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Autrefois tout semblait ne pas nous concerner - Louis Aragon, Le roman inachevé

Publié le 14/02/2011

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Autrefois tout semblait ne pas nous concerner Tous les événements portaient des millésimes Tout se passait très loin très haut dans les années    Ce n'est que dans les journaux qu'on lisait les crimes Rien n'arrivait jamais que les hasards prévus On se trouvait heureux de ses malheurs intimes    Le grêle brusquement sur nous s'est abattue Elle coupe elle hache effiloche égratigne Fouaille et fouette à la fois les feuilles éperdues    Elle cogne à la vitre elle perce la vigne    Elle frappe la vie en ses tendres surgeons    Elle écorche les troncs coche l'herbe à son signe    Et les paumes des fleurs et la chair des bourgeons Elle arrache du front des forêts les châtaignes Et disperse le vol affolé des pigeons    L'homme court en tout sens et les lampes s'éteignent Son manteau se rabat sur sa face de sang Il ne sait même plus si c'est l'âme qui saigne    Il ne sait même plus quel mal son corps ressent Il crie et tout à coup s'étrangle d'épouvante Il s'est pris dans la peur des troupeaux hennissants    Et la foule animale énorme et violente    Louis Aragon, Le roman inachevé, 1956.    Vous ferez un commentaire composé de ce poème inspiré à Aragon par la montée des périls dans les années trente à quarante. Vous pourrez étudier, outre le thème et les sentiments, les moyens employés pour les mettre en relief (images, style, versification).   

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« Deux moments qui correspondent à deux états : le bonheur de la paix, le malheur de la guerre.

Mais surtout — carles guerres ont existé de tous temps — une accélération de l'histoire qui bouleverse la vie de l'homme.

2.

Réalité et poésie. De son expérience vécue Aragon ne retient qu'une suite d'impressions — « ...

tout semblait ne pas nous concerner» — à l'aide desquelles il transforme le réel. Peu de termes appartenant au monde matériel (« journaux ») mais une profusion de formules floues à la limite dumonde merveilleux (celui-ci se caractérise par l'absence de déterminations spatiales et temporelles) qui permettentde faire du bonheur passé un univers de féerie. Pas davantage de réalité dans l'évocation du malheur : celui-ci est d'ailleurs dès l'abord, mis à distance par la longuemétaphore sur la « grêle » : en choisissant de ne pas parler des périls divers (guerres, chômage, grèves, etc.),Aragon adopte d'emblée une vision poétique.

La multiplication des verbes — au sens extrêmement précis —, laconstruction de la métaphore, filée en référence permanente à la vie humaine (« égratigner », « écorcher », «paume », « chair », etc.), assurent un équilibre entre l'objectivité du récit et sa vision intériorisée. Enfin, par une sorte de fondu-enchaîné (le vol des pigeons — la course éperdue des humains), le narrateurabandonne la métaphore pour revenir à une évocation plus directe des souffrances humaines : au récit merveilleuxdu début succède un récit d'épouvante (que les sonorités nasales tentent d'imprimer dans l'oreille de l'auditeur : « L'homme court en tout sens et les lampes s'éteignent Son manteau se rabat sur sa face de sang Il ne sait mêmeplus si c'est l'âme qui saigne Il ne sait même plus quel mal son corps ressent Il crie et tout à coup s'étrangled'épouvante Il s'est pris dans la peur des troupeaux hennissants».) On relèvera également les sifflantes quiprolongent comme une plainte obsessionnelle les douleurs (cf.

l'évocation, par le même procédé, des Erynnies à lafin de l'Andromaque de Racine). Conclusion : Un poème humaniste et humanitaire dans lequel, grâce à la conjonction de tous les procédéstechniques (syntaxe, phonique, rythme), Aragon parvient à recréer une atmosphère tantôt irréelle, tantôtcauchemardesque, sans jamais faire de référence précise à la réalité extérieure.. »

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