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BRETON André : sa vie et son oeuvre

Publié le 20/11/2018

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BRETON André (1896-1966). Sur la personnalité et l’œuvre d’André Breton — poète, théoricien et guide du groupe « surréaliste » français [voir Surréalisme], homme d’aventure et de lucidité politique —, les jugements sont encore très passionnés, cernés par une profusion de souvenirs bruissants, derrière lesquels les contours de l’œuvre semblent parfois s’estomper. Que cet homme de passion exigeante ait suscité la passion, on ne saurait s’en étonner. A sa mort, en 1966, Jean Paulhan évoque sa voix, capable de « prononcer, comme sans l’avoir prévu, des phrases [...] propres à faire de
 
nous les égaux de Dieu, proprement divines », et Julien Gracq, la figure d’un « homme entier, fondamentalement allergique à toutes les entreprises de restriction, à toutes les formes de résignation » (la Nouvelle Revue française, n° 172, 1er avril 1967). Or, cette voix poétique et cette figure individuelle se sont volontiers confondues pour les contemporains, tant il est vrai que l’originalité de Breton nous semble aujourd’hui avoir été surtout d’instaurer une éthique qui fût en même temps une esthétique : sont indissociables la théorie de l'écriture automatique — qui pourrait apparaître comme exclusivement esthétique — et celle du « hasard objectif » — dont le versant éthique est plus évident puisqu’aux « signes » qui nous sont faits, il convient seulement d’obéir. On commence seulement à convenir que l’approche des textes de Breton doit impérativement tenir compte d’une pratique poétique qui consiste à réinventer secondairement une mentalité « magique » pour obéir à des impératifs visionnaires ou éthiques. Encore faut-il lire Breton. Son écriture, impérieuse, éclatante, ne se laisse pas si facilement pénétrer. Tant d’écrivains ou de critiques se réclament aujourd’hui de Breton, qui citent toujours les mêmes phrases... Il faut lire Breton : on a aujourd’hui presque tout encore à découvrir.
 
Le cristal, la vie...
 
« Le cristal... La maison que j’habite, ma vie, ce que j’écris : je rêve que cela apparaisse de loin comme apparaissent de près ces cubes de sel gemme » (L'Amour fou).
 
C’est avec son entrée en poésie que la vie de Breton prend toute sa clarté. Sur ses origines familiales et sa première jeunesse, il s’est peu étendu durant sa maturité : il en garde un souvenir d’étouffement. Il est né le 19 février 1896 à Tinchebray, dans l’Orne, mais, en 1900, la famille Breton s’installe à Pantin. La poésie lui sera révélée, par l’intercession d’un professeur suppléant au collège Chaptal et dans un échange fructueux avec son ami Théodore Fraenkel : celle de Baudelaire, de Mallarmé, des symbolistes, de Huysmans. Ses goûts le portent aussi vers la peinture, surtout celle de Gustave Moreau. Ses choix évoluent : Valéry, lu d’abord comme le fils spirituel de Mallarmé, puis rencontré — et les premiers poèmes publiés portent sa marque —, mais les lectures de Rimbaud (été 1914), puis de Jarry (1915) et, grâce à Aragon, de Lautréamont (en 1917) l’éloignent définitivement de la poétique mallarméenne. La rencontre d’Apollinaire (déc. 1915), qu’il fréquente jusqu’à sa mort en novembre 1918, le conforte dans le besoin de définir une idée moderne de la vie poétique.
 
Il est inscrit en oct. 1913 à la faculté de médecine, et, si la guerre vient interrompre ses études, elle les prolonge aussi, et les nourrit de rencontres décisives. C’est à Nantes, en 1916, qu’il fait la connaissance de Jacques Vaché (« la Confession dédaigneuse », dans les Pas perdus). Dès son séjour à Saint-Dizier, il prend connaissance des théories de Freud, non par l’œuvre même de Freud, dont peu d’ouvrages sont alors traduits, mais par l’intermédiaire du Précis de psychiatrie du Dr Régis et de la Psychoanalyse de Régis et Hesnard (Alcan, 1914). Breton, d’ailleurs, pratiquera avec les malades qu’il rencontre la méthode des associations libres. C’est donc bien par la théorie freudienne que Breton s’initie à la pensée psychanalytique (cf. Marguerite Bonnet, André Breton, naissance de P aventure surréaliste, Corti, 1975, p. 102 et suivantes) et non auprès de Myers et de Janet, en dépit de convergences plus apparentes (Jean Staro-binski, « Freud, Breton, Myers », dans la Relation critique, et Anna Balakian, André Breton, Magus of Surrea-lism, New York, 1971). Enfin, c’est en 1917, au Val-de-Grâce, qu’il rencontre Louis Aragon et s’émerveille de la convergence de leurs goûts.
 
Mont de piété (1919), son premier recueil de poèmes, montre le glissement des goûts signalé plus haut : de Mallarmé et Valéry à Rimbaud, Apollinaire et Reverdy; mais surtout de la poésie à la nature de son avènement. Cette interrogation sur la nature de l’inspiration et sur son aspect peut-être collectif préside à l’aventure des Champs magnétiques, menée en mai 1919 avec Philippe Soupault, en compagnie duquel Breton découvre l’« écriture automatique ». Elle préside aussi à l’organisation du volume les Pas perdus (1924), recueil d’articles parus de 1918 à 1923 : la poésie y est présentée à la fois
 
comme refus de ce qui est et désir de ce qui pourrait être, mais sa nature pourrait ne pas être essentiellement langagière : « Elle émane davantage de la vie des hommes, écrivains ou non, que de ce qu’ils ont écrit ou de ce que l’on suppose qu’ils pouvaient faire » (« Clairement »). En revanche, c’est plutôt l’affirmation brute de la force poétique qui s’exprime dans Clair de terre (recueil de poèmes, 1923), par réaction contre la tentation du silence.
 
Cependant, avec la création de revues, la vie d’André Breton se confond peu à peu avec l’activité d’un groupe qui, en 1924, prend le nom de «surréaliste». La première de ces revues, Littérature (mars 1919-juin 1924), se veut d’abord en rupture avec « la littérature », ses modes, son monde, sa bonne conscience : le titre est à entendre par antiphrase. Le passage par Dada (janvier 1920-août 1921) et l’influence de Tristan Tzara consacrent cette rupture avec le projet littéraire. Puis c’est la Révolution surréaliste, dont le premier numéro, en déc. 1924, suit le retentissant Manifeste du surréalisme (oct. 1924), publié en même temps que les proses automatiques de Poisson soluble. Dans cette « défense et illustration » du surréalisme, où Poisson soluble est d’ailleurs plus qu’une « illustration », le Manifeste place Breton en position de leader du groupe (auquel se sont joints Eluard, Péret, Desnos, Crevel), malgré le texte séduisant Une vague de rêves qu’Aragon avait de son côté mis au point durant l’été. Le groupe est présenté, dans le Manifeste, d’une façon moins descriptive, moins historique; le surréalisme est défini moins comme une révélation que comme une conquête : conquête du merveilleux par l’exercice de l’écriture automatique, par le procès sans cesse recommencé contre le « monde réel »; l’homme doit redevenir ce « rêveur définitif » que son enfance promettait. Après le douzième numéro de la Révolution surréaliste et l’exclusion d'Artaud, de Desnos et de Soupault, c’est dans le Surréalisme au service de la révolution (1930-1933) que s’exprime le groupe, se faisant, par ce titre même, l’écho des angoisses politiques croissantes et de la nécessité d’un engagement clair.
 
Or, tout se passe comme si, dans les récits et réflexions théoriques que sont l’« Introduction au discours sur le peu de réalité » (1925, dans Point du jour), Nadja (1928), les Vases communicants (1932), P Amour fou (1937), puis, après la guerre, Arcane 17 (1944), la vie d’André Breton se présentait sous son aspect le plus accidentel en même temps que le plus généralisable, comme s’il s’agissait « de superposer vive à l’enregistrement de la vie quotidienne l’écriture progressive d’un destin » (Julien Gracq) : s’y profile l’attente de « la rencontre », avec une disponibilité intime indispensable et la croyance magique en l’efficace de la pensée; s’y profile aussi la reconnaissance du « hasard objectif », dans un climat où le désir est coloré d’une indifférence qu'on dirait mystique (« l’indifférent seul est admirable... », « Introduction... », dans Point du jour). Sous l’éclairage de cette généralisation constante doivent être lus les événements privés que sont les années heureuses avec Simone Kahn, la rencontre de Nadja et de son pouvoir d’errance, celle de Suzanne, qui l’abandonne en 1929 — d’où le désarroi perceptible dans les Vases communicants —, celle de Jacqueline et de l'« amour fou » en 1934, celle d’Elisa en 1943 : Elisa rencontrée à New York, où il est en exil, pendant la Seconde Guerre mondiale (Arcane 17).
 
Une théorie complexe de l’histoire individuelle est mise en place dans ces textes, mais aussi une théorie de la fonction de l’écriture par rapport à « la vie ».
 
Aux alentours de 1935, le groupe surréaliste s’est renouvelé : les préoccupations politiques, que l’on évoquera plus loin, se dissocient des projets poétiques, abordés dans Minotaure, revue où Breton assume un rôle de plus en plus important depuis 1933. Le surréalisme a essaimé aussi en divers lieux du monde, ce qui amène Breton à entreprendre divers voyages. Sa rencontre avec Trotski à Mexico le conduit à la proclamation « Pour un art révolutionnaire indépendant» (la Clé des champs), qui définit, contre le « jdanovisme » naissant, les conditions d’un art authentiquement novateur et révolutionnaire.
 
En 1940, toute possibilité d’expression lui étant retirée, il s’exile : de passage à la Martinique, il rencontre Aimé Césaire; de passage aux États-Unis, il crée, là encore, une revue, VW, cette fois avec Marcel Duchamp. Et, de retour à Paris, en 1946, entouré de nouveaux jeunes poètes et de Benjamin Péret, c’est encore par des revues et des expositions collectives que se manifeste la vitalité du mouvement. Cependant la vogue de l’existentialisme l’emporte, et pas seulement en réputation délétère dans la grande presse, sur celle du surréalisme. Ferdinand Alquié compare leurs enjeux dans une conférence essentielle, publiée sous le titre Humanisme surréaliste et humanisme existentialiste (Cahiers du Collège philosophique, 1948).
 
Breton est amené à se tourner vers l’ésotérisme, vers la civilisation celtique, à élaborer le mythe des « Grands Transparents». Les Entretiens (1952) jettent un regard sur le passé. Mais le pouvoir d’émerveillement n’est pas mort en Breton : ses préfaces accordées à de jeunes poètes le disent. Son pouvoir de polémiste ne l’est pas non plus : il polémique avec Albert Camus, qui a publié en 1951 EHomme révolté, à propos de la notion même de révolte. Il renouvelle ses conceptions esthétiques dans son dernier grand ouvrage T Art magique (1957) et demeure fidèle à la vocation de l’automatisme dans les Constellations ( 1959).
 
La lucidité politique
 
En apparence, les textes évoqués jusqu’ici laissent passer comme un crible l’aspect politique de l’activité de Breton. Par exemple, n’apparaissent dans l’Amour fou ni l’image du 6 février 1934 — qui, pourtant, détermina Breton à s’allier à tous les hommes de gauche — ni quelque écho direct des grandes scènes du Front populaire. Il faut s’attacher à certains articles repris en volumes (Point du jour, la Clé des champs. Perspective cavalière) et surtout aux Tracts surréalistes et déclarations collectives (1922-1940 [t. I], puis 1940-1969 [t. II], Los-feld, 1980, puis 1982) pour percevoir cette activité. Mais il faut lire aussi, à travers le poétique, le symbolisme politique : ainsi, l’Ode à Charles Fourier a été déchiffrée par Jean Gaulmier (Klincksieck, 1961), et le sens politique du thème de l’Orient (par exemple dans les textes apparemment les plus idéalistes comme l’« Introduction au discours sur le peu de réalité », où l’Orient évoque le Maroc et la guerre du Rif) a été révélé par Marguerite Bonnet (« l’Orient dans le surréalisme, mythe et réel », dans Revue de littérature comparée, 1980). Car enfin l’éthique surréaliste implique au premier chef la révolte politique — qu’elle englobe, il est vrai.
 
Chez le jeune Breton, la tentation libertaire l’emporte. Dans sa lecture du symbolisme, il a trouvé des points de tangence avec l’anarchie : chez Saint-Pol Roux, chez le Barrés de T Ennemi des lois, chez Mallarmé, dans les paroles de la Monelle de Marcel Schwob, chez Jarry, bien sûr. L’année de l’affaire Bonnot (1913) avait remis en mémoire « la terreur noire » de l'année 1892. Or cette tendance, Breton la retrouva durant la période de 1951-1953, dans «la Claire Tour» (la Clé des champs) ou dans sa collaboration au Libertaire.
 
La lecture du Lénine de Trotski, en 1925, lui fait désigner à ses amis le communisme comme « le plus
 
merveilleux agent de substitution d’un monde à un autre qui fut jamais ». Ainsi commencent et la fascination et le malentendu à l’égard du Parti communiste : rapprochement avec le groupe communiste de Clarté, à la faveur d’une commune protestation contre la guerre du Maroc; adhésion, en 1927, au P.C. Mais cette adhésion oblige à de constantes mises au point (« Légitime Défense », dans Point du jour, « Au grand jour », dans Tracts surréalistes...). La rupture avec Aragon en 1932 est un des moments de ce chemin pénible. Breton est exclu en 1933 de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (l’A.E.A.R.). Il se dresse contre la montée fasciste dès le 6 février 1934, mais aussi, après sa rupture avec le P.C. en 1935 (Position politique du surréalisme), il est un des premiers à dénoncer les procès de Moscou (1936). En 1936, lorsqu’il rencontre Trotski à Mexico, le texte commun « Pour un art révolutionnaire indépendant » (la Clé des champs) met en évidence le jeu dialectique de l’art et de la révolution. Position théorique assurée, position de l’affût.
 
Après la guerre et l’exil forcé, ses prises de position politiques sont constantes, en faveur de la libération du Viêt-nam puis de l’Algérie, contre le gaullisme et, dans une nette distance par rapport aux partis existants, en faveur du mouvement mondialiste (1948), du R.D.R. (Sartre, Camus, 1948), en faveur du droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie (1960). En fait il est trop alerté et trop tenace pour abandonner cette position de guetteur, mais aussi il est trop lucide pour trouver des raisons d’agir dans des groupes tout formés. La révolte, toujours, contre les conditions faites à la liberté humaine. C’est ce qu’on pourrait appeler une politique du signe ascendant.
 
Une poétique du signe ascendant
 
En matière de poétique comme, on l’a vu, en matière narrative ou politique, la fonction anagogique de la parole est mise en évidence : c’est là le sens du texte «Signe ascendant» (1948, repris dans la Clé des champs). « L’image analogique, dans la mesure où elle se borne à éclairer, de la plus vive lumière, des similitudes partielles, ne saurait se traduire en termes d’équation. Elle se meut, entre les deux réalités en présence, dans un sens déterminé, qui n’est aucunement réversible. De la première de ces réalités à la seconde, elle marque une tension vitale tournée au possible vers la santé, le plaisir, la quiétude, la grâce rendue, les usages consentis. Elle a pour ennemis mortels le dépréciatif et le dépressif ». Ces lignes ont donné lieu à de violentes attaques. Le groupe de Tel quel, notamment dans le n° 46, été 1971, a pourfendu ce en quoi il voyait une résurgence idéaliste, s’attachant à l’image du haut et du bas (ce qui permettait de reprendre l’argumentation de Georges Bataille contre ces hiérarchisations). Or, ces phrases renvoient à la conception du temps chez Breton, et surtout elles exigeraient une réflexion sur le fonctionnement de la métaphore — et de son plaisir — qui n’a pas encore été menée. Le texte de Breton, en tout cas, complète la théorie de l’image exprimée dans le premier Manifeste : l’image « la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé », et cela par opposition à la définition de Pierre Reverdy : « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ». L’image, chez Reverdy, part des choses; le critère de beauté en est la justesse. L’image, chez Breton, part des mots; elle doit être arbitraire. Double différence.
 
Analogie, anagogie : tels sont les maîtres mots de la poétique de Breton.



breton

« comme exclusivement esthétique-et celle du «hasard objectif» -dont le versant éthique est plus évident puisqu'aux « signes» qui nous sont faits, il convient seulement d'obéir.

On commence seulement à convenir que l'approche des textes de Breton doit impérativement tenir compte d'une pratique poétique qui consiste à réin­ venter secondairement une mentalité « magique» pour obéir à des impératifs visionnaires ou éthiques.

Encore faut-il lire Breton.

Son écriture, impérieuse, éclatante, ne se laisse pas si facilement pénétrer.

Tant d'écrivains ou de critiques se réclament aujourd'hui de Breton, qui citent toujours les mêmes phrases ...

Il faut lire Breton on a aujourd'hui presque tout encore à découvrir.

Le cristal, la vie ...

« Le cristal...

La maison que j'habite, ma vie, ce que j'écris :je rêve que cela apparaisse de loin comme appa­ raissent de près ces cubes de sel gemme >> (l'Amour fou).

C'est avec son entrée en poésie que la vie de Breton prend toute sa clarté.

Sur ses origines familiales et sa première jeunesse, il s'est peu étendu durant sa maturité: il en garde un souvenir d'étouffement.

Il est né le 19 février 1896 à Tinchebray, dans l'Orne, mais, en 1900, la famille Breton s'installe à Pantin.

La poésie lui sera révélée, par l'intercession d'un professeur suppléant au collège Chaptal et dans un échange fructueux avec son ami Théodore Fraenkel : celle de Baudelaire, de Mallarmé, des symbolistes, de Huysmans.

Ses goOts le portent aussi vers la peinture, surtout celle de Gustave Moreau.

Ses choix évoluent : Valéry, lu d'abord comme le fils spirituel de Mallarmé, puis rencontré -et les premiers poèmes publiés portent sa marque -, mais les lectures de Rimbaud (été 1914), puis de Jarry (1915) et, grâce à Aragon, de Lautréamont (en 1917) l'éloignent définitivement de la poétique mallarméenne.

La rencon­ tre d'Apollinaire (déc.

1915), qu'il fréquente jusqu'à sa mort en novembre 1918, le conforte dans le besoin de définir une idée moderne de la vie poétique.

Il est inscrit en oct.

1913 à la faculté de médecine, et, si la guerre vient interrompre ses études, elle les pro­ longe aussi, et les nourrit de rencontres décisives.

C'est à Nantes, en 1916, qu'il fait la connaissance de Jacques Vaché («la Confession dédaigneuse », dans les Pas per­ dus).

Dès son séjour à Saint-Dizier, il prend connais­ sance des théories de Freud, non par l'œuvre même de Freud, dont peu d'ouvrages sont alors traduits, mais par l'intermédiaire du Précis de psychiatrie du or Régis et de la Psychoanalyse de Régis et Hesnard (A lean, 1914 ).

Breton, d'ailleurs, pratiquera avec les malades qu'il ren­ contre la méthode des associations libres.

C'est donc bien par la théorie freudienne que Breton s'initie à la pensée psychanalytique (cf.

Marguerite Bonnet, André Breton, naissance de l'aventure surréaliste, Corti, 1975, p.

102 et suivantes) et non auprès de My ers et de Janet, en dépit de convergences plus apparentes (Jean Staro­ binski, « Freud, Breton, Myers », dans la Relation criti­ que, et Anna Balakian, André Breton, Magus of Surrea­ lism, New York, 1971).

Enfin, c'est en 1917, au Val-de-Grâce, qu'il rencontre Louis Aragon et s'émer­ veille de la convergence de leurs goOts.

Mont de piété (1919), son premier recueil de poèmes, montre le glissement des goOts signalé plus haut : de Mallarmé et Valéry à Rimbaud, Apollinaire et Reverdy; mais surtout de la poésie à la nature de son avènement.

Cette interrogation sur la nature de l'inspiration et sur son aspect peut-être collectif préside à l'aventure des Champs magnétiques, menée en mai 1919 avec Philippe Soupault, en compagnie duquel Breton découvre 1' « écri­ ture automatique >>.

Elle préside aussi à l'organisation du volume Les Pas perdus (1924), recueil d'articles parus de 1918 à 1923 : la poésie y est présentée à la fois .

� ----- --·--------�--------�--------�-------- comme refus de ce qui est et désir de ce qui pourrait être, mais sa nature pourrait ne pas être essentiellement langagière : « Elle émane davantage de la vie des hom­ mes, écrivains ou non, que de ce qu'ils ont écrit ou de ce que l'on suppose qu'ils pouvaient faire» («Claire­ ment»).

En revanche, c'est plutôt l'affirmation brute de la force poétique qui s'exprime dans Clair de terre (recueil de poèmes, 1923), par réaction contre la tenta­ tion du silence.

Cependant, avec la création de revues, la vie d'André Breton se confond peu à peu avec l'activité d'un groupe qui, en 1924, prend le nom de « surréaliste >>.

La pre­ mière de ces revues, Littérature (mars 1919-juin 1924), se veut d'abord en rupture avec «la littérature», ses modes, son monde, sa bonne conscience : le titre est à entendre par antiphrase.

Le passage par Dada (janvier 1920-aoOt 1921) et l'influence de Tristan Tzara consa­ crent cette rupture avec le projet littéraire.

Puis c'est la Révolution surréaliste, dont le premier numéro, en déc.

1924, suit le retentissant Manifeste du surréalisme (oct.

1924), publié en même temps que les proses automati­ ques de Poisson soluble.

Dans cette « défense et illustra­ tion>> du surréalisme, où Poisson soluble est d'ailleurs plus qu'une « illustration », le Manifeste place Breton en P.OSition de leader du groupe (auquel se sont joints Éluard, Péret, Desnos, Crevel), malgré le texte séduisant Une vague de rêves qu'Aragon avait de son côté mis au point durant l'été.

Le groupe est présenté, dans le Manifeste, d'une façon moins descriptive, moins histori­ que; le surréalisme est défini moins comme une révéla­ tion que comme une conquête : conquête du merveilleux par l'exercice de l'écriture automatique, par le procès sans cesse recommencé contre le «monde réel»; l'homme doit redevenir ce «rêveur définitif>> que son enfance promettait.

Après le douzième numéro de La Révolution surréaliste et l'exclusion d'Artaud, de Des­ nos et de Soupault, c'est dans Le Surréalisme au service de la révolution (1930-1933) que s'exprime le groupe, se faisant, par ce titre même, l'écho des angoisses politi­ ques croissantes et de la nécessité d'un engagement clair.

Or, tout se passe comme si, dans les récits et réflexions théoriques que sont l'« Introduction au dis­ cours sur le peu de réalité>> ( 1925, dans Point du jour), Nadja (1928), les Vases communicants (1932), l'Amour fou (1937), puis, après la guerre, Arcane 17 (1944), la vie d'André Breton se présentait sous son aspect le plus accidentel en même temps que le plus généralisable, comme s'il s'agissait « de superposer vive à l'enregistre­ ment de la vie quotidienne J'écriture progressive d'un destin >> (Julien Gracq) : s'y profile l'attente de« la ren­ contre >>, avec une disponibilité intime indispensable et la croyance magique en l'efficace de la pensée; s'y pro­ file aussi la reconnaissance du «hasard objectif>>, dans un climat où le désir est coloré d'une indifférence qu'on dirait mystique («l'indifférent seul est admirable ...

», « Introduction ...

>>, dans Point du jour).

Sous l'éclairage de cette généralisation constante doivent être lus les évé­ nements privés que sont les années heureuses avec Simone Kahn, la rencontre de Nadja et de son pouvoir d'errance, celle de Suzanne, qui l'abandonne en 1929 - d'où le désarroi perceptible dans les Vases communi­ cants -, celle de Jacqueline et de J'« amour fou » en 1934, celle d'Elisa en 1943 : Elisa rencontrée à New York, où il est en exil, pendant la Seconde Guerre mon­ diale (Arcane 17).

Une théorie complexe de l'histoire individuelle est mise en place dans ces textes, mais aussi une théorie de la fonction de l'écriture par rapport à« la vie ».

Aux alentours de 1935, le groupe surréaliste s'est renouvelé : les préoccupations politiques, que l'on évo­ quera plus loin, se dissocient des projets poétiques, abor­ dés dans Minotaure, revue où Breton assume un rôle de. »

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