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BREL Jacques : sa vie et son oeuvre

Publié le 20/11/2018

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BREL Jacques (1929-1978). Chanteur, compositeur et interprète belge, Jacques Brel est né à Bruxelles dans une famille de « bonne bourgeoisie » reconvertie, après vingt années de négoce au Congo, dans l’entreprise de la cartonnerie. Réfractaire aux études qui lui sont dispensées dans un des meilleurs collèges de la capitale, le jeune homme trouve encore moins d’attrait à la formation commerciale qu’il s’efforce un temps d’acquérir au sein de l’entreprise familiale. Sensible au contexte de désolation sociale qui règne en ces années d’immédiat après-guerre, il ne supporte pas plus la réalité de l’usine que le médiocre confort bourgeois qui l’attend, et l’expérience du service militaire vient renforcer chez lui la conviction que l’apprentissage social n’est « qu’une machinerie à fabriquer des idiots ».

 

Une guitare et quelques essais d’amateur dans la chanson lui offrent l’occasion d’assumer une rupture dont le romantisme adolescent n’édulcore pas la profonde détermination éthique : il s’agit, en fait, d’affirmer sa « haine » pour se « vivre debout », ou, comme il le chantera plus tard dans les Bourgeois, de se prendre seulement « pour soi ». Et c’est le départ pour Paris, malgré un attachement profond à la famille et au pays, dont il conservera d’ailleurs le paysage culturel dans ses chansons à venir (Marieke, Bruxelles, le Plat Pays, Mon père disait...). Il lui faudra aller, en Don Quichotte des Flan

 

dres, affronter d’autres moulins à vent et ce « chevalier à la triste figure » (il se sent profondément laid) a pour seules armes une volonté assoiffée d’espoir et un talent non reconnu. Cinq années itinérantes de cabarets, où « Brel le curé », « Brel le bourgeois en rupture de ban » essuie les « bides » et les camouflets, mais tient et crée. Ses chansons de colère, d’amour et de provocation (les Flamandes), lui valent des procès de son pays, mais aussi quelques premiers succès.

 

Après dix ans et quelque deux cents textes de chansons, il décroche des contrats, et le succès se fait alors fulgurant, en France, en Belgique, en Europe, aux États-Unis, où il triomphe en 1965.

 

Dans sa production générale, des points forts marquent sa personnalité artistique : les Bigotes, le Plat Pays, Ne me quitte pas, Amsterdam,... En 1966, il couronne sa carrière mondiale par la création d’une comédie musicale adaptée du spectacle de Broadway de Joe Darion et Mitch Leyh, F Homme de la Mancha, qui constitue comme une allégorie de son propre trajet. Puis il décide de rompre avec la chanson, pour fuir une carrière qui l’institutionnalise par trop.

 

Après une période cinématographique réussie comme acteur, il se tourne vers la réalisation et produit un film à profonde résonance psychanalytique personnelle (Franz, 1966), planté dans un décor dérisoire sur fond de mer du Nord. C’est un échec.

 

En 1968, alors qu’on présente aux États-Unis un spectacle intitulé Jacques Brel is alive, and well, and living in Paris, il apprend qu’il est atteint d’un cancer et amorce un nouveau défi dans le silence et l’espace des îles Marquises, l’avion et le voilier devenant ses formes secrètes de chant, dans la présence de la femme qu’il aime et la musique sans paroles des solitudes marines.

 

Il ne quittera plus ces îles — indépendamment de la contrainte des visites à l’hôpital — que pour offrir en hommage à son public un dernier 33 tours intitulé simplement Brel, où il « refait l'Olympia du fond du cimetière », testament artistique avant l’arrêt de l’arbitre. Il meurt à Paris à quarante-neuf ans, et sera enseveli aux Marquises, non loin du tombeau de Gauguin.

 

Dans ce sous-ensemble de la littérature « médiatique » communément appelé « chanson », l’œuvre de Jacques Brel s’impose et réimpose le genre à égale distance des préjugés culturels réducteurs (la « chansonnette ») ou faussement valorisants (la chanson élevée au rang de poème) grâce à une double authentification : d’abord par un respect de la modestie du genre (la chanson est une séquence verbale et sonore de deux ou trois minutes, fondée sur un dicible qui se confond avec le lieu commun de l’émotion), ensuite, par une exigence de qualité qui porte la performance de la chanson à son rendement optimal (texte - support musical - voix), en pleine conscience de sa fonction (expression publique, accessible et compensatoire des fantasmes) et sans concession à l’industrie technologique qui commande ses conditions de production. En bref, l’œuvre de Jacques Brel se qualifie d’abord par une remarquable conformité entre un savoir-faire et un savoir-être de la chanson : non pas chansonnette, mais chanson nette.

 

Tout en s’inscrivant dans la continuité d’une tradition, celle de la chanson sociale, dont elle assume les règles d’exhibitionnisme sentimental, la production de Brel s’en écarte par une poéticité marquée. Le texte y est de structure plus lyrique et circulaire que narrative, et il est toujours exhaussé par un travail stylistique raffiné, tant au niveau lexical (bonheur des formules) et morphosyntaxique (structures anaphoriques, etc.) qu’au niveau métaphorique.

« ou de contraste signifiant avec l'idée (le choix préféren­ tiel de la valse, du tango ou de la polka, par exemple, n'y est jamais gratuit).

En outre, la performance dramati­ que de la voix à fonctjon le plus souvent mimique (p.

ex.

l'exagération caricaturale de l'accent belge à des fins de péjoration symbolique, 1' accentuation des nasales en signe de grimace ou, à l'inverse, le crescendo conjoint du volume, de la hauteur et du timbre, schéma total de nombreuses chansons, qui expriment l'élan, l'incantation de la joie) vient renforcer largement la valeur connota­ live du message, qui, au reste, se prend parfois pour référence d'une chanson à 1 'autre, créant un système intertextuel de signes de nature à souligner la cohérence d'un «univers brélien ».

L'argument thématique superficiel de chaque chanson de Brel se trouve ainsi investi d'une intensité significa­ tive que l'auditeur interprète comme un poids ontologi­ que, lié à la riche personnalité de la voix exprimante.

Les thèmes majeurs et récurrents tels que 1 'amour, la tendresse, le bonheur, ou leur ratage par la bêtise, le manque d'imprudence et de révolte, l'hypocondrie, la peur, ou encore la solitude inévitable, le vieillissement, la mort, s'intègrent à un dire, à une volonté éthique émouvante, que celle-ci soit tendre, élégiaque, ou provo­ cante et satirique.

Brel chante pour son public un« savoir vivre)) qui, dans sa forme simple, touche au plus profond.

Ses chanson;; sont aussi témoignage d'une culture marquée par la mémoire des origines et, pour nombre de pièces, par une « belgitude » que Brel a le mérite - peut-être unique -de dire dans sa dimension bicultu­ relle (et en ver�ion parfois bilingue, y compris à l'inté­ rieur d'une même chanson, comme dans Marieke).

Valeurs d'un monde du Nord, triste et âpre, sur fond d'ennui existentiel mais mystique (on pense à l'héritage d'un Maeterlinck), dont le lyrisme peut s'inverser, chez Brel, en satire cruelle (les Flamandes, les Dames patron­ nesses, les Bigotes) ou s'épanouir en hymne à la vie (comme à la fin du Plat Pays ou dans Mathilde).

Au niveau formel, les chansons de Brel s'apparentent fréquemment à des tableaux, tantôt intimistes (les Vieux), tantôt expressionnistes, breughéliens et vision­ naires (Amsterdam), ou encore à des chansons de scènes, à coloration nettement populaire par leur registre verbal, mais où la peinture sociale cède la place à une appréhen­ sion profonde de la détresse de la créature, que le chant transcende poétiquement grâce aux divers contre-tons que lui offrent la dérision, l'ironie ou le comique.

On atteint peut-être là un des archétypes de la chanson bré­ lienne qui n'e·>t pas sans rapport avec le mythe de l'Homme de la Mancha.

Cette lucidité pitoyable envers la folle faiblesse humaine structure les chansons à cres­ cendo et à répétition absurde que l'on retrouve dans toute l'œuvre : sur le mode héroïque, c'est Zangra, ou la quête vaine de la gloire, qui transpose en tragi-comédie le thème du Désert des Tartares; sur le mode lyrico-naïf, c'est l'amoureux de Madeleine et ses lilas, ou l'obstina­ tion de l'espoir; sur le mode de la marche, c'est les Bonbons, ou la comédie recommencée; sur le mode bur­ lesque enfin, dans le dernier disque de Brel, celui de la synthèse et des dernières provocations, ce sont les fantasmes de puissance érotique que le promeneur hypo­ condre de Knokke-Le Zou te ( « la bite sous le bras )>) projette dans quelque latinité mythique mais désormais compromise par une histoire aux relents de violence sadique.

Personnages crédules et créatures d'échec sont, dans cet univers, supérieurs à ces gens-là, calculateurs, tri­ cheurs, bourgeois, militaires ou bigots, comme le rêve est supérieur aux idéologies.

Errants et marginaux, pau­ més et cocus tristes, comme leurs frères nomades, les Bergers conservent au fond de leurs yeux quelque parcelle d'étoile, comme, au bout de leur bave, quelque désir, fou, enfantin, d'aventure...

Tels les marins d'Amsterdam qui dansent : En se frottant la panse Sur la panse des femmes Et ils tournent et ils dansent Comme des soleils crachés Dans le son déchiré D'un accordéon rance ( ...

} Et quan d ils ont bien bu S e plantent le nez au ciel Se mouchent dans les étoiles Et ils pissent comme je pleure Sur les femmes infidèles Dans le port d'Amsterdam.

Que Brel lui-même se pose en personnage de ses chansons, et l'on retrouve les mêmes schèmes imaginai­ res, replacés toutefois dans le droit fil d'une volonté d'idéal qui ne cesse jamais d'être lyrique et qui part en croisade et repart, pour trouver l'amour au bout de la révolte, la joie au bout de la désespérance, la tendresse au bout de la passion, selon un combat apollinien placé sous le signe du regard et de la lumière (Sur la place, Il nous faut regarder, Heureux, la Quête), avec pour ultime et seule réponse contre « le temps qui cogne », toute solitude acceptée, la réconciliation de la beauté et de la bonté -dans le chant.

[Voir CHANSON].

BLBLIOGRAPHIE Jean Clouzet, Jacques Brel, poésie et chansons, Paris, S eg her s, 1964; Jacques Paulus, Jacques Brel, Paris-Bruxelles, Pierre de Méyère éditeur, co ll.

"Portraits», n• 8.

1964; Martin Monestier, Brel, le Livre du souvenir, Paris, Tch o u.

1979; Bruno Hongre et Paul Lidsky.

Profil d'une œuvre , Paris, Hatier, 1976; Jean-Yves Richard, Jacques Brel ...

une ile au large de l'espoir, Éd.

France-Québec.

s.l.n.d.; François Pierre, Jacques Brel, seul mais réconcilié, Éd: Foyer Notre-Dame, s.l .n .d .. »

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