Comparaison des deux pièces - Antigone de Sophocle et d'Anouilh
Publié le 23/01/2020
                            
                        
Extrait du document
                                • L'atmosphère
Nous sommes un peu plus dépaysés par l’atmosphère : décor et costumes. Ce n’est pas l’agora de Thèbes ou le palais de Créon. « Un décor neutre » dit Anouilh. Donc rien qui rappelle la Grèce. Rien non plus d’ailleurs qui puisse faire penser à un pays quelconque, ou une pièce précise dans une maison. Rien de réaliste surtout : un décor fonctionnel, pouvant faciliter les groupements ou les évolutions des personnages.
Ceux-ci, comment sont-ils habillés ? Il faut évidemment oublier la pièce grecque. Les costumes seront, non pas exactement modernes (la mode change vite), mais intemporels. Des vêtements de soirée pour le Chœur et Créon, celui-ci ayant une cape par-dessus son habit; des imperméables ou mieux des cirés noirs pour les gardes; Ismène en robe claire, Antigone en robe sombre très simple... en voilà suffisamment pour nous éloigner des cothurnes, des masques ou des Cariatides. Anouilh n’avait même pas besoin de tant de précautions, et Giraudoux ne s’était pas servi de cet artifice quand il écrivait Électre ou La Guerre de Troie n'aura pas lieu, comptant que les spectateurs oublieraient vite ses Grecs et ses Troyens pour ne penser qu’à l’actualité.
• Les personnages
La vraie originalité d’Anouilh, nous la trouverons dans la conception de ses deux personnages principaux. Mais passons d’abord les autres en revue.
Une première remarque s’impose : Anouilh a- supprimé le personnage de Tirésias, le vieux prêtre aveugle conduit par un enfant1. Il a bien fait. Les avertissements et les menaces du devin n’avaient de sens que pour.ramener à la raison un Créon opiniâtre et buté, et pour faire entendre la voix des dieux qui s’associaient par sa bouche à la piété d’Antigone. Que viendrait-il faire dans la pièce d’Anouilh? Adresser des reproches à un Créon qui s’évertue à sauver sa nièce ? Représenter la religion dans un drame qui la nie? Si ses propos ébranlent tardivement le roi dans la pièce de Sophocle, c’est parce que l’auteur grec veut nous tenir en haleine jusqu’au
1. Peut-être cet enfant est-il devenu - chose curieuse - le petit page qui accompagne Créon.
RESSEMBLANCES
. La fable
Il y a entre la pièce de Sophocle et celle d’Anouilh des ressemblances évidentes. Nous ne nous y attarderons pas, soucieux surtout de montrer en quoi Anouilh a fait œuvre originale, mais il est utile de remarquer dès le début qu’il n’a en rien modifié les données que lui fournissait son prédécesseur. Les faits et « l’intrigue 1 » sont les mêmes : Antigone, qui a rendu à son frère les honneurs funèbres malgré l’ordre de son oncle Créon, paiera de sa mort sa désobéissance. Certaines scènes s’inspirent directement de leur modèle grec : la conversation entre les deux sœurs, le récit du garde, la venue finale du messager annonçant la mort d’Antigone, d’Hémon et d’Eurydice. Les circonstances mêmes du dénouement n’ont pas été altérées.
• Quelques expressions
Quant au style, si, comme nous le verrons, il s’oppose délibérément à la noblesse de celui de Sophocle, il lui arrive parfois de traduire littéralement des expressions ou des tours de phrases particulièrement énergiques du Grec. « Sers-toi de .ces prétextes ! » dit Antigone à sa sœur, comme dans la
1. Nous adoptons entièrement sur ce point l’excellente distinction qu’établit M. Henri Gouhier dans son essai Essence du théâtre entre l’intrigue et l’action d’une pièce, la première se situant au niveau des faits bruts, et ne présentant qu’une analyse superficielle, tandis que la seconde, rendant compte du comportement des personnages et de l’esprit - et non de la lettre - de l’œuvre, en pénètre les intentions en profondeur.
                                «
                                                                                                                            pièce 	de 	Sophocle 	(vers 	80).
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	garde, 	qui, 	comme 	son 	modèle, 	
après 	avoir 	longtemps 	bafouillé, 	se 	décide 	enfin 	à avouer 	que 	
quelqu'un 	a enfreint 	l'ordre 	de 	Créon, 	se 	jette 	à l'eau 	de 	la 	
même 	façon 	: " Le 	cadavre 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    	quelqu'un 	l'avait 	recouvert 	" 	
(vers 	245).
                                                            
                                                                                
                                                                    	L'interrogatoire 	de 	la 	jeune 	fille 	par 	Créon 	com	
mence 	presque 	exactement 	dans 	les 	mêmes 	termes 	: " Tu 	
avais 	entendu 	proclamer 	l'édit 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    ? Tu 	savais 	le 	sort 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    ? » 	
(vers 	447) 	Et 	à Ismène 	qui 	la 	supplie, 	Antigone 	répond 	par 	
la belle 	formule 	: cc Tu 	as 	choisi 	la 	vie 	et 	moi 	la 	mort 	>> (vers 	
555) 	que 	nous 	avons 	déjà 	signalée, 	ainsi 	que 	la 	prière 	finale 	
à sa 	dernière 	demeure 	(vers 	89r).
                                                            
                                                                                
                                                                    	C'est 	assez 	dire 	qu'Anouilh 	
n'a 	pas 	entendu 	priver 	sa 	pièce 	de 	quelques-unes 	des 	plus 	
heureuses 	trouvailles 	qui 	depuis 	l'antiquité 	avaient 	traver·sé 	
les 	siècles.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Mais 	ce 	sont 	les 	différences 	qui 	l'emportent 	de 	beaucoup.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
DIFFÉRENCES 	
• Le 	style 	
Les 	moins 	importantes 	sont 	celles 	qui 	sautent 	aux 	yeux 	
d'abord.
                                                            
                                                                                
                                                                    	La 	pièce 	est 	écrite 	en 	prose, 	et 	dès 	le 	début, 	on 	est 	
frappé 	par 	lafamiliarité 	du 	ton.
                                                            
                                                                        
                                                                    	Rien, 	ou 	presque, 	ne 	doit 	nous 	
écarter 	de 	notre 	temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Écrivant 	une 	tragédie 	moderne, 	
l'auteur 	explique 	les 	choses 	avec 	la 	plus 	grande 	simplicité 	
et 	dans 	les 	termes 	de 	tous 	les 	jours 	: " Antigone, 	c'est 	la 	
petite 	maigre 	qui 	est 	assise 	là-bas 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    	L'orchestre 	attaquait 	une 	
nouvelle 	danse, 	Ismène 	riait 	aux 	éclats 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    	» Les 	cc petits 	voyous 	" 	
se 	retournent 	dans 	la 	rue 	quand 	passe 	Antigone...
                                                            
                                                                                
                                                                    	Créon 	
confie 	à sa 	nièce 	qu'il 	ne 	pouvait 	tout 	de 	même 	pas 	« s'offrir 	
le luxe 	d'une 	crapule 	dans 	les 	deux 	camps 	"· Ne 	parlons 	même 	
pas 	du 	langage 	de 	la 	nourrice, 	de 	celui 	des 	gardes 	: il est 	
normal 	qu'il 	soit 	vulgaire.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Mais 	Antigone 	elle-même 	est 	loin 	
d'évoquer 	les 	statues 	de 	I' Acropole.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Voulant 	rapprocher 	la 	pièce 	de 	nous, 	Anouilh 	use 	abon	
damment 	de 	l'anachronisme.
                                                            
                                                                                
                                                                    	On 	parlera 	donc 	de 	carte 	postale, 	
de 	café, 	de 	tartines, 	de 	bar~ 	de 	fusils, 	de 	film, 	de 	cigarettes, 	
de 	pantalons 	longs, 	de 	voitures 	de 	course 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    	C'est 	le 	procédé 	
favori 	de 	Giraudoux 	: il est 	efficace, 	mais 	un 	peu 	facile, 	et, 	
encore 	une 	fois,.
                                                            
                                                                                
                                                                    	l'essentiel 	n'est 	pas 	là.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
37 	-.
                                                                                                                    »
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