Devoir de Philosophie

Aragon, Le Roman inachevé, Que serais-je sans toi

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

aragon
J'étais celui qui sait seulement être contre Celui qui sur le noir parie à tout moment Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre. Que cette heure arrêtée au cadran de la montre. Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant. Que serais-je sans toi que ce balbutiement. Un bonhomme hagard qui ferme sa fenêtre Un vieux cabot parlant dans anciennes tournées L'escamoteur qu'on fait à son tour disparaître Je vois parfois celui que je n'eus manqué d'être Si tu n'étais venue changer ma destinée Et n'avais relevé le cheval couronné (1) Je te dois tout je ne suis rien que ta poussière Chaque mot de mon chant c'est de toi qu'il venait Quand ton pied s'y posa je n'étais qu'une pierre Ma gloire et ma grandeur seront d'être ton lierre Le fidèle miroir où tu te reconnais Je ne suis que ton ombre et a menue monnaie J'ai tout appris de toi sur les choses humaines. Et j'ai vu désormais le monde à ta façon. J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines. Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson. J'ai tout appris de toi jusqu'au sens de frisson. J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne. Qu'il fait jour à midi, qu'un ciel peut être bleu Que le bonheur n'est pas un quinquet (2) de taverne. Tu m'as pris par la main, dans cet enfer moderne Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux. Tu m'as pris par la main comme un amant heureux. Aragon, Le Roman inachevé, Que serais-je sans toi

Introduction :  

            Louis Aragon est célèbre en particulier pour son appartenance au groupe surréaliste qui fut pour lui un point de départ bien plus qu’un système ou une doctrine. Il puise son inspiration dans les recherches des surréalistes mais rapidement, dès 1932, il rompt avec les surréalistes pour des motifs à la fois politiques et esthétiques. Aragon revendique en particulier une totale liberté d’invention. Contrairement, aux surréalistes qui rejettent le roman, ne pouvant accepter les phrases du type « la marquise sortit à cinq heure « qu’ils jugent parfaitement arbitraires et inaptes à traduire la puissance poétique de la vie, Aragon, s’intéresse au roman et aux potentialités qu’il recèle comme en témoigne le titre même du recueil dont est tiré notre poème.

 

Projet de lecture :  

Ce texte « Que serai-je sans toi ? « s’apparente à de la poésie et qui plus est à de la poésie amoureuse pourtant, il fait partie d’un recueil intitulé Roman inachevé, c’est pourquoi il nous incombe de nous demander quels liens ce poème entretient avec le genre romanesque. Pour cela, il convient d’analyser précisément la thématique de l’amour. Pourquoi peut-on dire que dans ce poème, l’éloge amoureux s’épanouit dans le fond aussi bien que dans la forme ? Bien d’avantage, dans quelle mesure Aragon renouvelle-t-il le genre de l’élégie amoureuse ?

 

aragon

« II Le récit d'une rencontre amoureuse 1) Un poème qui évoque la forme des contes Il faut mettre à jour l'importance de la chronologie qui structure ce poème.

Pour cela il convient d'étudier le jeu destemps ainsi que l'importance des indicateurs temporels qui marquent bien un avant et un après la rencontre.

Eneffet, le poème n'est pas écrit au présent mais à l'imparfait et au passé composé.

Le poète marque clairement ladistinction entre ce qu'il était avant la rencontre et ce qu'il est devenu après.

La femme aimée apparaît telle une féemodifiant la « destinée » du poète.

Dès lors, notre texte rappelle la forme du conte.

Comme dans les contes, un êtreextraordinaire intervient pour assurer un dénouement heureux.

De plus, les métaphores un « cœur au bois dormant »et « le cheval couronné » évoquent l'univers des contes.

Dans la troisième strophe, une métamorphose s'opère, lepoète qui n'était que « pierre », qui était dépourvu de tout sentiment, se transforme en « lierre ».

Le lierre est uneplante qui a la capacité de grandir très rapidement pour enserrer un bâtiment.

De même, le poète s'ouvre au monde,ses sentiments grandissent.

Il veut être le « lierre » de sa bien-aimée, il veut l'entourer de poésie pour lui exprimerson amour et sa reconnaissance.

2) La prise en compte de la psychologie des personnages Dans ce poème, nous pouvons nous livrer à une réflexion intéressante autour de la problématique « personne /personnage ».

En effet, qui est le « je » lyrique.

S'agit-il d'Aragon lui-même ? Il s'agit assurément d'un personnagequi n'est pas tout à lui mais qui lui ressemble beaucoup, un personnage formé à partir de la personne qu'estl'écrivain.

La psychologie de poète est mise en lumière.

Il dévoile les tensions qui structurent tout son être « J'étaiscelui qui sait seulement être contre//Celui qui sur le noir parie à tout moment ».

Le poète met en avant uneévolution de son caractère.

Transition : L'amour n'est pas simplement le thème du poème, il participe de l'écriture poétique elle-même, l'amours'impose comme le souffle même du poète, la force où il puise son inspiration.

III Une réflexion sur l'écriture poétique 1) La femme aimée comme muse Cette rencontre est le catalyseur de l'émotion poétique.

C'est là que naît cet enthousiasme débordant qui illumine lepoème.

Cette femme est à la fois le destinataire et l'origine même du poème : « Chaque mot de mon chant c'est detoi qu'il venait ».

La femme aimée apparaît bien comme une muse, elle est le vecteur de l'émotion poétique, elle estla source d'inspiration et l'énergie créatrice.

L'amour n'est pas qu'un thème, il est intimement lié à la forme même dutexte.

Le poète est dépendant de sa muse comme le révèle le chiasme des 14, 15, « mon chant » ; « toi » ; « tonpied » ; « je ».

La deuxième personne est encerclée par la première personne comme le lierre entoure une maison ouun arbre.

Le poète ne peut se passer de sa muse, il veut lui construire un refuge de mots.

Ce poème bien plus qu'unsimple éloge révèle la façon dont fonctionne la poésie, celle-ci se nourrit des sentiments amoureux.

2) La réalité transfigurée, l'héritage du surréalisme La femme aimée n'est pas une femme comme une autre, c'est elle qui révèle la poésie du monde.

Elle apprend aupoète à regarder et à comprendre.

Il faut insister sur l'isotopie du savoir.

La maîtresse détient une forme deconnaissance qu'elle transmet au poète :« J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontainesComme on lit dans le ciel les étoiles lointaines.Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson.J'ai tout appris de toi jusqu'au sens de frisson »Il faut insister sur la puissance des images et rappeler le lien qu'Aragon a entretenu avec les surréalistes.

L'influencede ce courant est nettement visible dans ce poème.

L'amour transfigure la réalité.

Son adoration pour cette femmepermet au poète de comprendre le monde.

Il est sensible aux éléments : l'eau, les étoiles mais aussi aux autreshommes : le passant qui chante.

Elle lui apprend non seulement à voir mais aussi à sentir.

Il découvre les choses etle sens des mots.

Le langage poétique lui-même est conditionné par cet amour.

L'enthousiasme est tel que lagrammaire n'est pas toujours respecté comme en témoigne les anacoluthes (ruptures de constructions syntaxiques)qui rappellent également les recherches surréalistes : « parlant dans anciennes tournées » ou « et a menuemonnaie ».

Conclusion : Si notre texte s'impose d'abord incontestablement par sa force poétique, il a cependant partie liée avec le genre romanesque, par le recours une forme particulière, celle du conte qui inclut une chronologie.

Ainsi, Aragon,propose un texte hybride, un poème qui respecte les codes de versifications mais qui raconte une histoire d'amour.En ce sens, nous comprenons l'appartenance du poème au recueil Roman inachevé .

Il ne s'agissait pas pour Aragon d'écrire un poème au sens strict du terme mais d'inventer une nouvelle forme littéraire qui se situe au croisement deplusieurs traditions, entre poésie et roman.

Dans La Postface aux Cloches de Bâle , Aragon définit le roman ainsi : « Le roman, c'est la clef des chambres interdites de notre maison ».

Cette formule poétique montre à quel point. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles