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BEAUMANOIR Philippe de Remi, sire de : sa vie et son oeuvre

Publié le 16/11/2018

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BEAUMANOIR Philippe de Remi, sire de (1247-1297?). Jusqu’à une date récente, on a attribué à un même auteur toutes les œuvres publiées sous le nom de Philippe de Remi. Administrateur et juge, celui-ci fut successivement bailli de Clermont en Beauvaisis (1279), sénéchal de Poitou (1283), de Saintonge (1287), bailli de Vermandois (1289) et de Senlis (1292). Sa longue expérience lui permit de compiler les Coutumes de Beauvaisis (1283) à une époque où l’on éprouvait le besoin de coucher par écrit les us des cours laïques et de combler les lacunes du droit. Il recourut à la jurisprudence, aux coutumes anciennes et claires, aux jugements prononcés dans les châtellenies du voisinage, au droit commun du royaume de France, afin que les coutumes fussent maintenues sans changement. C’est à ce même personnage que, depuis H. Suchier, l’on a attribué deux romans d’aventures, la Manekine (8 590 vers) et Jehan et Blonde (6 262 vers), des poèmes religieux comme VAve Maria, de captivantes fatrasies.

 

Mais, au colloque d’Amiens de 1979, B. Gicquel a proposé une autre hypothèse, séduisante bien qu’elle ne convainque pas entièrement. Il se fonde sur la thèse de V. Zeidler {Die Quellen von Rudolfs von Ems Willelm von Orléans, Berlin, 1894), selon qui, comme le poète allemand Rudolf von Ems a utilisé Jehan et Blonde pour écrire son Willelm von Orléans que l’on date avec certitude de 1242, on ne peut attribuer Jehan et Blonde à l’auteur des Coutumes de Beauvaisis, puisqu’on 1242 celui-ci n’était pas encore né. Plutôt que de proposer une source commune aux deux œuvres allemande et française, B. Gicquel attribue la Manekine et Jehan et Blonde non pas à Philippe de Beaumanoir fils, mais à son père qui portait le même nom. D’autre part, comme le nom de Beaumanoir n’apparaît qu’en 1249 et que les deux romans sont signés Remi, il est plausible qu’ils aient été écrits avant cette date. Par conséquent, il faudrait distinguer le père, romancier, du fils, juriste.

 

La richesse de la matière romanesque

 

Si l’auteur reprend des thèmes traditionnels tels que la léthargie du héros qui se meurt d'amour, l’échange des cœurs, le portrait de la femme aimée, le combat des vices et des vertus, il semble nuancer la courtoisie d’un certain réalisme quelquefois trivial, bourgeois, en particulier dans Jehan et Blonde, pastourelle inversée où le pauvre seigneur courtise une riche héritière, où le roman courtois (culte de l’amour, importance du secret, monologues sentimentaux, plaintes stéréotypées et évanouissements) rencontre le fabliau (critique des femmes), où Philippe semble donner en exemple sa propre formation. Le substrat social, comme les liens familiaux, est plus nettement indiqué. Jehan est un gentilhomme pauvre, dont le père est endetté; aussi devient-il chevalier d’aventure, membre de cette petite noblesse valorisée ici aux dépens du comte de Gloucester, à travers une critique de la richesse et une exaltation de la générosité et de l’amour. Les petites gens se fraient une place, tels Robin, le domestique de Jehan, qui prend une part importante à la bataille de Douvres et, déguisé en mendiant, joue le rôle d’avant-garde, ou ce marinier, qui devient maître d’hôtel. Beaumanoir prône-t-il l’accord de toute la classe chevaleresque dans un monde en pleine mutation ou l’utilisation de toutes les forces montantes en une réconciliation générale?

 

La Manekine retient l’attention par son côté paroxystique : pour fuir l’inceste, l’héroïne se tranche le poing, qu’un miracle, dû à sa sainteté, lui restitue à la fin du roman, après qu’elle a connu les pires épreuves. Partant de deux contes populaires, la Fille sans main et Peau-d’Ane, qui avaient en commun le motif de l’inceste — motif possible dans le premier, où il aboutit à la mutilation; motif constitutif dans le second —, Philippe a modifié le schéma originel, dont il reprend la structure redoublée et l'anonymat de certains personnages : le père coupable ne disparaît pas, et la fuite de l’héroïne est remplacée par une condamnation à mort, transformée ensuite en abandon sur la mer. 

« tion; motif constitutif dans le second -, Philippe a modi­ fié le schéma originel, dont il reprend la structure redou­ blée et 1 'anonymat de certains personnages : le père coupable ne disparaît pas, et la fuite de l'héroïne est remplacée par une condamnation à mort, transformée ensuite en abandon sur la mer.

L'action s'y déplace de la Hongrie à l'Écosse, deux mondes où le bonheur semble possible, mais condamnés parce qu'incomplets, s'ap­ puyant trop sur les valeurs humaines du profit et de la gloire.

Aussi ce roman, qui s'insère dans le cycle des femmes persécutées et se complaît à dépeindre les tour­ ments amoureux et les fêtes grandioses propres aux œuvres courtoises, est-il proche des récits hagiographi­ ques : description des qualités morales (sagesse, dévo­ tion à Marie), mises à l'épreuve, récompenses (retrou­ vailles du mari et du père, restitution de la main coupée).

La gravité des péchés (luxure et orgueil) et la violence des épreuves font de ce récit une sorte d'exemple pour l'édification des pécheurs; mais tout autant, dans la mesure où le texte touche à des problèmes essentiels de la féodalité, à la préoccupation du lignage et aux dangers d'un mariage avec une étrangère, on peut le lire ((comme un plaidoyer pour le mariage exogamique » (Chr.

Marchello-Nizia).

Les jeux du langage C'est sans doute comme juriste que Beaumanoir a été amené à s'intéresser au langage; ne fallait-il pas préciser le sens des mots, respecter les formules que l'on devait reproduire sans en modifier une syllabe? Ce goût se manifeste partout, dans le vocabulaire technique du droit et de la courtoisie comme dans les onze fatrasies, où l'auteur, fidèle à l'usage syntaxique, a tendu à briser, « de syntagme nominal à syntagme verbal, de syntagme verbal à syntagme adverbial, les compatibilités sémi­ ques », de manière à produire un effet de non-sens absolu.

Je/tan et Blonde nous offre un riche échantillon­ nage des jeux auxquels Beaumanoir s'est livré: mots nouveaux créés le plus souvent sur des modèles connus, par substitution de préfixes ou de suffixes; quatre devi­ nettes que Jehun énonce, que le grotesque Gloucester reproduit et qu'explique le comte d'Oxford (les mots ont un sens immédiat et un sens imagé); proverbes; jeux homonymiques et annominatifs; parodie du style épique, dans le combat au bord de la mer; surtout jargon franco­ anglais, qui, pour ridiculiser un personnage antipathique, ennemi et rival de Jehan, recourt à de multiples procé­ dés : mauvaise utilisation des formes verbales (barbaris­ mes et solécismes), bouleversement de l'ordre des mots, confusion dans l'emploi des genres et des modes, aphérè­ ses, déformations ...

, sans compter les fautes de goût, comme d'appeler « porcel »la femme aimée.

Si Beau manoir appartient au courant réaliste, s'il contribue à développer le récit romanesque à tendance édifiante, il semble surtout attiré par les situations limi­ tes, socialement (mariage du pauvre chevalier et de la riche héritière), moralement (tentation de 1' inceste), littérairement (fatrasies et jargon).

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79-98; H.-P.

Dyggve,. »

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