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BAUDELAIRE: LES FENÊTRES

Publié le 01/02/2011

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baudelaire

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus  ténébreux, plus éblouissant, qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant. Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément. Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.

Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? « Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?

BAUDELAIRE.

Vous ferez de ce texte, tiré des Petits poèmes en prose, un commentaire composé, en vous appliquant à montrer comment l'imagination de Baudelaire transfigure les décors et les destinées en fonction de sa propre personnalité.

Les fenêtres parues en décembre 1863 font partie du recueil des poèmes en prose que Baudelaire projeta dès 1855, tout en terminant la première édition des Fleurs du Mal et qu'il ne put achever : le premier recueil complet ne parut qu'en 1869, deux ans après sa mort, au tome IV des Oeuvres complètes. Le recueil s'appela d'abord Poèmes nocturnes puis Poèmes en prose ou Spleen de Paris. Le poète

voulait composer des pièces en prose qui ne fussent ni des nouvelles, ni des contes, ni des fables ou tout autre genre déjà inventé et bien défini, mais de véritables poèmes courts, composés de strophes lyriques, dont l'unité serait réalisée par l'harmonie des sentiments et des images, le choix des mots et le rythme de la phrase.

baudelaire

« c'est la fenêtre éclairée qui attire l'attention du poète, comme un phare dans l'immensité de la nuit, et cette fenêtreest aussi transformée et pour ainsi dire magnifiée, à la fois pour sa lumière éclatante et pour son mystère.

Latroisième phrase est un peu didactique, comme si le poète tenait à nous convaincre avec une sorte de familiaritébon enfant...

Mais l'enthousiasme éclate dans la dernière phrase, avec l'admiration de la vie toujours présente,toujours passionnante Le premier paragraphe possède une valeur visuelle indéniable, fondée sur l'exactitude de l'observation : « Fenêtre ouverte, fenêtre fermée, fenêtre éclairée d'une chan- delle, au soleil, derrière une vitre, ce trou noir ou lumineux...

» Peu importent les détails, d'autant plus vagues etindéterminés qu'ils n'ont pas d'importance par eux-mêmes : « autant de choses...

« pas d'objet » « ce qu'on peut voir » .« ce qui se passe »..., seul compte vraiment le contraste entre la lumière et l'obscurité, comme chez tant de peintres intimistes des écolesitalienne et hollandaise que Baudelaire appréciait. Il nous donne d'ailleurs une véritable équivalence poétique du célèbre effet de « clair-obscur » dans ce premierparagraphe.

Les oppositions y sont constantes et accusées : « fenêtre ouverte-fenêtre fermée; plus ténébreux-plus éblouissant; au soleil-derrière une vitre, ce trou noir oulumineux...

»; une accumulation de qualificatifs au comparatif : « plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant » encadre, pour ainsi dire, la fenêtre, dans laquelle se détache la lueur de la chandelle.

Enfin la répétition du mot vie : « vit la vie, rêve la vie, souffre la vie », soulignée encore par l'inversion du sujet, donne une importance extrême et un sens passionné à ce mot-clef... 2.

Les destinées.., et les hommes La deuxième strophe complète la première : nous y avions vu apparaître la vie.

Elle devient ici particulière etindividuelle, donc pathétique...

C'est un être humain solitaire qui représente ici toute la souffrance du monde,attirant sur lui la sollicitude et la sympathie du poète et de ses lecteurs, comme dans ces inoubliables portraits deRembrandt dont la luminosité traduit le rayonnement de la vie intérieure : une femme âgée, pauvre et solitaire.Baudelaire imagine son histoire à partir de son visage, de son vêtement, de son geste.

Mais il ne les précisenullement : à quoi bon? son histoire n'est-elle pas identique à toutes les autres, à celles des veuves délaissées,tristes et malheureuses, à celles des petites vieilles des jardins publics? Ces êtres pitoyables ont une place de choixdans Les Fleurs du Mal et dans Le spleen de Paris.

On peut citer notamment Le désespoir de la vieille qui fait horreur aux petits enfants qu'elle voudrait aimer; Les veuves solitaires et pauvres, parmi lesquelles se détache l'image noble et belle d'une femme en deuil, avec un enfant à la main, dont le poète reconstitue avec une minutie presque tendreles pensées et les sentiments, et le célèbre poème en vers intitulé Les petites vieilles.

On a voulu expliquer la constance de ce thème dans l'oeuvre : il est vrai que la femme âgée ou délaissée n'est plus cet adversaire que lepoète a rencontré si souvent au cours de sa vie passionnée, pour le meilleur et pour le pire, mais un être affaibli,digne de pitié et de secours, et tout à fait semblable à lui-même par la tristesse et par la solitude.

Ne fait-elle paspartie, en effet, de la cohorte des victimes, des vaincus, des parias comme l'enfant maudit de Bénédiction, ou legénie boiteux symbolisé par L'albatros? Sans aucun doute, et l'auteur nous le déclare avec la plus grande netteté :« Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément ».

.C'est un aspect essentiel du Spleen de Paris qui nous est rappelé ici : non seulement le promeneur solitaire des ruesde Paris, cet « homme sensible qui visite une ville inconnue » selon l'expression du poète lui-même, éprouve parfois,lorsqu'il est las de lui-même, le besoin de prendre un bain de multitude, mais encore il se sent attiré vers tout ce quiest « faible, ruiné, contristé, orphelin ».

Voilà pourquoi il sympathise avec les plus misérables, décelant la noblessesecrète du vieux 'saltimbanque, allant même jusqu'à brutaliser un malheureux pour provoquer en lui le sursaut de larévolte, c'est-à-dire le réveil de la dignité et de la noblesse humaines.Le style est accordé au sujet : les expressions sont simples, voire prosaïques :« une femme mûre », « penchée sur quelque chose », « presquerien ».Il faut noter cependant la poésie du début, qui dessine l'horizon lointain des toits de Paris, et aussi le mot « légende» qui ennoblit l'histoire et par suite la vie misérable de cette femme... 3.

Le promeneur sensible... Le poète lui-même est toujours présent dans ce poème aussi dense que bref.

Bien qu'il écrive « celui qui...

on peutvoir.., ce qui se passe », c'est toujours lui qui laisse vagabonder son imagination devant la fenêtre fermée, c'est luiqui sonde le mystère, c'est lui qui s'exalte en pensant à la vie cachée dans le « trou noir ».

Mais il se montre à. »

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