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Appréciez cette parole d'Alphonse Daudet : On ne se moque parfaitement bien que des ridicules qu'on a un peu.

Publié le 12/02/2012

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daudet

Je m'imagine l'auteur de Tartarin de Tarascon consignant sur son «sottisier « cette remarque ironique, le jour même où il mit le point final à sa burlesque épopée. S'il s'est «parfaitement bien « moqué de ses chers Méridionaux, s'il a créé là des types immortels, c'est sans doute parce qu'il a étudié en lui-même ceux dont il a tracé la spirituelle caricature. Atténués par un séjour déjà long dans la capitale, ou le soleil est tamisé. par les brumes du Nord; comprimés, non point morts, les «ridicules« de sa race, il les sentait au fond de son âme. Il fut toujours « un peu « du Midi. « Mais alors, m,objecterez-vous, ...

daudet

« verite - au Virgile travesti de Scarron et aux elucubrations de d'Assoucy, Empereur ,du Burlesque Le Lutrin, plus fin, nous en convenons, n'est- il pas, lui aussi, apparente a ce genre? Ici encore, la conclusion est impos- sible.

Et La Bruyere? Cette fois, le mot du romancier nous parait en defaut stir toute la ligne.

Les Caracteres, bien ore la personnalite de l'auteur transparaisse en maint endroit, sont, en general, tres objectifs.

Le regard scrutateur du moraliste-philosophe s'est porte sur tant de types divers, voire opposes - comme Giton et Phedon - qu'il serait injuste et presque pueril de lui attribuer tous les ridicules - meme attenues - qu'il a de- peints dans son livre.

S'il les a analyses avec une precision si rigoureuse, une ironie si impitoyable, c'est qu'il les a bien observes, tout simplement; c'est qu'il possedait, comme Moliere, le don de lire .les 'Ames sur les visages et de discerner dans les actions les plus indifferentes les ridicules qui s'attachent aux vices et aux faiblesses de Phumanite.

« Chaque homme, disait Montaigne, porte en soi toute Phumaine condition.

} Sans etre afflige de tel vice et de tel travers, sans verser dans les ridicules qui les escortent, un homme attentif - et habitué a l'introspection, decouvre en lui-meme de secretes resonances qui lui permettent de traduire fidelement ce qu'il a &convert en autrui.

Tel doit etre le cas de La Bruyere et de beaucoup d'autres. Sortons maintenant de la litterature et consultons nous-memes « le grand livre du monde comme parlait Descartes, avant de juger definitivement le g mot » soumis A notre appreciation.

Nous sommes dans un salon.

Un des invites, brillant causeur, fait des mots, accroche tine epigramme au nom des personnel qu'on cite, se moque des diners de celui-ci et des receptions de celle-lk, raille les aventures de tel autre : a-t-il donc tous leurs defauts? Je reponds que cet impitoyable archer garde peut-etre une infaillible correction quant aux usages mon- dains, mais qu'il manque certainement de bonte et de modestie; it y a grand'chance qu'il soit, d'une autre facon peut-etre, tout aussi vaniteux que ceux qu'il prend pour cibles.

Lui aussi, il est ridicule, a sa maniere et inconsciemment, puisque le propre du ridicule est bien de nous titer la conscience de notre infirmite morale.

Ecoutez cet autre faire le portrait en charge d'un ami, pendant que vous dites interieurement : « Peut-on se connaitre si peu soi-meme? » Ne vous etonnez pas : it s'etait rapproche de son ami parce qu'il y avait entre eux parite de gaits et de defauts, et maintenant il se moque des ridicules qu'il partage.

Mais de cette, petite vilenie, il sera paye bientot par une execution sommaire que lui menage son intime.

Tel journaliste fulmine contre la multiplicite, Favilissement des decorations; il gemit, Pintegre, stir l'univer- selle platitude des quemandeurs de ruban : soyez stir que, dans la solitude de son cabinet de travail, il enrage de voir sa boutonniere si peu fleurie et adresse un placet au ministre.

Le Parisien qui se moque des airs effares du provincial nail, &barque pour la premiere fois dans la grande vine, ou des airs matamores du bour- geois cossu qui plastronne dans sa Rolls- Royce, a-t-il donc tous leurs ridi- cules? Non.

S'il en a d'autres, it n'a pas ceux dont il se gausse.

Et le pre- dicateur qui met ses auditeurs en garde contre les travers nes des pas- sions, et le moraliste qui fait des portraits, concentrent-ils en eux-mernes toutes les manies, tous les tics qu'ils soulignent? Non; comme Moliere, Boileau et La Bruyere, ils ont observe le monde, et Bs ont ecrit ou park. *** On le voit, la maxime, vraie en de certaines limites, peut etre facilement retorquee, si on la generalise; c'est qu'elle appartient a ce genre de pensee- paradoxe dont Jules Lemaitre a donne, en une chronique brillante, les regles factices, les procedes, les methodes, et dont it a critique l'allure quasi algebrique.

Sous une forme brillante ou fine, c'est le sophisme clas- sique qui consiste a passer du particulier au general par une induction injustifiee.

Toutefois, parce que la remarque de Daudet trouve son application en bien des cas, on peut se demander pourquoi tel, qui est decore d'un ridi- cule, se plait a le railler chez son voisin.

« Nous sommes tous besaciers », vérité - au Virgile travesti de Scarron et aux élucubrations de d'Assoucy, -«Empereur .du Burlesque»? Le Lutrin, plus fin, nous en convenons, n'est­ il pas, lui aussi, apparenté à ce genre? Ici encore, la conclusion est impos­ sible.

Et La Bruyère? Cette fois, le mot du romancier nous paraît en défaut ·sur toute la ligne.

Les Caractères, bien que la personnalité de l'auteur transparaisse en maint endroit, sont, en général, très objectifs.

Le regard scrutateur du moraliste-philosophe s'est porté sur tant de types divers, voire opposés - comme Giton et Phédon - qu'il serait injuste et presque puéril de lui attribuer tous les ridicules - même atténués - qu'il a dé­ peints dans son livre.

S'il les a analysés avec une précision si rigoureuse, une ironie si impitoyable, c'est qu'il les a bien observés, tout simplement; c'est qu'il possédait, comme Moliere, le don de lire .les âmes sur les visages et de discerner dans les actions les plus indifférentes les ridicules qui s'attachent aux vices et aux faiblesses de l'humanité.

« Chaque homme, disait Montaigne, porte en soi toute l'humain.e condition.

» Sans être affligé de tel vice et de tel.

travers, sans verser dans.les ridicules qui les escortent, un homme.

attentif et habitué à l'introspection, découvre en .lui-même de secrètes résonances qui lui permettent de traduire fidèlement ce qu'il a découvert en autrui.

Tel doit être le cas de La Bruyère et de beaucoup d'autres.

* ** Sortons maintenant de la littérature et consultons nous-mêmes « le grand livre du monde », comme parlait Descartes, .

avant de juger déf1nitivement le « mot » soumis à notre appréciation.

Nous sommes dans un salon.

Un des invités, brillant causeur, fait des mots, accroche une épigramme au nom des personnes qu'on cite, se moque des dîners de celui-ci et des réceptions de celle-là, raille les aventures de tel autre : a-t-il donc tous leurs défauts? Je réponds que cet impitoyable archer gàrde peut-être une infaillible correction quant aux usages mon­ dains, mais qu'il manque certainement de bonté et de modestie; il y a grand'chance qu'il soit, d'une autre façon peut-être, tout aussi vaniteux que ceux qu'il prend pour cibles.

Lui aussi, il est ridicule, à sa manière et inconsciemment, puisque le propre du ridicule est bien de nous ôter la conscience de notre infirmité morale.

Ecoutez cet autre faire le portrait en charge d'un ami, pendant que vous dites intérieurement : «Peut-on se connaître si peu soi-même? » Ne vous étonnez pas : il s'était rapproché de son ami parce qu'il y avait entre eux parité de goûts et de défauts, et maintenant il se moque des ridicules qu'il partage.

Mais de cette petite vilenie, il sera payé bientôt par une exécution sommaire que lui ménage son intime.

Tel journaliste fulmine contre la multiplicité, l'avilissement des décorations; il gémit, l'intègre, sur l'univer­ selle platitude des quémandeurs de ruban : soyez sûr que, dans la solitude de son cabinet de travail, il enrage de voir sa boutonnière si peu fleurie et adresse un placet au ministre.

Le Parisien qui se moque des airs effarés du provincial naïf, débarqué pour la première fois dans la grande ville, ou des airs matamores du bour­ geois cossu qui plastronne dans sa Rolls-Royce, a-t-il donc tous leurs ridi­ cules? Non.

S'il en a d'autres, il n'a pas ceux dont il se gausse.

Et le pré­ dicateur qui met ses auditeurs en garde contre les travers nés des pas­ sions, et le moraliste qui fait des portraits, concentrent-ils en eux-mêmes toutes les manies, tous les tics qu'ils soulignent? Non; comme Molière, Boileau et La Bruyère, ils ont observé le monde, et ils ont écrit ou parlé.

* ..

On le voit, la maxime, vraie en· de certaines limites, peut être facilement rétorquée, si on la généralise; c'est qu'elle appartient à ce genre de pensée­ paradoxe dont Jules Lemaître a donné, en une chronique brillante, les règles factices, les procédés, les méthodes, et dont il a critiqué .l'allure quasi algébrique.

Sous une forme brillante ou fine, c'est le sophisme clas­ sique qui consiste à passer du particulier au général par une induction injustifiée.

Toutefois, parce que la remarque de Daudet trouve son application en bien des cas, on peut se demander pourquoi tel, qui est décoré d'un ridi­ cule, se plaît à le railler chez son voisin.

« Nous sommes tous be sa ciers »,. »

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