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Commentaire composé : Les deux coqs de La Fontaine

Publié le 09/06/2012

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LE TEXTE : Les deux Coqs Deux Coqs vivaient en paix : une Poule survint, Et voilà la guerre allumée. Amour, tu perdis Troie ; et c'est de toi que vint Cette querelle envenimée, Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint. Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint : Le bruit s'en répandit par tout le voisinage. La gent qui porte crête au spectacle accourut. Plus d'une Hélène au beau plumage Fut le prix du vainqueur ; le vaincu disparut. Il alla se cacher au fond de sa retraite, Pleura sa gloire et ses amours, Ses amours qu'un rival tout fier de sa défaite Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours Cet objet rallumer sa haine et son courage. Il aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs, Et s'exerçant contre les vents S'armait d'une jalouse rage. Il n'en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits S'alla percher, et chanter sa victoire. Un Vautour entendit sa voix : Adieu les amours et la gloire. Tout cet orgueil périt sous l'ongle du Vautour. Enfin par un fatal retour Son rival autour de la Poule S'en revint faire le coquet : Je laisse à penser quel caquet, Car il eut des femmes en foule. La Fortune se plaît à faire de ces coups ; Tout vainqueur insolent à sa perte travaille. Défions-nous du sort, et prenons garde à nous Après le gain d'une bataille.

La Fontaine, Les fables, livre VII.

On peut comprendre grâce à la morale cette continuelle transformation de la situation : « La fortune se plaît à faire de ces coups «, c’est comme une confidence de La Fontaine à son lecteur, soulignée par la tournure familière « faire de ces coups «. Nous comprenons alors pourquoi notre attente a été déçue : c’est « La Fortune «, le « sort « qui régissent les évènements terrestres. Personne ne peut savoir ce qui va se produire : le vaincu lui-même apprend pour son plus grand bonheur la puissance du hasard : un autre s’est occupé de l’insolent vainqueur. Il a suffi d’un « ongle « pour que « tout cet orgueil périsse «. Ce qui montre la médiocrité des deux lutteurs face à la puissance du Vautour, peut-être une figure de la Destiné, violente et incertaine. En faisant entrer cet arbitraire de la vie dans sa fable, La Fontaine dévoile aussi cet arbitraire de l’écriture qui fait de l’écrivain un dieu, capable de tout contrôler et de tout changer selon son humeur. Peut-être faut-il y voir une esthétique baroque de mise en abîme de la création ?      

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« A.

Entre l'homme et l'animalCe procédé se trouve dans la majorité des fables du recueil.

Il n'est pas étonnant de le rencontrer ici : 1.

Le bestiaireLes personnages de la fable sont tous des volatiles : deux coqs, une poule, un vautour.

Ils conservent leursattributs d'animaux : la « crête », le « plumage », le « bec », les « flancs », le « caquet » (suites de gloussementset de petits bruits émis par la poule après la ponte), « l'ongle du Vautour » … On entend même les ailes du coq qui «battait l'air ».

C'est tous les membres de cette « gent qui porte crête », admirable périphrase pour désigner leshabitants de cette basse-cour, qui défilent sous la plume de La Fontaine.

Il donne ainsi à voir une scène depoulailler (« Son vainqueur sur les toits/S'alla perché), une simple « prise de bec ». 2.

L'animal humaniséPourtant, l'association de certains termes, l'utilisation d'actions proprement humaines donne à ce « combat » unréalité plus sociale : la basse-cour devient alors « voisinage », le terme connoté de « gent » (Ensemble d'individuspossédant un caractère physique, moral ou intellectuel commun; exerçant une même activité, appartenant à unemême classe sociale) et de « spectacle », qui confère un intérêt visuel au banal combat.

L'opposition entre «vainqueur » et « vaincu » présente la même idée d'une hiérarchisation social et humaine entre les volatiles.

Certainsverbes étonnent par leur caractère résolument humain: « pleura » (l.12), « s'armait » (l.18), « chanter » (l.20), «faire le coquet » (l.26) … Enfin, les humeurs de ces coqs n'ont rien d'animal : « ses amours » (l.12), « fier » (l.13), «sa haine et son courage» (l.15), « une jalouse rage » (l.18), l' « orgueil » (l.23) … De plus, l'évocation des poules nelaisse aucun doute : « Hélène au beau plumage », « des femmes en foule » … C'est bien d'hommes qu'il s'agit.Cette première analyse nous permet donc de dire que cette fable au premier abord reste dans la continuité de sonmodèle antique ; La Fontaine prend pour acteurs des animaux mais la majuscule des noms communs (« Coqs », «Poule », « Vautour » …) montre bien l'aspect archétypal de ces animaux, dont l'animalité permet la caricature d'unvice humain.

Le coq ne supporte pas la concurrence, la poule est une figure attirante … B.

Le burlesqueLa Fontaine reflète peut-être davantage le goût de son époque dans sa manière de traiter le burlesque.

Pour endonner une définition simple, on peut dire qu'au XVIIème, c'est un genre parodique souvent en vers dont le proposest de travestir de manière comique soit le plus souvent une œuvre de style, noble, en prêtant aux héros desactions et des propos vulgaires et bas : Scarron a mis l'Énéide en vers burlesques ; soit, inversement et plusrarement, un sujet peu élevé en prêtant aux personnages des actions et des propos élevés et nobles (le termeexact est dans ce cas héroï-comique).

C'est sous sa première forme qu'il apparaît dans Les deux coqs. 1.

Un jeu avec une culture préexistante : la Guerre de TroieLa fable, première originalité, se veut une réécriture, non d'Esope ou de Phèdre, mais d'Homère et de son Iliade.

Lascène de bas-cour est alors transposée dans le registre épique, ce qui ne manque pas de produire un effet comique.L'évocation de certains grands noms de la légende nous place dans une intertextualité dégradée : « Amour, tuperdis Troie », cette formule solennel soulignée par l'apposition du sujet et la tournure vocative (apostrophe) faitdirectement référence à l'origine de la Guerre de Troie, l'enlèvement d'Hélène par Pâris.

Autre exemple : le Xanthe,fleuve qui arrose la plaine de Troie, fut témoin de combats acharnés et récolta le sang de Mars et Vénus blessés parDiomède.

Le pluriel qui accompagne le terme « dieu » nous plonge dans l'Antiquité du polythéisme … Tous ceséléments de la grande épopée d'Homère contraste avec la réalité triviale du combat. 2.

La réalité du combatLe combat structure le récit (un système d'opposition : « paix »/« guerre », « querelle », « vainqueur »/ « vaincu »,« défaite »/« victoire » …).

Si c'est effectivement une guerre entre les Troyens et les Archéens, entre Priam etAgamemnon, à laquelle on assiste, ses conditions mêmes détruisent toute forme de grandeur.

Le burlesque émergealors : les deux premiers vers, par la rapidité de la mise en place du conflit (le jeu entre l'imparfait duratif associé auterme « paix », et le passé simple ainsi que le « voilà » actualisant de la « guerre ») lui donne un aspect absurde.Son objet surtout : l'apparition d'« une Poule » ne peut que faire rire.

Le vocabulaire métaphorique (« allumée », « leXanthe teint », « contre les vents »), le rythme majestueux de l'alexandrin contraste avec la banalité du combat lui-même, traité en seulement dix vers (sur trente deux).

L'entraînement du vaincu revanchard ne donnera pas non pluslieu à un nouveau combat.

Rien d'héroïque dans tout cela puisque le Vautour se chargera de l'élimination duvainqueur … 3.

Une désacralisation du mytheAinsi, La Fontaine fait preuve d'une véritable originalité en jouant sur l'alternance du trivial et de l'épique.

Son travailest toujours une réécriture, mais laisse apparaître une vraie critique du texte de référence.

En effet, la comparaisonentre la Guerre de Troie et ce combat de volailles montre bien le ridicule de la situation de la fable.

Mais on peutinverser la constatation : Hélène n'est peut-être qu'une poule créatrice de discorde, qui suit sans se défendre Pâris.Les héros grecs ne sont peut-être que des coqs, obsédé par la victoire sur l'autre … On peut alors lire en filigrane. »

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