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Chambre de la douleur (René-Guy CADOU, Hélène ou le règne végétal)

Publié le 20/02/2011

Extrait du document

1. La porte est bien fermée Une goutte de sang reste encor sur la clé 2. Tu n'es plus là mon père Tu n'es pas revenu de ce côté-ci de la terre Depuis quatre ans Et dans la chambre je t'attends Pour remmailler les filets bleus de la lumière 3. La première année j'eus bien froid Bien du mal à porter la croix Et j'usai mes belles mains blanches A raboter mes propres planches Déjà prêt à partir sans toi 4. Puis ce fut le printemps la pâque Je te trouvai au fond de chaque Sillon dans chaque grain de blé Et dans la fleur ouverte aux flaques Impitoyables de l'été 5. Jamais plus les oiseaux n'entreront dans la chambre Ni le feu Ni l'épaule admirable du soir Et l'amour sera fait d'autres mains D'autres lampes 0 mon père Afin que nous puissions nous voir.

René-Guy CADOU, Hélène ou le règne végétal, 1952.

Vous ferez de ce poème de René-Guy Cadou (1920-1951), un commentaire composé. En étant attentif aux images et aux rythmes, vous pourrez montrer, par exemple, que ce texte est à la fois chant de séparation et de souffrance, et hymne au renouveau de la nature et de l'amour.

• Dans la pléiade de poètes qui composent une véritable • Parole en archipel « (R. Char), après la guerre 1940-1945... • ... la place de R.-G. Cadou est plus grande que sa courte vie ne pouvait le faire espérer. • Existence fauchée à trente et un ans. • Écoulée — sauf la trop courte période d'amour (Hélène, sa femme) — sous le signe double de la Poésie et de la Mort. • Celle-ci frappait jeune dans sa famille, tel le grand-père Cadou, la mère...

« est totalement détruite et lui-même sourdement atteint déjà sans doute du mal qui va l'émacier d'années enannées.• On comprend donc que la tonalité première du poème soit souffrance, sentiment d'abandon, de rupture avec celuiqui était filialement un autre soi-même, rupture d'autant plus douloureuse que le père l'a élevé seul de 1932 à cettemort en 1940.• Peu argentés, en logements de fonction, ils vivent très près l'un de l'autre, en des espaces réduits.• importance de « chambre ».• C'est le lieu où il a vu dès 1938 son père malade « étendu, son ventre faisait une bosse énorme sous le drap et jecompris que la branche avait poussé en lui sa racine empoisonnée » : prémonition de la malédiction de la mort sur lafamille.• ...

puis c'est la « chambre » où il l'a trouvé mort.• Le ler vers est symbole : « La porte est bien fermée », fermée entre père et fils, porte de la mort que les vivantsne peuvent pousser.• Une sorte de litanie s'écoule, qui traduit cet irrémédiable :«Tu n'es plus là mon pèreTu n'es pas revenu de ce côté-ci de la terre.

»• La sensibilité s'échappe entre chaque terme, si simple, comme une conversation familière.• Mais c'est aussi le voyant qui parle, le poète qui était sûr de créer dans un monde de prémonitions et de présages,pour lequel — comme pour V.

Hugo — morts et vivants sont simplement d'un « côté » et de l'autre « de la terre.

»• Un rappel des « quatre ans » écoulés depuis la séparation devient une sorte de florilège, de « Capitale de ladouleur » (a-t-il pensé à ce titre d'une oeuvre d'Eluard ?) :« La première année j'eus bien froid », — « froid » de ne plus jamais voir celui qui s'était dévoué pour lui, le pèreveuf qui n'avait vécu que pour son fils ;« Bien du mal à porter la croix »,— révolte de l'homme devant la destinée incompréhensible (cf.

V.

Hugo A.

Villequier), qui le coupe de ceux qu'ilaime.« Jamais plus les oiseaux n'entreront dans la chambre »,— chambre de la douleur donc, où la négation de ce qui est joie (« les oiseaux ») devient l'image même de la mort,dans ce bel alexandrin.— « Jamais plus » : l'irréversible, que la négation « ni » reprend deux fois, elle aussi en tête de vers.

Disparition dubonheur d'être avec le père envolé lui aussi du sanctuaire familial : la chambre,...

avec « les oiseaux ».— Autres symboles de vie et d'ardeur : « le feu » ; de beauté, celle ressentie à deux, dans la communioncrépusculaire avec la nature : « l'épaule admirable du soir ».— Enfin la douleur pousse au désir de mourir, d'avoir lui aussi un cercueil :«Et j'usai mes belles mains blanchesA raboter mes propres planches »,désir exprimé là encore par une image familière, celle d'un homme qui est à la fois poète, d'où « les belles mainsblanches », instruments de l'écriture sacrée, et manuel, proche des paysans et des humbles, taillant lui-même sabière, comme il martelait les tonneaux quand, en poste à Saint-Herblon, il logeait chez un brave tonnelier en 1943(voir les photos).H.

Mais...

« dans la chambre je t'attends »...• ...

« Pour remmailler les filets bleus de la lumière » : du père lui-même, il reçoit vite message d'espoir et conseil devivre.• C'est lui qui l'aidera de son souvenir, car la douleur stérile est à bannir.• Le père même a laissé, par sa mémoire une « goutte » de vie.

N'est-ce pas ce que représente aussi l'image :« Une goutte de sang reste encor sur la clé » ? Sa présence est ainsi matérialisée.• Car même si la « porte » des contacts entre morts/ vivants est « bien fermée », la clé porte les stigmates dudisparu.

N'ouvre-t-elle pas au moins les souvenirs ?• Et partir — pour ne pas le rejoindre ? = « sans toi » s'abandonner au désespoir : ce n'est pas là la leçon du père.

«Déjà prêt à partir ?» à quoi servirait cet abandon, ce manque de confiance en les sources claires de la vie, quand onsombre dans les heures où le poète n'est plus qu'« à ras de terre » ?• Ce serait bien « partir sans toi », car le père n'est plus là, ce ne sont plus les escapades à deux, commeauparavant.

Donc inanité d'une telle solution.

Dans la mort on part toujours solitaire.• Aussi presque toutes les strophes commencées dans la reconnaissance douloureuse de l'absence s'élèvent-ellespeu à peu vers des symboles de vie :— « sang » et « clé » : existence et ouverture, ont encore un sens peu sûr, équivoque ;— mais « remmailler », c'est l'action, la réparation, le ravaudage de ce qui est abîmé, troué ; mais « les filets bleusde la lumière » : c'est la beauté impalpable, aérienne, retrouvée ; « bleu » a toujours été pour R.-G.

Cadou couleurde la beauté et du bonheur ; cf.

« le monde bleu » que lui apporte l'amour de sa femme et « la langue bleue » = laPoésie.— La vraie vie i.e.

la vie poétique, inspiratrice qui apparaîtra même de la douleur :«Il est dit que la douleur ne me quittera pas.

C'est peut-être là le secret de ma poésie.

»Ici impalpable et envoûtante à la fois, inspiration lumineuse (= « filets [...] de la lumière.

»)• Plus caractéristique encore la 4e strophe où R.-G.

Cadou voit renaître les sources réelles de la vie.

Or ellesjaillissent du souvenir même du Père, présent partout dans la nature refleurissante, image précise du Renouveau.• D'abord la saison en elle-même ragaillardit : « Puis ce fut le printemps...

»;• la fête religieuse lave les impuretés — ici le malheur —, permet de repartir en toute ardeur vigoureuse après avoirrempli « la pâque ».. »

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