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CERTEAU (Michel de)

Publié le 19/02/2019

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CERTEAU (Michel de), anthropologue et historien français (Chambéry 1925-1986). Jésuite (il professe à la faculté de théologie de Paris), puis membre de l'École freudienne de Paris, il enseigne à l'université de Paris VII et à San Diego aux États-Unis. Il mène des recherches complémentaires sur la mystique {la Possession de Loudun, 1970 ; le Christianisme éclaté, 1974) et ses expressions {la Fable mystique, 1982) en tant que « poétique du corps parlant », sur la préhistoire des sciences humaines {l'Écriture de l'histoire, 1975), les cultures « populaires » {l'Absent de l'histoire, 1973 ; Une politique de la langue, avec D. Julia et J. Revel, 1975) et le langage muet des pratiques quotidiennes {la Culture au pluriel, 1974 ; l'invention du quotidien, 1980). En repérant dans le « scripturaire » la frontière de la culture occidentale, il indique d'abord une coupure par rapport au mythe, à la voix, à la culture orale, mais aussi la complicité de l'écriture moderne avec la production et le pouvoir. Écrire met en effet en œuvre trois éléments : la page blanche, lieu de retrait hors du monde qui appelle à déployer un vouloir propre ; un texte comme suite ordonnée et ordonnatrice d'opérations articulées ; un jeu scripturaire qui renvoie « à la réalité dont il a d'abord été distingué, et ce pour la changer ». Dans cette optique, Robinson Crusoé peut être pris pour le « roman de l'écriture », où coïncident la volonté de conquête d'une île (espace séparé) et la rédaction du journal de Robinson, et où le non-scripteur (Vendredi) est d'abord l'indice d'une perturbation « sauvage ».

 

Cette politique globale de l'écriture s'oppose à l'oralité des pratiques également légitimes (scientifique, scolaire,

littéraire, etc.) en ce qu'elles se séparent du « monde magique des voix et de la tradition » et participent d'un « progrès ». Dès lors, l'affirmation de l'univocité d'un texte (littéraire en particulier) va dans le sens d'un système qui transforme les sujets individuels « en opérateurs fragmentaires placés dans une machine à écrire qui se développe elle-même en les utilisant ». De cette « écriture qui se machine indéfiniment », le début du siècle (Jarry, Roussel, Duchamp, Kafka) a d'ailleurs donné quelques représentations ironiques dans les « fictions théoriques » que constituent les « machines célibataires » affirmant l'impossibilité de la communication dont la langue est simultanément la promesse et le fantasme. Face à cet impérialisme du scripturaire, l'écriture « hétérologique » (vies enregistrées, discours ethnologique ou psychanalytique) ne peut que citer et, d'un même mouvement, altérer la voix originelle, pendant que l'écriture la plus savante, philosophique (Deleuze) ou littéraire (Duras) indique seulement qu'il doit exister un « en-dehors du scripturaire » : les cris, le corps. Aussi est-ce en s'intéressant à la lecture et à ses acteurs que M. de Certeau esquisse les échappées hors du système scripturaire. Il faudrait admettre d'abord que la lecture est non pas une consommation passive, mais une activité qui modifie son objet et constitue un « braconnage », dérivant du sens « littéral » que cherche à imposer une élite sociale.

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