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Charles Baudelaire (« La Belle Dorothée », Le Spleen de Paris)

Publié le 24/02/2011

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baudelaire

Le soleil accable la ville de sa lumière droite et terrible ; le sable est éblouissant et la mer miroite. Le monde stupéfié (1) s'affaisse lâchement et fait la sieste, une sieste qui est une espèce de mort savoureuse où le dormeur, à demi éveillé, goûte les voluptés de 5 son anéantissement. Cependant Dorothée, forte et fière comme le soleil, s'avance dans la rue déserte, seule vivante à cette heure sous l'immense azur, et faisant sur la lumière une tâche éclatante et noire. Elle s'avance, balançant mollement son torse si mince sur ses 10 hanches si larges. Sa robe de soie collante, d'un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux et sa gorge pointue. Son ombrelle rouge, tamisant la lumière, projette sur son visage sombre le fard sanglant de ses reflets. 15 Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux. De lourdes pendeloques gazouillent secrètement à ses mignonnes oreilles. De temps en temps la brise de mer soulève par le coin sa jupe « 20 flottante et montre sa jambe luisante et superbe ; et son pied, pareil aux pieds des déesses de marbre que l'Europe enferme dans ses musées, imprime fidèlement sa forme sur le sable fin. 1. Stupéfié : ici, engourdi Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous montrerez, par exemple, par quels procédés l'auteur donne à voir cette figure de femme qui sort de l'ordinaire.

 

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« L'élément le plus important de ce décor, c'est en effet le soleil qui « accable la ville de sa lumière droite et terrible »(l.

1), c'est-à-dire qu'il est à son zénith.

La source de lumière, d'abord verticale se propage et gagne la plage où lesable et la mer deviennent eux-mêmes lumière : « le sable est éblouissant et la mer miroite »(l.

1-2).

Le mot «lumière » est d'ailleurs repris aux lignes 8 et 13.

La clarté du soleil est associée au bleu du ciel, cet « immense azur» (l.7-8) qui couvre la mer, dont on peut aussi supposer qu'elle est bleue ou verte.

Le chatoiement des couleursreflétées par les mouvements de l'eau forme une source de couleur qui complète celle du ciel.

Le décor du tableausemble ainsi marqué par les lignes horizontales : personnages endormis, mer et ville déserte, qui vont donner durelief au personnage de la belle Dorothée qui occupe le premier plan. Parce que le personnage « s'avance » (l.6), il passe au premier plan et se caractérise lui aussi par des couleurs : «ténèbres de sa peau » (l.

11), « chevelure presque bleue » (l.

15), « ombrelle rouge » (l.

13) et robe « d'un ton clairet rose » (l.

10).

Ces teintes contrastent violemment.

L'ensemble de la jeune femme du reste est marqué par lecontraste : la « tache éclatante et noire » (l.

8) qu'elle forme pour l'œil est un oxymore qui suggère le paradoxe desa présence et de sa beauté.

Toute de contrastes, d'ailleurs elle-même, elle a « le torse si mince » et « les hanchessi larges » (l.

9-10), le « dos creux et [la] gorge pointue » (l.

12) ; son « énorme chevelure » s'oppose à « sa têtedélicate » (l.

15-16).

Elle va s'afficher en contraste avec le décor sur lequel elle se détache nettement. Car la scène est tout entière faite de contrastes, à commencer par celui de ce personnage en mouvement dans unmonde mort.

Les taches de couleur noient la ville dans le flou et la mollesse : les formes sont comme liquéfiées (« lemonde s'affaisse »), c'est l'heure de la « sieste » (l.

3) où le dormeur est proche de « l'anéantissement » (l.5).

Latorpeur semble avoir gagné l'ensemble du monde et seule Dorothée y échappe : plus rien ne bouge dans la ville que« le soleil accable » (l.

1).

L'adjectif « stupéfié » (l.

2) souligne l'immobilité d'un monde frappé d'hypnose ou deparalysie.

Dans ce monde informe qui « s'affaisse » (l.

2) passivement (« lâchement », 1.

3) dans « une espèce demort » (l.

3), Dorothée est action, mouvement, « seule vivante » (l.7).

Cette attitude conquérante, déterminée par la répétition du verbe « s'avancer » (l.

6 et 9) a quelque chose deprovocant.

Et c'est le soleil même que la jeune femme défie en particulier, parce qu'à la première source de lumièreelle en substitue une autre, rivale.

Elle lui est explicitement comparée : « forte et fière comme le soleil » (l.

6).

Maiselle lui est même supérieure puisqu'elle fait « sur la lumière une tache éclatante et noire » (l.

8).

Cette beautésombre l'emporte sur la lumière claire du soleil : lui qui « accable » la ville ne parvient pas à arrêter Dorothée.

Elle ason propre soleil, cette « ombrelle rouge » qui illumine son visage d'une lumière particulière et arrête la lumière dusoleil qu'elle « tamise » (l.

13) ).

Son nom même contient l'« or » du soleil.

La reprise du mot « lumière » inverse lesrapports du soleil et de la ville : la femme devient l'égale de l'astre et focalise le regard.

La suite du poème montrerad'ailleurs qu'elle provoque l'admiration et le désir.

Tache de lumière sur une lumière éclatante, la beauté noiretranche de manière paradoxale sur le décor qui l'entoure. Rivale de la lumière et lumière elle-même, la belle Dorothée est donc l'incarnation de la Beauté idéale. Dorothée a d'abord une beauté hautaine : sa chevelure « lui donne un air triomphant » (l.

16) .

La dernière phrasedu texte surtout consacre l'image d'une femme déifiée : sa jambe est « superbe » (l.

20) et son pied surtout estcomparé aux statues grecques : « pareil aux pieds des déesses que l'Europe enferme dans ses musées » (l.

21) fontdu personnage une divinité vivante.

Sa jambe « luisante » (l.

20) et la comparaison avec le « marbre » (l.21)confèrent à la jeune femme une chair qui n'est plus humaine.

Mais alors que l'Europe fige les dieux dans les musées,Dorothée se promène librement entre la mer et l'azur.

Elle opère la synthèse de la beauté sculpturale européenne(d'une immobilité de marbre) et de la souplesse sensuelle orientale (pleine d'une vie intense), à la fois statue etodalisque. Sensuelle et lascive comme le paysage qu'elle incarne elle est la réalisation de cette beauté exotique qui charmaittant C.

Baudelaire, dans la personne de sa maîtresse Jeanne Duval par exemple.

Sa sensualité tient aussi auxaccessoires de sa féminité que sont l'ombrelle et les pendeloques.

De l'ombrelle, d'ailleurs, C.

Baudelaire retientl'artifice de la lumière dont elle éclaire le visage de la femme: « le fard sanglant de ses reflets » (l.14).

Le « fard »est lui-même un « accessoire » essentiel de la féminité selon Baudelaire.

Cette sensualité ne va pas sans unecertaine cruauté.

Son mouvement même est provocant : « balançant mollement » (l.

9) ses formes courbes, elle faitressortir les lignes de son corps que révèle sa robe de « soie collante » (l.10) qui « moule exactement sa taille » (l.11-12).

Le sol garde la trace de son passage, avec l'empreinte de son pied dans le sable (l.

22).

Pourtant cettefemme combine les deux aspects contrastés de la femme fatale et de la femme enfant : la couleur claire de sa robe,en opposition avec le rouge sanglant de son ombrelle, fait pencher le personnage vers l'extrême jeunesse et lafraîcheur.

De même les « lourdes pendeloques » (l.

17) de la prostituée tirent ses « mignonnes oreilles » enfantines.Enfin, la présence de Dorothée va jusqu'à imprimer aux autres êtres sa sensualité : la « mort savoureuse » (l.

3-4)que sont la sieste et ses « voluptés » (l.4) sont à placer sur le même plan que la démarche lascive de la jeunefemme.

La sinuosité et la longueur de la deuxième phrase du texte, le jeu des assonances en [è] et des allitérations. »

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