa misère l'aigrit. Et toujours plus farouche Cent fois le nom d'Hector est sorti de sa bouche. Vainement à son fils j'assurais mon secours, C'est Hector, disait-elle en l'embrassant toujours, Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace, C'est lui-même ; c'est toi, cher époux que j'embrasse.» (vers 644-654) ; - à travers les remontrances que lui fait Phoenix en II, 5, et qui eurent pour conséquence qu'en 1719, comme le raconta I'abbé Du Bos, que «le parterre rit presque aussi haut qu'à une scène de comédie». Aussi, lors de sa prochaine capitulation, Pyrrhus commence par se débarrasser de ce témoin gênant : «Va m'attendre, Phoenix» (vers 947) - «Phoenix, garde son fils» (vers 1392). Racine ironisa aussi sur l'aveuglement d'Hermione qui triomphe allègrement quand Pyrrhus revient vers elle : «Il veut tout ce qu'il fait ; et s'il m'épouse, il m'aime. Mais qu'Oreste à son gré m'impute ses douleurs. N'avons-nous d'entretien que celui de ses pleurs? Pyrrhus revient à nous. Hé bien, chère Cléone, Conçois-tu les transports de l'heureuse Hermione? Sais-tu quel est Pyrrhus? T'es-tu fait raconter Le nombre de ses exploits? Mais qui les peut compter? Intrépide, et partout suivi de la victoire, Charmant, fidèle, enfin, rien ne manque à sa gloire.» (vers 846-854). Hermione se moque du «funeste langage» d'Oreste (vers 505), de ces «tristes discours» (vers 519). Racine souligna la rhétorique désuète et déplacée de ses compliments de celui-ci (on peut opposer I'emphase des vers 1147-1156 à la brièveté d'Hermione, et remarquer que les vers 1153-1154 sont une accumulation de termes contradictoires). Mais I'ironie de I'auteur tragique est dérision, a un arrière-goût profondément amer. Cette pièce est éminemment théâtrale, le jeune ambitieux qui l'écrivit étant particulièrement avide de plaire et de briller devant un public fin connaisseur de I'art de plaire et des stratégies relationnelles. Aussi exploita-t-il hardiment les possibilités théâtrales du sujet, aiguisant les péripéties, manipulant parfois ses personnages ou même se moquant d'eux, et faisant prévaloir les sollicitations du rôle sur le respect du caractère d'Oreste, Hermione et Pyrrhus. Toujours préoccupés de stratégies avantageuses, toujours vifs à réagir, ils ne cessent de faire spontanément du théâtre, et leurs relations sont éminemment concurrentielles. Ces êtres en crise cultivent le paraître, les séductions du jeu et du style ; ils ne cessent de se déguiser, de se pavaner, de séduire, piquer, berner ou affronter, d'élaborer tactiques et contre-offensives. Ainsi, Pyrrhus et Hermione ne se rencontrent qu'une fois, à la fin de I'acte IV. La lettre du texte nous dit qu'il vient avouer la vérité devant celle qu'il trahit, et suggère que c'est pour soulager sa conscience (vers 1277-1280 et 1301-1308). Pourquoi pas, dans la mesure où il s'adresse à lui-même, et où Racine écrit ce passage en psychologue? Mais, si I'on replace dans le fonctionnement de la scène ces paroles calculées par un dramaturge et adressées à Hermione, on reconnaîtra qu'il s'agit surtout d'une provocation. C'est bien ainsi qu'elle les interprète. Aussitôt après intervient une nouvelle rencontre où la manipulation des personnages par un dramaturge soucieux d'effets complaisants est particulièrement sensible (III, 6). Elle commence comme une scène de dépit amoureux, où I'on affecte de se dédaigner, comme le fait aussi Andromaque quand elle s'adresse à I'autre, à Hector, dans une comparaison dévalorisante (vers 940-942). ''Andromaque'' est une oeuvre d'une grande richesse : tragique, d'une violence concentrée, elle est parfois épique, à travers les évocations de la guerre de Troie, souvent d'une galanterie romanesque, ou élégiaque à travers les souvenirs du bonheur d'Andromaque (vers 1014-1026), ou comique même par endroits. Et l'esprit classique, qui s'affirmait alors, y atteignait son point de perfection : rigueur et simplicité de la composition, mais aussi souci de la vraisemblance, profondeur psychologique, harmonie et pureté de la langue. Intérêt littéraire Le texte d'''Andromaque'' montre des qualités qu'on peut essayer de déterminer en examinant successivement le lexique, la syntaxe, les styles, la versification. Le lexique : On y distingue des mots de la langue du XVIIe siècle dont voici un relevé : - «abord» (vers 1276) : «introduction d'une personne auprès d'une autre», «arrivée». - «achever» (vers 715) : «rendre complet». - «admirer» (vers 1130) : «s'étonner de» (sens étymologique [latin «mirari»]). - «à main forte» (vers 1586) : «à main armée», «en portant des armes». - «amant» (vers 116, 126, 142) : «personne qui aime sans être nécessairement payée de retour», «soupirant» ou «prétendant agréé». - «amour» qui pouvait être féminin (vers 462). - «appareil» (vers 1639) : «ensemble d'éléments préparés pour obtenir un résultat». - «ardente» (vers 1337) : «brûlante», «en flammes». - «arrêt de mon courroux» (vers 1407) : «décision que m'a inspirée ma colère». - «cependant» (vers 570, 1214) : «pendant ce temps» (sens étymologique). - «charme» (vers 31, 254, 673) : «sortilège», «enchantement magique». - «c?ur» (vers 298, 787, 1239, 1411) : «courage». - «conduite» (vers 1253) : «direction» (sens étymologique). - «content» (vers 1620) : «contenant tout ce qu'il peut contenir». - «coup» (vers 801, 836) : «action mauvaise, ou tout au moins action hardie». - «courage» (vers 1497) : «c?ur». - «couronner» (vers 1165) : «mettre le comble à». - «démons» (vers 1636) : «divinités», «esprits», «génies». - «déplaisir» (vers 81) : «désespoir», «tristesse profonde», «angoisse». - «devant que» (vers 1429) : «avant que» ; c'était déjà presque un archaïsme à l'époque de Racine. - «détester» (vers 754) : «vouer aux puissances infernales». - «diadème» (vers 1137) : «bandeau royal», «couronne royale». - «dissiper» (vers 1410) : «se dissiper» ; au XVIIe siècle, l'emploi absolu se substituait souvent à l'emploi pronominal là où il serait de règle aujourd'hui. - «échauffer» (vers 1002) : «stimuler». - «éclater» (vers 1115) : «se couvrir d'éclat», «briller», «se signaler». - «égaré» (vers 1606) : «qui a quasiment perdu la raison». - «embrasser» (vers 1633) : «prendre dans ses bras» (sens étymologique). - «encore un coup» (vers 1158, 1418) : «encore une fois» ; l'expression n'était pas familière au XVIIe siècle. - «en effet» (vers 1150, 1355) : «réellement», «véritablement». - «ennui» (vers 44, 256, 376, 524, 835, 1139, 1403) : «violent chagrin» (du latin «in odium» : «qui entraîne dans la haine»). - «entendre» (vers 537, 702) : «comprendre». - «environner» (vers 1593) : «encercler». - «éperdu»  (vers 729) : «qui est profondément troublé par la crainte ou par une passion quelconque.» - «étudiée» (vers 1398) : «feint», «simulé». - «évènement» (vers 1487) : «issue», «succès de quelque chose». - «fable» (vers 770) : «sujet de moquerie». - «fer» (vers 1034) : «épée». - «fers» (vers 32, 1351) : «chaînes auxquelles étaient attachés les prisonniers» ; - «flatter» (vers 658, 737, 871) : «tromper», «faire illusion», «faire plaisir», «remplir de satisfaction». - «foi» (vers 437, 819, 1023, 1043, 1075, 1282, 1381, 1507) : «fidélité», «assurance donnée d'être fidèle à sa parole». - «fortune» (vers 2, 829) : «sort», «destinée», «fatalité», «tout ce qui peut arriver de bien ou de mal à un être humain» (sens latin). - «fureur» (vers 488, 709) : «folie» (sens étymologique). - «furie» (vers 1537) : à la fois «acharnement inhumain» et «geste de folie». - «garder» (vers 801) : «prendre garde que». - «gêner» (vers 343, 1347) : «torturer» ; c'était déjà un archaïsme à l'époque de Racine. - «gloire»  (vers 413, 631, 634, 822) : «réputation», «honneur». - «se hasarder» (vers 1062) : «se mettre en péril». - «heureux» (vers 1502) : «favorisé par le sort». - «horreur» (vers 1627) : «effroi presque physiologique» (sens étymologique). - «hymen» (vers 80, 124, 667, 755, 806, 837, 965, 1025, 1109, 1241, 1371, 1433, 1487, 1504) ou «hyménée» (vers 1426) : «mariage». - «innocence» (vers 1346) : «état de quelqu'un qui ne nuit pas» (sens étymologique). - «s'intéresser pour quelqu'un» (vers 1404) : «prendre parti pour lui». - «ménager» (vers 1646) : «mettre à profit». - «modeste» (vers 1121) : «qui a de la modération». - «objet» (vers 1609) : «ce qui se présente à la vue», «spectacle». - «opprimer» (vers 1209) : «tuer». - «parricide» (vers 1534, 1574) : «meurtre d'un père, d'une mère, d'un frère, d'une soeur, d'un enfant, d'un ami, d'un roi.» - «passer» (vers 1613) : «dépasser». - «perdre» (vers 1201) : «tuer». - «perdre le sentiment» (vers 1645) : «s'évanouir», «perdre connaissance». - «presse» (vers 1521) : «foule». - «prétendre» (vers 1024) : «aspirer à» - (vers 1481) : «réclamer». - «prévenir» (vers 1061) : «prémunir contre» - (vers 1201) : «agir avant». - «prononcer» (vers 886) : «décider». - «protester» (vers 708) : «promettre solennellement». - «rangé» (vers 1109) : «soumis», «assujetti». - «rendre justice» (vers 1485) : «faire justice». - «retardement» (vers 1171) : «retard». - «sans dessein» (vers 1396) : «sans but», «sans intention précise», «maladroite». - «sans doute» (vers 818, 856) : «sans aucun doute». - «séduire» (vers 783) : «détourner du droit chemin» (sens étymologique). - «soin» (vers 195, 501, 767, 1252, 1457) : «souci grave», «effort qu'on fait pour obtenir ou éviter quelque chose». - «succès» (vers 647, 765) : «résultat, favorable ou défavorable» (sens latin de «successus»). - «trahir» (vers 1526) : «en parlant des choses, ne pas seconder, rendre vain, décevoir.» - «transport» (vers 300, 719, 850, 1055, 1394, 1457, 1505) : «mouvement violent de l'âme». Le lexique est limité (moins de deux mille mots). Il est même le moins original et le plus réduit de toutes les tragédies de Racine, sauf ''Alexandre'', surtout pour les substantifs, les adjectifs et les adverbes de manière. Cette limitation volontaire du champ sémantique est notamment due au fait que seule I'analyse des passions et des réactions affectives est développée. Le dramaturge exprima I'amour avec les mots de tout le monde, dans les formules les plus simples, d'où le reproche de fadeur qui fut adressé à des vers jugés trop doucereux. Il donna à Oreste et à Pyrrhus la langue des romans galants, des pastorales, des madrigaux écrits par les précieux, car, même s'il tenta de résister à ce goût, il était soumis à cette mode qui voulait que les amants n'abordent un «bel objet» qu'en tressant les plus ingénieuses guirlandes des plus belles fleurs de la rhétorique amoureuse. On peut relever ces mots de la langue des précieux qu'on trouve dans la pièce : - «armes» (vers 949) : «moyens d'une séduction considérée comme une agression» ; il est question des «armes des yeux» (vers 534), d'«yeux, à la fin désarmés» (vers 1151), les yeux étant censés, comme l'arc de Cupidon, de lancer des traits, des flèches, qui blessent les c?urs. - «chaînes» (vers 44, 961) : «liens», «engagements». - «conquête» (vers 1434) : «séduction». - «cruautés» (vers 292) : «marques d'indifférence à l'égard d'une personne qui aime». - «cruel» (vers 1356), «cruelle» (vers 141) : «personne qui ne répond pas aux avances de celle ou celui qui l'aime» ; Péguy considéra que ce mot est, dans la tragédie de Racine, «un véritable mot conducteur». - «esclave» (vers 29) : «soumis aux exigences de l'amour». - «fers» (vers 32, 1351) : «chaînes imposées à un prisonnier de l'amour». - «feu» : «passion amoureuse» (vers 85, 95, 108, 251, 320, 348, 468, 553, 574, 576). - «flamme» : «passion amoureuse» (vers 40, 629, 811, 865, 918, 1017). - «inhumaine» : «femme insensible à l'amour» (vers 26, 109, 762). - «objet» : «femme aimée» (vers 595). - «servir» (vers 1145) : «être au service de la femme aimée». Il faut remarquer la préciosité du vers 568 («Venez dans tous les c?urs faire parler vos yeux.») où il y a un véritable jeu de mots, une pointe. Le vocabulaire politique, institutionnel et guerrier, le vocabulaire moral et religieux, la couleur locale sont, dans ''Andromaque'', bien plus réduits que dans les pièces qui suivirent. En revanche, les mots fonctionnels sont sensiblement plus nombreux qu'ailleurs, ce qui s'explique (surtout pour les intensifs et pour les pronoms et adjectifs personnels, possessifs et démonstratifs) par l'intensité des passions, et la vivacité des relations entre les interlocuteurs. On remarque la fréquence des mots «mépris», «mépriser», «dédaigner», qui, deux fois et demie plus élevée dans les quatre premières tragédies que dans les sept suivantes, culmine ici : 21 emplois contre une moyenne de 5,2 ailleurs. Et, Oreste, Hermione et Pyrrhus adressant leur hargne au traître qui refuse de les reconnaître, les mots «ingrat», «infidèle» et «parjure» apparaissent ici 38 fois contre une moyenne de 13,2 ailleurs. Il faut signaler le jeu des noms propres à contenu dramatique ou psychologique, opposés ou accouplés : «Grèce» - «Troie» - «Achille» - «Hector», etc., qui se manifeste en particulier dans les vers 662-663 : «Elle est veuve d'Hector, et je suis fils d'Achille : Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.» Racine donna à chacun de ses personnages le langage qui lui convient : Pylade parle tantôt en ambassadeur, tantôt en ami fidèle ; Pyrrhus en amoureux plus souvent qu'en roi ; Oreste en victime désignée par une fatalité dont I'amour n'est qu'une des multiples formes ; Hermione en princesse impérieuse et passionnée ; Andromaque en veuve et en mère affligée. La syntaxe On remarque des usages propres à la langue du XVIIe siècle : - Des constructions latines subsistaient : «tant de tourments soufferts» (vers 31) - «se sont bien exercés» (vers 315) - «mon sang prodigué» (vers 494) - «le prix d'un tyran opprimé» (vers 1191). - L'accord du participe employé comme verbe était admis : «leurs vaisseaux brûlants» (vers 842) - «la veuve d'Hector pleurante» (vers 860) - «palais brûlants» (vers 1000) - «Pleurante après son char» (vers 1329) - «expirante à sa vue» (vers 1334). - Un verbe pouvait avoir deux compléments de nature différente. - «L'?il qu'il me voit» (vers 463) pour «avec lequel il me voit» était une tournure habituelle au XVIIe siècle. - On construisait avec la préposition «de» des verbes construits aujourd'hui avec la préposition «à» : «forcer de» (vers 443, 535) - «consentir de» (vers 1344) - «se résoudre de» (vers 1584), ou avec lla préposition «par» : «être combattu de» (vers 1463). - Le pronom personnel complément était placé devant le verbe : «Il la viendra presser» (vers 128) - «on les veut brouiller» (vers 139) - «et lui montrez» (vers 135) - «je l'allais quitter» (vers 812) - «il vous faudrait peut-être / Prodiguer» (vers 1325). - On trouve «maître de soi» (vers 1323), alors que nous dirions aujourd'hui : «maître de lui». - Une construction avec l'auxiliaire «être» fut relevée par Littré chez Racine seulement : «Quelque Troyen vous est-il échappé?» (vers 268). - Sont fréquentes les anacoluthes, ruptures dans la construction d'une phrase, que la langue d'aujourd'hui ne se permet plus : - «Captive, toujours triste, importune à moi-même, Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime?» (vers 301-302) ; - «par ce conseil prudent et rigoureux, / C'est acheter la paix» (vers 615-616) ; - «et, toujours plus farouche, / Cent fois le nom d'Hector» (vers 649-650) ; - Intrépide, et partout suivi de la victoire, Charmant, fidèle enfin, rien ne manque à sa gloire.» (vers 853-854) ; - «en lui laissant mon fils, c'est l'estimer assez.» (vers 1112) ; - «Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne» (vers 1318) : «alors que vous êtes l'amant». - «Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle?» (vers 1365), «si tu avais été fidèle», la beauté de cette ellipse ou anacoluthe ayant été souvent, à juste titre, soulignée ; cette forme ramassée exprime mieux que ne l'eût fait une longue phrase. et d'une manière beaucoup plus pathétique la douloureuse nostalgie que ressent Hermione. - «sans changer de face / Il semblait que ma vue excitât son audace» (vers 1501-1502) : «sans qu'il change de face». - «Pourquoi l'assassiner? Qu'a-t-il fait? À quel titre? Qui te l'a dit?» (vers 1542-1543) Ces vers où frémit la colère d'Hermione furent commentés par Proust, qui montra que le charme qu'on a l'habitude de leur trouver vient précisément de ce que le lien habituel de la syntaxe est volontairement rompu. «À quel titre?» se rapporte, non pas à «Qu'a-t-il fait?» qui le précède immédiatement, mais à «Pourquoi l'assassiner?» Et «Qui te l'a dit?» se rapporte aussi à «assassiner». On peut, se rappelant un autre vers : «Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise?» (vers 550) supposer que «Qui te l'a dit?» est pour «Qui te l'a dit, de l'assassiner?». Ces zigzags de l'expression ne manquent pas d'obscurcir un peu le sens, et une grande actrice se montra plus soucieuse de la clarté du discours que de l'exactitude de la prosodie en disant carrément : «Pourquoi l'assassiner? À quel titre? Qu'a-t-il fait?». Si le texte présente ces anacoluthes, d'une façon générale, les phrases que Racine mit dans la bouche des Grecs du temps d'Homère paraissent simples, voire banales. Elles sont toujours, pour ses auditeurs, vraisemblables. Cette simplicité qui, dans un autre contexte, paraîtrait sinon artificielle, au moins apprêtée, se dégage d'une structure de discours si richement tramée que le contraste fait briller de leur pure lumière ou de leur cruel éclat ces moments choisis. Le dramaturge rejeta toute rhétorique, ayant compris que des périodes oratoires, des effets d'éloquence, détonneraient dans la bouche de ses héros, et pourraient même devenir ridicules. Les styles On trouve assez fréquemment chez Racine, qui répugna à I'enflure dont Corneille ne fut pas toujours exempt, des tournures familières : «Que veux-tu?» (vers 771) ; la brutalité en à-plat du style coupé (vers 1495, 1525, 1543, 1561-1563) ; des stichomythies (successions de courtes répliques, de longueur à peu près égale, n'excédant pas un vers, produisant un effet de rapidité, donnant du rythme au dialogue, chaque réplique étant comme une «botte» portée par un duelliste, et une parade de l'adversaire) : vers 237-238, 1038-1039, 1043, 1047 ; la nudité presque prosaïque de I'amertume ou de la violence (vers 538, 1157). Mais cela jamais ne manque de dignité, et explique en partie le parfait naturel de son théâtre. Et Racine sut aussi ménager : - Des répétitions significatives : - «Dois-je les oublier [?] Dois-je oublier [?] Dois-je oublier» (vers 992, 993, 995) ; - «Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle...» (vers 997-998) ; - «Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants, Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.» (vers 1003-1004) ; - «Figure-toi [?] Peins-toi» (vers 999, 1005) ; - «Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue ; Voilà par quels exploits il sut se couronner ; Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.» (vers 1006-1008) ; - «Mener en conquérant sa nouvelle conquête» (vers 1434) ; - «Percé de tant de coups, comment t'es-tu sauvé? Tiens ! tiens ! Voilà le coup que je t'ai réservé. Elle vient l'arracher au coup qui le menace?» (vers 1631-1632, 1634). - Des gradations : - «La fléchir, l'enlever, ou mourir à ses yeux» (vers 100) ; - «père, sceptre, alliés [?] il met tout à vos pieds» (vers 1055) ; - «À Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi» (vers 1096) ; - «mon sang, ma haine et mon amour» (vers 1124) ; - «Vous ne donnez qu'un jour, qu'une heure, qu'un moment» (vers 1208) ; - «Il me trahit, vous trompe, et nous méprise tous» (vers 1224) ; - «Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione» (vers 1386) ; - «parricide, assassin, sacrilège» (vers 1574). - Des antithèses : - «fils d'Hector» et «maître» (vers 272) ; - «Vous, pour porter des fers ; elle pour en donner.» (vers 348) ; - «mort» et «immortel» (vers 360) ; - «De mon sang prodigué sont devenus avares» (vers 494) ; - «je mets sur son front, / Au lieu de ma couronne, un éternel affront» (vers 943-944) ; - «il faut ou périr ou régner» (vers 968) ; - «Je meurs si je vous perds ; mais je meurs si j'attends» (vers 972) ; - «soumis ou furieux» (vers 975) ; - «Vous couronner [...] ou le perdre à vos yeux» (vers 976) ; - «serments»-«parjures», «fuite»-«retour», «respects»-«injures» (vers 1153-1154) ; - «Soyons ses ennemis, et non ses assassins» (vers 1180) ; - «Est-il juste, après tout, qu'un conquérant s'abaisse / Sous la servile loi de garder sa promesse?» (vers 1313-1314) ; - «Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne» (vers 1318) ; - «Ta haine a pris plaisir à former ma misère» (vers 1617). - Des hypallages : «triste amitié» (vers 16) - «yeux infortunés» (vers 303-304) - «bouche cruelle» (vers 1366). - Des alliances de mots : «cruel secours» (vers 19) - «J'ai mendié la mort» (vers 491) - «Répand sur mes discours le venin qui la tue» (vers 578) - «heureuse cruauté» (vers 643) - «ses mânes en rougissent» (vers 986) - «échauffant le carnage» (vers 1002) - «innocent stratagème» (vers 1097). - Une litote : «amitié» (vers 903), mot qui traduit la délicatesse et l'émotion d'Andromaque. - Des hyperboles : «cent fois» (vers 391, 650, 841, 1550). - Des métaphores : - «Tous mes pas vers vous sont autant de parjures» (vers 486) : l'image manque de cohérence, mais a une élégante hardiesse ; - «Il pense voir en pleurs dissiper cet orage» (vers 1410) : l'«orage» produirait le liquide des «pleurs». - Des personnifications : celle de Troie au vers 148 ; celle de l'«Amour»  (vers 439, 604) personnification mythologique de l'amour. L'apparent prosaïsme du texte est rehaussé par la beauté et la fluidité du texte, qui est empreint de cette insinuante ambiguïté qui est l'un des charmes de la pièce. Nous sommes loin d'un banal réalisme, car le dramaturge fit des exploits avec les moyens les plus ordinaires en apparence. Les vers de la pièce les plus célèbres le sont parce qu'ils présentent quelque audace familière de langage jetée comme un pont hardi entre deux rives de douceur. On peut souligner ceux-ci : - Le vers 44, «Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis», qui est remarquable par sa grande beauté, son pouvoir d'évocation. - Les vers 301-302, qui montrent une Andromaque coquette, alors même qu'elle repousse Pyrrhus : «Captive, toujours triste, importune à moi-même, Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime?» - Les vers 319-320 qui, pourtant tributaires de la mode galante, donnent à la déploration de Pyrrhus une grande force de suggestion : «Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé, Brûlé de plus de feux que je n'en allumai». - Les vers 851-854, où Hermione fait à Cléone un vibrant tableau de son aimé : «Sais-tu quel est Pyrrhus? T'es-tu fait raconter Le nombre des exploits... Mais qui les peut compter? Intrépide, et partout suivi de la victoire, Charmant, fidèle enfin, rien ne manque à sa gloire.» - Les vers 1356-1386, où Hermione apostrophe Pyrrhus. - Les vers 1473-1492, où Hermione manifeste avec véhémence son mépris pour Oreste. - Les vers 1542-1543, qui font frémir l'effervescente colère d'Hermione. - Le vers 1624, «Réunissons trois c?urs qui n'ont pu s'accorder:», cause le plaisir de la belle rencontre d'expressions dont la simplicité presque commune donne au sens une douce plénitude, de belles couleurs. La scène (V, 5) où Oreste crie son désespoir et sombre dans la folie montre à quel degré d'impétuosité put atteindre la poésie tragique de Racine. Comme beaucoup d'auteurs avaient, avant lui, fait la peinture de la folie, il rendit celle d'Oreste avec une couleur antique, mais aussi avec une précision clinicienne qu'on trouve même dans les détails de l'hallucination : «Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne?» (vers 1625). «Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?» (vers 1682). Par ailleurs, Racine donna à son texte toute une profondeur de champ historique à travers de de simples périphrases («fils d'Achille», «fils d'Agamemnon», «fille d'Hélène», «veuve d'Hector», «ta Troyenne»...) ou de véritables tableaux, de remarquables hypotyposes (descriptions réalistes, animées et frappantes de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à l'instant de son expression), comme l'évocation de la nuit de carnage subie par Troie (vers 992-1008), le souvenir des dernières paroles d'Hector (vers 1018-1026). Il élabora aussi un réseau de métaphores où il usa des registres du feu et de la flamme, de la nuit, du corps humain (les yeux, les bras, le coeur, l...

« RÉSUMÉ Acte I Scène 1 : Séparés par une tempête, le roi d’Argos, Oreste, et son ami, Pylade, se retrouvent à Buthrote, capitale de l'Épire, à la cour de Pyrrhus, « le fils d'Achille et le vainqueur de Troie ».

Oreste vient, au nom des Grecs qui sont inquiets de la survie d'un jeune prince ennemi, lui réclamer Astyanax, fils d'Hector et d'Andromaque, qu'elle a soustrait par ruse au carnage de la ville, tandis qu’elle est captive de Pyrrhus.

Mais, comme il est épris d'elle, et qu’il lui offre même sa main et sa couronne, le roi temporise depuis un an (vers 969), délaisse sa fiancée, Hermione, qui attend les noces promises et pour lesquelles elle est venue de Sparte, la paix reposant en partie sur cette union.

Comme Oreste aime passionnément Hermione, qui l’a cependant éconduit, il espère en secret que Pyrrhus refuse de livrer Astyanax, et laisse partir la princesse, qui pourrait alors accepter son amour. Scène 2 : Pyrrhus repousse la requête d'Oreste. Scène 3 : Devant son confident, Phoenix, Pyrrhus souhaite qu'Oreste remmène Hermione. Scène 4 : Pyrrhus fait part à Andromaque de la menace qui pèse sur son fils, menace qui est une arme entre ses mains.

Faisant état du refus qu'il a opposé à Oreste, il lui demande en échange d'accepter de l'épouser.

Comme, bien qu'angoissée, elle oppose de la résistance, refuse même, il devient menaçant. Acte II Scène 1 : Devant sa confi dente, Cléone, Hermione exprime son dépit à I'idée qu'Oreste va la voir humiliée.

Cléone I'incite à bien recevoir le jeune prince, et à partir avec lui.

Elle refuse, espérant que Pyrrhus lui reviendra. Scène 2 : Oreste déclare son amour à Hermione, et lui annonce que Pyrrhus refuse de livrer Astyanax.

Elle manifeste de la colère, ne cache pas qu'elle aime Pyrrhus, et qu'elle espère ne pas le perdre.

Elle accepte toutefois qu'Oreste fasse une dernière tentative en demandant à son rival de choisir entre elle et Astyanax.

Scène 3 : Sû r de la réponse du roi, Oreste se réjouit. Scène 4 : Contre toute attente, Pyrrhus se déclare prêt à livrer l'enfant, et à épouser Hermione.

Fier de sa victoire sur lui-même, il se propose d’aller braver Andromaque.

Lucidement, Phoenix le met en garde. Acte III Scène 1 : Oreste, désespéré, projette d'enlever Hermione.

Pylade essaie de I'en dissuader, mais promet de I'aider, par amitié. Scène 2 : Hermione, qui triomphe, fait souffrir Oreste.

Scène 3 : Ell e laisse éclater sa joie devant sa confidente. Scène 4 : Andromaque vient supplier Hermione de sauver Astyanax.

La princesse grecque, qui rayonne de bonheur, et affiche le mépris le plus ironique envers la captive troyenne, la repousse. Scène 5 : Confi dente d'Andromaque, Céphise I'encourage à suivre les conseils d'Hermione en acceptant de rencontrer Pyrrhus. Scène 6 : Andromaque supplie Pyrrhus de lui garder son fils.

Scène 7 : Pyrrhus , toujours épris d'Andromaque, lui offre de l'épouser et de sauver ainsi son enfant.

Il essaie donc de la convaincre, et, renouvelant son ultimatum, déclare que, si elle refuse, tout est perdu.

Scène 8 : Andromaque décide d'al ler se recueillir sur le tombeau d'Hector. Acte IV 2. »

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