BERNARD Catherine : sa vie et son oeuvre
Publié le 18/11/2018
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BERNARD Catherine (1662-1712). La fin du xvne siècle fut une époque de littérature féminine, et souvent féministe. Parmi toutes ces dames — les comtesses de Murat, d’Aulnoy, Mlle de La Force — le nom de Catherine Bernard a gardé un certain rayonnement.
Une carrière banale
Pourtant, sa biographie est fort mal connue. Est-elle vraiment de la famille des Corneille? Ce n’est peut-être qu’une légende. Elle naquit, en 1662, à Rouen. Nicolas Pradon guida ses premiers pas en littérature, puisqu’il collabora plus ou moins à Frédéric de Sicile, le roman historique qu’elle publia en 1680. Née dans la religion réformée, elle abjura en octobre 1685. Fontenelle, qui était peut-être son parent, l’aida — on ne sait jusqu’à quel point — à écrire trois nouvelles historiques : Eléonor d’Ivrée (1687), le Comte d’Amboise (1688), Inès de Cordoue (1696); et deux tragédies : Laodamie (1689) et Brutus (1690). Il rédigea aussi une lettre, qui parut dans le Mercure galant de septembre 1687, pour lancer Eléo-nor d’Ivrée et en expliquer l’esthétique. Catherine Bernard fut également une poétesse. Fort pauvre, elle obtint des pensions du roi et de la chancelière de Pontchartrain, des prix de l’Académie française (1691, 1693, 1697) et des jeux Floraux de Toulouse (1696, 1697, 1698). Elle célèbre, dans ses vers, les succès de Louis XIV, qui « seul en toute l’Europe, défend et protège les droits des rois », qui « par la paix de Savoie a rendu la tranquillité à l’Italie et a donné à toute l’Europe l’espérance de la paix prochaine ». Vers la fin du siècle, elle se fit dévote et sacrifia nombre de ses vers, dont certains, inédits, se retrouvent dans des recueils manuscrits des bibliothèques de Paris et de la province (Bibliothèque nationale, Arsenal, de Castelnaudary, etc.). Elle mourut le 6 septembre 1712.
Une carrière, au fond, assez banale, qui pourrait n’avoir d’autre intérêt que de nous éclairer sur la condi
tion des femmes, en particulier des femmes-auteurs, à cette époque : des alliés influents (Pradon et Fontenelle); une activité presque fébrile (romans, tragédies, poèmes), qu’encourage la misère; la consécration des prix académiques; la protection du roi et des ministres; enfin, avec la réussite, le repentir, le silence et la dévotion.
Une littérature « à la Fontenelle »
Catherine Bernard a produit des œuvres qui ne sont pas sans mérite. Obsédée par la Princesse de Clèves, elle nous donna avec Eléonor d’Ivrée et le Comte d’Amboise deux nouvelles assez désolantes, qui visent à nous représenter, sur un arrière-fond historique plus ou moins exact, les faiblesses du cœur et « les malheurs de l’amour» (sous-titre à’Éléonor d’Ivrée). Le style est tendu, comme l’explique Fontenelle dans la lettre de septembre 1687 : « Les paroles y sont épargnées, et le sens ne l’est pas. Un seul trait vous porte dans l’esprit une idée vive, qui, entre les mains d’un auteur médiocre, aurait fourni à beaucoup de phrases ». D’ailleurs; d’une œuvre à l’autre, se discerne une évolution : Eléonor d’Ivrée est « peu chargée d’intrigue », mais les sentiments y sont « traités avec toute la finesse possible » (ibid.)*, la seconde nouvelle est « plus naturelle que l’autre par les sentiments [...], plus extraordinaire par l’action » (Avertissement du Comte d’Amboise); l’histoire n’y conserve qu’un rôle secondaire. A travers ces nuances, la même esthétique et la même morale se retrouvent dans les deux ouvrages : un style concis, des nappes d’émotion qui affleurent parfois et, finalement, l’échec de l’amour, l’impossibilité du bonheur, que notre faiblesse et la cruauté sociale interdisent également.
L’évolution qui apparaît d’Éléonor au Comte se prolonge avec Inès : l’intrigue y est plus complexe encore, voire plus bizarre; l’histoire y est traitée avec plus de désinvolture encore, et le pessimisme moral s’y affirme sans nuance ni réserve. L’héroïne ne trouve la paix que
«
dans
le renoncement total.
Cette nouvelle contient deux
contes de fées, le Prince-Rosier et Riquet à la houppe,
beaucoup plus âpres, plus pessimistes -malgré quel
ques agréments et quelques atours fleuris-que ceux de
Perrault.
Comme si toute J'œuvre romanesque de Cathe
rine Bernard, en se détachant progressivement de l'his
toire et même de la vraisemblance, devait logiquement
aboutir à ces féeries désespérées, qui ne sont plus qu'une
méditation, à peine ornée, sur les misères de la vie et
l'injustice sociale.
Dans le même volume qu 'In ès de
Cordoue se lisait un récit de quelques pages, 1' Histoire
de la rupture d'Abénamar et de Fatime; les noms arabes
ne doivent pas nous abuser: aucune couleur locale,
aucun exotisme dans ce conte glacé, où les malentendus
et la séparation de deux amants semblent réglés comme
dans un ballet ...
Laodamie et Brwus doivent beaucoup à Corneille
et pourtant ces tragédies politiques présentent de curieux
mouvements, d'originales notations psychologiques, qui
évoquent plutôt la haute comédie, ou même Marivaux.
D'ailleurs, peignant l'une et l'autre un monarque légi
time qu'une révolution dépossède, contenant de longues
discussions sur les droits de la naissance et les droits du
peuple, ces pièces nous rappellent la chute de Jacques II
et l'avènement de Guillaume d'Orange : Catherine Ber
nard paraît, surtout dans Brutus, donner raison au sta
thouder; sa politique évoque plutôt celle de Locke que
celle de Bossuet ...
Le style de ces deux tragédies est
assez morne et incolore, et, à vrai dire, elles nous sem
blent presque incohérentes, unissant des passages
« sublimes », des attitudes cornéliennes et parfois une
psychologie a�sez « bourgeoise » ou « romanesque».
Ces défauts n'empêchent que Brutus, au moins, eut un
succès retentis5ant, et, lorsque Voltaire voulut traiter le
même sujet, le Mercure de France de mars 1731
s'amusa, dans un article probablement inspiré par Fonte
nelle- ou peut-être même écrit de sa main -, à relever
tous les emprunts que l'auteur de Zaïre avait faits à la
pièce de Catherine Bernard.
Les poésies sont fort conformistes, souvent flagorneu
ses: on ne saurait donc y trouver de thèmes bien bardis,
mais on y découvre un intéressant effort pour renouveler
le merveilleux : sacrifiant la mythologie classique, refu
sant l'inspiration biblique ou évangélique, Catherine
Bernard anime des allégories : la Raison, la Foi, la
Renommée -et, surtout, sa poésie devient parfois une
sorte de « ph1 losophie condensée >> : on y remarque
maints raccourcis expressifs, «la pensée» y importe
plus que le sentiment et l'artiste ne cherche pas à nous
émouvoir, mais à nous découvrir des aperçus singuliers,
exprimés avec éloquence et netteté ..
.
Ces œuvre�.
correctes, mais peu enthousiasmantes,
dépassent souYent la production contemporaine.
La qua
lité maîtresse en est, au fond, la rigueur -peu de com
plaisances, peu de mollesse ou de facilité.
11 est probable
que cette rigueur doit quelque chose à Fontenelle.
fi est
évident, en tout cas, que romans, tragédies, poèmes de
Catherine Bernard sont également conformes aux théo
ries du philosophe.
C'est sa morale, telle qu'il l'exprima
dans le traité Du bonheur, ce sont ses réflexions Sur la
poétique et Sur la poésie, en général, qui se retrouvent
dans tous ces écrits et en expliquent la cohérence et
1' ori ginalité..
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