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Apollinaire, La guerre, l'amour

Publié le 17/01/2022

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Je pense à toi mon Lou ton coeur est ma caserne  Mes sens sont tes chevaux ton souvenir est ma luzerne Le ciel est plein ce soir de sabres d'éperons  Les canonniers s'en vont dans l'ombre lourds et prompts  Mais près de toi je vois sans cesse ton image  Ta bouche est la blessure ardente du courage  Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix  Quand je suis à cheval tu trottes près de moi  Nos 75 sont gracieux comme ton corps  Et tes cheveux sont fauves comme le feu d'un obus  qui éclate au nord Je t'aime tes mains et mes souvenirs  Font sonner à toute heure une heureuse fanfare  Des soleils tour à tour se prennent à hennir  Nous sommes les bat-flanc sur qui ruent les étoiles Apollinaire, La guerre, l'amour QUESTIONS 1. Ce qui frappe d'abord à la première lecture d'un poème d'Apollinaire, dont ce « poème à Lou », c'est l'absence de ponctuation, ce qui crée parfois certaines hésitations de lecture (au vers 3 par exemple ou au vers 12). Sinon, hormis les rimes très classiques des quatre premières strophes, on remarque surtout que le poète prend ses distances avec la versification classique. Le poème est composé de cinq strophes, la dernière étant nettement séparée. On observe aussi une nette progression : quatre distiques d'abord, puis un tercet (avec un vers final très court) ; un quatrain enfin, avec rimes (souvenirs/hennir) et assonances approximatives (le son « a » dans fanfare/étoiles). La métrique n'obéit pas non plus à une quelconque contrainte : quelques alexandrins classiques (le premier vers) ; sinon c'est la plus grande liberté. Même liberté enfin dans le vocabulaire où le prosaïque (« 75 ») alterne avec le poétique (avant-dernier vers) plus facilement repérable. Mais la poésie naît d'abord chez Apollinaire des images.
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« I.

La guerreLa guerre est en effet partout présente dans le poème d'Apollinaire : c'est un peu comme si tout le champ de visiondu poète (ou plutôt du soldat qu'il est devenu) était soudain envahi par la gigantesque machine militaire etguerrière.

On retrouve à peu près tout ce qui concerne l'environnement traditionnel du soldat de cette époque : la «caserne », dès le premier vers, les « chevaux » surtout et tout ce qui les accompagne inévitablement, comme la «luzerne » qu'ils affectionnent particulièrement ; ces chevaux, on les retrouve quelques vers après, accompagnés duverbe trotter, puis un peu plus loin dans le poème ils sont encore présents avec les verbes hennir et ruer (même sic'est sous forme métaphorique), ou indirectement avec l'évocation des « bat-flanc », pièces de bois qui séparentdeux chevaux dans une écurie...

Le ciel lui-même est « plein », non d'étoiles, mais « d'éperons »...

C'est comme sipeu à peu l'environnement effectuait une prise de possession complète de l'esprit du poète et qu'il ne pouvait pluss'en dégager.La guerre (l'armée en tout cas) apparaît aussi sous une forme plus « musicale » avec ces « fanfares » qui éclatent,et que l'on fait ensuite « sonner » dans la dernière strophe en « une heureuse fanfare ».

Mais les termes militairesrenvoient souvent à des notions tout aussi bruyantes parfois, mais beaucoup moins pacifiques : ce sont des «sabres » aussi qui, avec les « éperons » parsèment le ciel de « ce soir » ; « les canonniers » s'en vont et on imaginequ'ils emmènent leurs canons avec eux ; plus loin surtout Apollinaire évoque le « 75 », figure emblématique de cetteguerre de 14-18, et redoutable engin de mort, puis les « obus » avec leur « feu » qui « éclate ».

Ce sont là desimages traditionnelles de la violence guerrière : le monde est dès lors tout imprégné de ce bruit et de cette fureur,précurseurs d'apocalypse, qui peu à peu modifient la vision qu'a le poète du monde qui l'entoure.Les dernières images de la guerre qui apparaissent dans le poème sont celles de la « blessure » et du « courage »,les conséquences physiques d'une part, de l'autre les qualités morales que la guerre suppose, ici liées étroitementpar la présence, dans le souvenir, d'une autre obsession : la femme, cette Lou dont le poème ne nous dit que leprénom magique, mais nous raconte la présence lancinante et charmante dans le souvenir de celui qui l'a quittéepour s'engager et se battre. 2.

LouSi la guerre en effet est présente comme une obsession, elle est toujours, dans le poème, associée à cette autreobsession : le souvenir de la bien-aimée, Lou, ce que l'incipit du texte déclare nettement et simplement : « Je penseà toi mon Lou ».

Le verbe penser au premier vers comme le mot « souvenirs » au deuxième et au douzième (dans ladernière strophe) montre bien que si la femme est présente ici, c'est en quelque sorte par son absence qu'elleenvahit, comme la guerre, l'univers mental du poète.

On retrouve partout cette femme dans le texte ; elleaccompagne les gestes, les actes du nouveau soldat qui traîne toujours avec lui ses souvenirs de la vie civile et del'amour quitté.

« Mais près de moi je vois sans cesse ton image.

»Ce sont toutes les images traditionnelles de la femme qui apparaissent dans le poème, tout ce qui constitue soncorps — et cela peut faire penser au genre poétique du « blason » — et véhicule l'immense t désir qui s'y associe :la « bouche » par exemple est d'abord nommée, puis « le corps » et « les cheveux » et « les mains » enfin : femmeen morceaux pourrait-on dire, fragmentée, qui éclate dans le souvenir, mais chaque « partie » de ce corps prend unexceptionnel rayonnement dans ce souvenir et se superpose aux images réelles, jusqu'à faire basculer celles-ci dansle rêve.

Ainsi « ton coeur est ma caserne » est-il dit dans le second hémistiche du premier alexandrin, comme si lafemme et l'univers militaire, par le biais de la métaphore qui les absorbe l'un l'autre, ne faisaient plus qu'un.

La fusions'opère encore mieux dans le vers suivant avec le jeu des pronoms et de leur glissement subtil : « Mes sens sont teschevaux ».

Il y a ici une sorte de transfert, comme si, d'où il était, le poète envoyait à celle qu'il aime des influx aumoyen de ses sens et que ceux-ci se métamorphosaient en ces « chevaux » qui constituent son environnement àlui, lui-même devenu ce « cheval » avec lequel il vit depuis qu'il s'est engagé : « ton souvenir est ma luzerne »,claire métaphore qui montre le souvenir de la femme aussi vital que la luzerne, aliment matériel, pour le cheval.Femme et cheval, parfois, ne font plus qu'un : « Quand je suis à cheval tu trottes près de moi » ; le vers met bienen évidence la force du souvenir transformé en une espèce d'hallucination et la force de l'amour qui impose partout,même absente, la forme de la bien-aimée.

Les métaphores, les verbes comme « être » répété sept fois à propos deLou (« Ton coeur est ma caserne »; « Ton souvenir est ma luzerne », etc.), disent bien que ce ne sont pas desimples comparaisons, mais qu'elle est véritablement présente.

Ainsi dans le vers « Ta bouche est la blessureardente du courage » se télescopent de façon spectaculaire deux images fortes, celle d'une bouche de femme etcelle d'une blessure, rouge aussi, mais de sang (on parle d'ailleurs des lèvres d'une blessure, comme on parle deblessure du coeur), l'adjectif « ardente » renvoie au feu, qui est aussi bien le feu que traverse le soldat (c'est letitre d'un célèbre roman de Barbusse, synecdoque de la guerre) que le feu de la passion amoureuse.

Quant au «courage.

», il est à la fois celui que doit éprouver le guerrier confronté aux obus et l'amant confronté à la séparationdouloureuse et à la blessure de l'absence.L'univers donc bascule et la femme est derrière toute chose : « Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix »,la comparaison ici montre que s'il n'y a pas de superposition véritable de deux sensations, il y a néanmoins penséepermanente, le rapprochement entre « fanfare » et « voix » ne pouvant provenir que d'un esprit entièrement habitépar la présence d'une femme aimée.

Ce que confirment les vers suivants quand métaphores et comparaisonsdeviennent de plus en plus étranges, voire choquantes et provocantes : « Nos 75 sont gracieux comme ton corps »par exemple, où le poète part d'une vision de canon, a priori peu attirante, pour la transformer en ce corps sublimede Lou, par le biais peut-être de la forme allongée et effilée de l'objet en question, comme si le regard du poète nepouvait s'empêcher d'être esthétique même quand il s'agit de choses qui tuent : l'adjectif « gracieux » associé au «75 » (terme technique dénué de toute poésie au sens classique du terme !) crée un effet de surprise en un premiertemps mais montre bien ensuite cette superposition complète de deux mondes apparemment incompatibles : la. »

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