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CHALLE Robert : sa vie et son oeuvre

Publié le 20/11/2018

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CHALLE Robert (1659-1721). Auteur de l’un des grands succès romanesques du XVIIIe siècle, qui inspira Richardson, Prévost et Marivaux, Robert Challe est tombé depuis dans un oubli complet. Il a fallu attendre les années 1950-1960 pour que la critique universitaire exhume enfin ses Illustres Françaises et en explore les différents niveaux de lecture : car ces « histoires véritables » qui décrivent avec réalisme et vivacité les mœurs parisiennes à la fin du Grand Siècle composent aussi sous leur juxtaposition apparente une structure narrative d’une étonnante et alléchante complexité. Redécouvert comme romancier, Challe devait l’être ensuite comme philosophe et précurseur des Lumières quand lui fut attribué, dans les années 1970, un célèbre brûlot idéologique du xviiic siècle : les Difficultés sur la religion.

 

Un marin philosophe

 

Longtemps, les nombreux lecteurs des Illustres Françaises ont tout ignoré de Robert Challe. Le texte est publié anonymement en 1713 par le libraire hollandais De Hondt, et connaît un succès immédiat. Mais ce n’est qu’en 1748 que Marc-Michel Rey, en rééditant l’ouvrage, ajoute une notice littéraire consacrée à l’auteur et à ses autres écrits : un Journal de voyage aux Indes orientales (1690-1691, publié en 1721) et des Mémoires politico-philosophiques sur le règne de Louis XIV (1716-1721, publiés en 1731). Il faudra les travaux de Francis Mars (1975) et de Fr. Deloffre (1979) pour que lui soit reconnue la paternité d’un important manuscrit clandestin du xvme siècle, composé vers 1710, remanié et édité par Naigeon et d’Holbach en 1767, et qui fait de Challe « le père du déisme français », les Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche, appelées aussi par Naigeon le Militaire philosophe. Ce dernier titre rend bien compte de la personnalité de Challe, et d’une vie où l’aventure sans cesse nourrit la réflexion. Fils d’un bourgeois parisien, il reçoit une éducation solide au collège de La Marche, puis choisit la carrière des armes et participe à la guerre contre la Hollande (1677). En 1683, sa famille l’envoie en Acadie travailler dans une compagnie de pêcheries. Il en revient l'année suivante, visite les pays nordiques et le pourtour méditerranéen (1684-1687). Retourné au Canada en 1688, il se lance dans le commerce des peaux, mais les Anglais pillent ses installations et l’emmènent à Londres, où il rencontrera Saint-Évremond.

 

En 1690. changement de cap. Recommandé par le ministre Seignelay, son ancien condisciple, il s’embarque comme « écrivain du Roy » (économe et officier d'état civil) sur un navire en partance pour les Indes. Son Journal donne une relation pittoresque et détaillée de la vie quotidienne en mer, dessinant à traits acérés ses compagnons de voyage, officiers, négociants, et matelots « en même temps ivrognes, larrons et dévots », risquant parfois de savoureux néologismes : être « vulcanisé » n’est pas une métaphore technologique, mais désigne un état d’infortune conjugale tel qu’en connut le dieu Vulcain... L’auteur du Journal se montre aussi un véritable précurseur de l’ethnologie, comparant les croyances et les mœurs d’Afrique ou des Indes avec celles des Européens : « Leurs idoles sont parmi eux ce que les saints sont chez nous ». Méfiance à l’égard des rites, des

 

prêtres, des préjugés religieux, qui trouvera une expression plus théorique dans le déisme anticlérical des Difficultés sur la religion. En 1692, Challe rembarque sur un autre navire, assiste à la bataille de La Hougue dont ses Mémoires livreront des croquis héroï-comiques. Ayant quitté la marine en 1694, il se fixe à Paris comme avocat avant de se retirer vers 1718 à Chartres, où il mourra. Ses dernières années sont consacrées à l’écriture : entre 1710 (les Difficultés) et 1716, début de la rédaction des Mémoires, une date est à retenir : 1713, année de publication de son chef-d’œuvre romanesque, rédigé « comme en se divertissant », les Illustres Françaises.

 

La recherche du bonheur

 

Par le titre même de son roman, Challe définit d’emblée son projet d’écriture en tournant le dos au récit « historique » en vogue, à la manière de Catherine Bernard, Hamilton ou Courtilz de Sandras : l’intrigue romanesque n’est plus ici une retombée de l’histoire collective; c’est au contraire à partir de l’aventure individuelle, de l’énergie déployée par ces héroïnes qui au regard des gazettes sont d’« illustres » inconnues, que désormais se constitue par touches successives la véritable chronique d’une société. Avec Challe, le lieu de l’Histoire se déplace vers la vie quotidienne, ses obstacles et ses joies, et c'est tout naturellement que des auteurs « bourgeois » du xvme siècle ont trouvé chez lui la matière de leurs « tragédies domestiques » : témoin la Silvie de P. Lan-dois (1741), et surtout le célèbre Dupuis et Des Ronais de Ch. Collé (1763). Sociologiquement, les personnages de Challe appartiennent déjà à cette « classe à deux frontières » (N. Elias) qui rassemble la bourgeoisie aisée et la petite noblesse, également distantes du peuple et de la Cour, du prince et de la bergère : pour ces « illustres Françaises », le ridicule suprême est de se comporter en « héros de roman », et l’essentiel est d’abord d’être heureux à sa place.

« tées tour à tour par quatre narrateurs impliqués ou non dans leurs récits, devant une petite « cour d'amour » plus ou moins nombreuse qui commente et apprécie, un peu à la manière de l' Heptaméron.

A l'exception de la der­ nière, plus décousue et sans doute largement autobiogra­ phique ( « Histoire de M.

Du puis et de Mme de Lon dé » ), ces histoires reproduisent en réalité la même configu­ ration actantielle : amant-sujet, maîtresse-objet (mais capable d'initiative: l'une d'elles, particulièrement entreprenante, conseille son partenaire : « II ne tiendra qu'à vous de m'engager si avant que vous soyez à cou­ vert de mon inconstance » ), également passionnés et fidèles; père, parfois mère, opposants dévorés d'ambi­ tion sociale.

Toutefois, d'une« histoire » à l'autre, selon les qualifications variables des personnages, 1 'événe­ ment central -le mariage secret -se donne sous des modalités différentes : conséquence d'une inégalité de fortune et/ou de naissance, sanctionnée par une promesse « privée »fun engagement reçu par un prêtre, consom­ mé/non consommé, finalement toléré/refusé par les parents ...

Au hasard de cette savante combinatoire, surgissent des tableaux de mœurs qui ne répugnent pas au plus violent pathétique : un père cruel fait jeter son fils en prison alors que sa «belle-fille» enceinte meurt dans des flots de sang; un amant jaloux surprend sa maîtresse dans les bras d'un autre et la séquestre au pain et à l'eau : «Maltraitez-moi, renfermez-moi», s'écrie la malheu­ reuse, «mais ne vous éloignez pas ...

J'adorerai la main qui me châtiera pourvu que je la voie ».

Étonnante figure que cette énergique Silvie, maîtresse de Des Frans - « de toute votre famille je ne veux épouser que vous )> -, qui se substitue à l'homme pour tracer son propre portrait : «Elle en avait peu (de poitrine), mais ferme; et elle me disait quelquefois en plaisantant qu'une femme en a toujours assez quand elle en a de quoi remplir la main d'un honnête homme»; ou que ce Dupuis père, refusant de donner sa fille à Des Ronais pour la garder auprès de lui, sans pourtant décourager le galant qu'il considère comme « la devant épouser un jour».

Simultanément ces différentes « histoires » sont ouvertes, et se poursuivent dans le temps même de la narration : Des Ronais, après avoir conté l'« infîdélité » de M11• Dupuis, apprend d'un autre narrateur qu'il y a eu malentendu; Des Frans constatera de même l'innocence de Silvie, qui pourtant lui semblait coupable.

Ces histoi­ res par conséquent >, Poétique, XXXV, 1978; M.

Weil.

Robert Challe romancier, Genève, Droz, 1991.

Le Journal de voyage aux Indes orientales a été réédité, avec une introduction et des notes substantielles, par F.

Deloffre et M.

Menemencioglu, Paris, Mercure de France, 1979.

Les Difficultés sur la religion proposées au P.

Malebranche par M ....

officier militaire dans la marine ont été éditées par R.

Mortier, Éd.

de l'Université libre de Bruxelles, 1970.

Il s'agit en fait d'une version intermédiaire (ms.

1163 de la Mazarine), postérieure à 1732, qui se situe entre l'original de 1710 (d on t seuis des fragments sont connus grâce au ms.

Sepher de Lenin­ grad) et le Militaire philosophe de 1767.

F.

Del offre et M.

Mene­ mencioglu ont collationné ces deux manuscrits pour : Robert Challe, Difficultés sur la religion proposées au P.

Malebranche, Studies on Voltaire, n° CCIX, Oxford, 1982.

On consultera enfin le numéro spécial de la Revue d'histoire littéraire de la France, nov .-déc.

1979, « Robert Challe» : arti­ cles de J.

Mesnard, R.

Francillon, Fr.

Deloffre, M.

Menemencio­ glu, B.

Bray (vie, œuvre, problèmes d'attribution).

J.-P.

DE BEAUMARCHAIS. »

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