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Baudelaire, « Harmonie du soir », Les Fleurs du Mal

Publié le 25/07/2010

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baudelaire

Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir. Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir, Valse mélancolique et langoureux vertige ! Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir, Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige, Valse mélancolique et langoureux vertige ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige, Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir, Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige ! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige… Extrait des Fleurs du mal, section « Spleen et Idéal « 

baudelaire

« victorieuse de l'exclamative.

Le temps propre aux mouvements de danse, présent en perpétuelle recomposition, offrecependant le vertige de l'inconsistance, qui ne garantit en rien, d'emblée, la réussite finale.Si l'absorption dans la délectation sensuelle est vécue comme une extase, elle contient en creux la menace de sadisparition, puisqu'un de ses attraits réside dans le caractère ultime de l'instant : le soir.

L'évolution du sens desprésents et les rapports du poète à l'instant manifestent cette ambiguïté angoissante.

Le présentatif « voici venir »joue le rôle d'embrayeur, dans la mesure où il ouvre une dynamique temporelle dans laquelle se profile l'ensemble dupoème, et la tonalité prophétique signale la singularité de ce moment.

Le participe présent « vibrant » actualiseimmédiatement le procès, en concentrant les valeurs duratives et itératives du signifiant.

Les présents des versdeux et trois, placés sous l'égide de la formule d'attaque, conservent cependant une charge de futur.

La deuxièmestrophe reprend deux de ces vers, mais ils sont libérés de la prophétie, et s'actualisent pleinement comme desprésents descriptifs.

Aussi les présents réitérés dans la troisième strophe sont-ils plus menaçants : déjà réalisésauparavant, peuvent-ils se prolonger plus longtemps ? La menace de dissolution s'achève par l'usage du passécomposé qui marque l'accompli du présent : dans le « s'est noyé » du vers 12, le poète prend conscience d'êtredépassé par la temporalité.

La strophe finale renverse pourtant le processus : le poète accepte de se séparer del'actualité, par l'usage des présents gnomiques « hait » et « recueille » qui évoquent les facultés que le poète peutmettre à contribution à toute occasion, pour pérenniser le passé dans le souvenir, d'où le passage du passécomposé « s'est noyé » à « luit ».

Ainsi, le présent connu sur le mode de la sensation n'est guère que précaire, etseul le travail poétique permet de transfigurer la fragilité en éternité.

N'est-ce fonder le principe de l'écriturepoétique dans la quête d'un absolu soustrait à l'anéantissement de la mort ?Si « Harmonie du soir » appartient à la section « Spleen et Idéal », c'est qu'il dépasse la mélancolie douce (lespleen) par la recherche d'une vérité plus solide (l'idéal).

Aussi l'architecture du poème permet-elle d'approfondir laportée spirituelle de l'expérience sensuelle, qui en devient mystique.

Paysage-état d'âme, le poème-fleur faitaccéder non seulement aux sentiments du poète, mais également à une figure divine qui explique la majesté de laparole poétique.

Le poème n'est en aucune façon l'évocation référentielle d'une expérience.

Chacun des élémentsest transposition métaphorique et métonymique des sentiments du poète.

Aussi la pièce met-elle davantage l'accentsur les adjectifs qualificatifs, qui signalent l'effet des objets sur le spectateur, que sur les substantifs quiindiqueraient une essence, une vérité de l'objet.

Ainsi en est-il des termes « triste et beau », « hait ».

Le chiasmegrammatical (substantif-adjectif-adjectif-substantif) et rythmique (2-4-4-2) du vers 4, ralentit et alourdit le vers,afin de suggérer cette atmosphère mélancolique pesante.

L'analogie du violon avec le cœur du poète permet deposer l'équation entre la valse enivrante et le chant poétique qui déroule les sentiments : le vertige s'explique par ladilatation du moi aux dimensions de la nature entière.

Le soleil récupère alors son sens allégorique traditionnel, àsavoir celui de l'amour, qu'il faut arracher à la mort par le souvenir.

Lorsque le dernier vers emploie pour la premièrefois des marques personnelles, par l'intermédiaire de l'adjectif « ton » et du pronom « moi », il explicite la fonctionétat d'âme du poème et invite le lecteur à une relecture qui se ferait dans ce sens.

Le poème devient le détournécessaire pour rétablir l'alliance avec la femme aimée, à travers un rite religieux.

La quête de l'absolu se résoutalors en recherche du sacré.

L'aimée disparue devient l'objet d'un rite, et le poème, instrument d'une célébrationcommémorative qui retrouve, telle une anamnèse, le temps de la vie du Christ, sous la figure de cette femme.

Parl'usage de tournures comparatives lourdes telles que « ainsi qu'un encensoir », « comme un grand reposoir »,« comme un ostensoir », Baudelaire dénude le processus de symbolisation, qui favorise le passage des objetsprofanes aux objets sacrés du culte.

L'extase mystique, le ton prophétique s'inscrivent dès lors dans un riteeucharistique.

Le cœur sanglant n'est pas sans rappeler le sacré-cœur du Christ : l'adjectif « tendre » est àcomprendre dans son sens ancien de ce qui est fragile ; le reposoir symbolise une station dans la montée auCalvaire ; le néant, sa passion ; le soleil, l'hostie ; l'ostensoir glorieux, la résurrection finale.

La nausée des sensqu'évoque la première strophe manifeste le besoin de dépasser l'expérience par une communication avec le divin.

Laforme du pantoum devient l'instrument privilégié d'une incantation qui ressuscite le souvenir de la femme, grâce àune adoration solennelle.La majesté des vers témoigne d'une recherche de l'idéalité des canons poétiques, recourant aux modèles classiquesd'une architecture travaillée, comme si l'absolu de la parole pouvait seul toucher l'absolu de la quête.

La formuleprophétique d'attaque réfère d'emblée à la parole sacrée, messianique, de l'Ancien Testament.

Le lecteur est ainsiplacé dans un procès dramatisé, dont la gravité explique l'usage du registre soutenu.

Les pluriels deviennent alorsmarques de majesté, dans les termes « les temps », « les sons », « les parfums ».

Le vocabulaire est simple voirepauvre, tel les adjectifs « triste et beau », exception faite des termes précis et techniques qui désignent les objetsdu culte, mais qui servent nécessairement la richesse des images, puisque ces objets ne sauraient être évoquésautrement.

Une telle simplicité confère au texte une grande pureté, et elle est compensée par la recherche de rimestrès riches, dont la cohérence est moins à chercher au sein d'une même strophe, que comme échos entre lesdifférentes strophes : « sa tige » rime alors avec « afflige » et « se fige », « vertige » avec « vestige »,« encensoir » avec « vaste et noir » et « ostensoir », « air du soir » avec « reposoir ».

Une rigueur quasimathématique fait alterner rimes masculines et féminines, rimes sur deux pieds et rimes sur trois pieds, dans unestructure embrassée.

Les alexandrins, mètres de majesté, se déploient presque toujours régulièrement avec césureà l'hémistiche.

Enfin, ce rythme binaire est renforcé par des structures lexicales binaires, telles « les sons et lesparfums », « valse mélancolique et langoureux vertige », « triste et beau », « vaste et noir », mimétiques dubalancement de l'encensoir.

Ainsi, dans le corps même du poème se lit la conscience poétique au travail, qui tentede conférer à sa parole pure une valeur spirituelle propre à rétablir la communication avec le divin.

Le travail réalisésur le langage suppose un acharnement, un approfondissement progressif de l'écriture par un poète sûr des vertusde l'acte poétique.Le pantoum consiste à retravailler une expression poétique pour créer une épaisseur de sens.

Mais seul unecroyance ferme dans la fonction créatrice du rythme poétique permet de dépasser l'illusion que le ressassement desmêmes termes est vain.

Aussi ce poème structuré fait-il l'épreuve douloureuse de la foi du poète dans son activité,et ouvre à une proclamation victorieuse du pouvoir poétique.

La structure de « Harmonie du soir » montre la. »

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