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CONSTANT DE REBECQUE Benjamin Henri : sa vie et son oeuvre

Publié le 22/11/2018

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constant

CONSTANT DE REBECQUE Benjamin Henri (1767-1830). Aux yeux de ses contemporains, Benjamin Constant apparaissait avant tout comme un homme politique. Il a tenu une place importante au Tribunat, jusqu’à son éviction par Bonaparte pour cause d’opposition, et, si l’Empire a été pour lui le temps d’une semi-retraite, il a ensuite joué, à partir des Cent-Jours et sous la Restauration, jusqu’à sa mort, un rôle de premier plan à la tête du parti libéral. Aux yeux de la postérité, en revanche, il

 

est d’abord et surtout l’auteur d’Adolphe, avant d'être l’auteur du Cahier rouge, de Cécile et des Journaux intimes. Il a été aussi, longtemps, pour un certain public amateur d’âmes et de vies amoureuses, un homme à femmes : Mme de Staël, sa maîtresse en titre pendant de longues années, Minna von Cramm, sa première femme, Charlotte de Hardenberg, la seconde, Mme de Charrière, peut-être, Anna Lindsay, et Mme Récamier. Mais on sait moins, peut-être, que dès sa vingtième année il a meublé ses loisirs par des études austères sur les religions. Toutefois, isoler chacun de ces aspects occulterait non seulement l’unité profonde de l’homme — ce qui n’est pas rien —, mais encore et surtout le fait que cet homme, quel que soit l’angle sous lequel on le considère, est finalement justiciable — peu ou prou —, pour chacune de ses activités, de l’histoire littéraire.

 

Le démon du style

 

La vie intime et sentimentale de Constant débouche, à la fois, sur la confidence à soi-même des journaux intimes, sur les élans de la correspondance amoureuse, sur la transposition des récits personnels; sa vie publique se traduit en articles incisifs, en brochures qu’on s’arrache, en discours qu’on écoute; sa quête érudite produit des sommes historiques ou philosophiques sans doute vieillies, mais qu’on relit aujourd’hui comme des étapes importantes dans la pratique de l’histoire et dans la réflexion sur le sentiment religieux. Dès son plus jeune âge et pour le reste de sa vie. Benjamin Constant a été en proie à ce qu’on appellera, faute de mieux, le démon du style. Ironie du sort, l’œuvre la plus célèbre de ce possédé de la plume et de la parole est le plus court peut-être des plus grands romans français. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas : la manière de Constant est aux antipodes de la prolixité. Causeur brillant, donnant une réplique digne d’elle à Mme de Staël, il ne devait rien avoir — à en juger par sa façon d'écrire, en toutes circonstances — du bavard impénitent. Et si ses œuvres complètes, le jour où on les publiera, ne tiendront pas en moins d’une quarantaine d’épais volumes, c’est simplement parce qu’écrire est sa manière à lui d’exister, face aux autres comme face à lui-même. Le journal intime fait apparaître combien est grand ce besoin, à travers l’exercice du langage, de s’épancher, de se confesser, de fixer ses états de conscience, de formuler ses aspirations, et d’échapper de la sorte à une extrême mobilité sentimentale et intellectuelle : « Ce journal, s’avouait-il un jour, est une espèce d’histoire, et j’ai besoin de mon histoire comme de celle d’un autre pour ne pas m’oublier sans cesse et m’ignorer». Ses œuvres narratives répondent très largement au même besoin. Ses travaux politiques relèvent aussi, sans doute, du souci de s’affirmer, de convaincre pour se donner, à nouveau, la sensation d’exister.

 

Les premières influences

 

Les premières lettres de Benjamin Constant, écrites à sa grand-mère paternelle, révèlent un enfant étonnamment précoce et prodigieusement doué. Les Chevaliers, son premier roman, écrit à douze ans, témoigne de dons exceptionnels chez le jeune garçon et d’un goût marqué pour les exercices de la plume. Sur un enfant dont les qualités naturelles sont aussi évidentes, il suffisait, mais il fallait aussi, que s’exercent quelques bonnes influences. Des précepteurs, une famille où l’on compte, à côté de beaucoup de sabres, quelques plumes acérées. Celle de la cousine Rosalie, par exemple, de qui la correspondance avec Benjamin est d'une rare qualité, celle du père de Rosalie, Samuel, auteur de quelques romans estimables, et celle d’un autre oncle de Benjamin, connu sous le nom de Constant d’Hermenches.

 

Mentionner ce Constant-là, c’est d’emblée évoquer Mme de Charrière, l’auteur de Caliste, qui avait été sa correspondante et son amie bien avant de devenir l’amie et la correspondante de Benjamin, sur qui elle exerça une importante influence. Moralement, comme Rudler l’a bien vu, elle a laissé une empreinte nette et durable. Mais elle a encore joué un autre rôle, qu’on perçoit mieux depuis que ses lettres à elle sont connues : elle a aidé

 

grandement à ce que vienne à maturité le style même de Constant, ce style tout en nerfs, dont toute enflure est généralement exclue.

 

Sa capacité à écrire allait très vite s’affermir. Les premiers écrits politiques sont déjà ceux de quelqu’un qui a ce qu’on pourrait appeler du métier; les premiers discours, celui du Cercle constitutionnel, en 1798, puis ceux du Tribunat, deux ans plus tard, font mieux qu’annoncer le redoutable orateur de la Restauration. Car il avait affûté ses armes, en même temps qu’il perfectionnait son anglais, lorsque, à l’âge de seize ans, il était étudiant à l’université d’Edimbourg et prenait une part active et brillante aux débats d'un cercle d'étudiants, la Spéculative Society. Il a pu faire là un « écolage » sérieux, pendant deux années d’un séjour marquant pour sa connaissance de la pensée écossaise et pour sa capacité à manier l’abstraction.

 

Un lieu privilégié

 

Doté d’une intelligence plus que vive, Constant a encore reçu en partage une sensibilité d’une qualité toute particulière, qui va nourrir une réflexion aiguë, notamment sur lui-même. Il aura, en outre, l’inestimable chance, ayant rencontré Mme de Staël, de vivre à côté d’une femme et au cœur d’un groupe — à Coppet et ailleurs — où il trouvera à consolider le savoir qu’a déposé en lui son éducation cosmopolite et à développer, en les réorientant quelquefois, les idées qu’il nourrit sur un certain nombre de sujets qui deviendront ses thèmes de prédilection. Les relations avec Mme de Staël et, subsidiairement, avec quelques autres femmes nourrissent ses écrits personnels; mais c’est à la source de Coppet que s’alimentent ses œuvres politiques, ses essais littéraires et, pour une part, ses livres sur la religion. C’est sans doute la traduction du Wallenstein de Schiller (le Wall-stein de Constant) et les considérations sur le théâtre qui sont les plus visiblement inspirées par les activités des familiers du château de Coppet — les Schlegel, Sis-mondi, Bonstetten, Barante, pour ne citer que quelques noms. La pensée politique de Constant, qui ne trouvera à s’employer sur le terrain que bien plus tard, après la dispersion du groupe et après la mort de l’auteur de Corinne, s’est forgée pour l’essentiel sous le Directoire et sous le Consulat, et surtout pendant les années sombres de l’Empire, à travers les échanges que ces esprits, qui comptaient parmi les meilleurs du temps, pouvaient avoir, tantôt à Coppet, tantôt dans les quelques autres résidences quasi forcées où ses fidèles suivaient Mme de Staël, exilée de Paris sur l’ordre de Napoléon. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’on puisse imputer à ces hommes et à cette femme toutes les idées ni surtout tous les faits et gestes de Constant, sous les Cent-Jours ou après. Mais on ne peut néanmoins étudier sérieusement ses écrits politiques, même tardifs, sans les mettre en parallèle avec ceux de Mme de Staël sur les mêmes matières. Si Benjamin va devenir, sous la Restauration, le théoricien du libéralisme politique, le maître à penser d’un courant idéologique puissant et profond, c’est beaucoup parce qu’il a été, bien des années auparavant, l’un des protagonistes des brillantes causeries de Coppet. [Voir aussi Coppet (groupe de)].

 

Les ouvrages sur la religion doivent peut-être moins à ce climat intellectuel étonnamment fécond. Ses recherches érudites sont probablement le refuge le plus intime, le mieux protégé, de Constant. C’est du reste en Allemagne, après son second mariage et avant sa grande rentrée sur la scène politique, qu’il s’y adonne avec le plus d’application. Encore ne peut-on nier que la trace des échanges avec Mme de Staël se retrouve ici aussi, à travers les strates souvent mal identifiables d’une rédaction qui, comme c’est très souvent le cas chez lui, est reprise sans fin, remise sur le métier, d’année en année, depuis les plus anciens projets, qui remontent à l’année 1785 — Constant avait dix-huit ans —, jusqu'à la mise au point des derniers volumes, à la veille de sa mort.

 

Les repentirs de l'écrivain

 

A l’exception de certains écrits de commande ou de circonstance, qui ont bien dû être menés tambour battant, les procédés de composition et d’écriture restent les mêmes quels que soient les domaines où Constant se meut. Qu’il s’agisse de la religion, des principes de politique ou d'Adolphe, on est aux antipodes de la construction ordonnée menant étape par étape, mais en ligne droite, d’un projet initial vers une œuvre achevée. La démarche est au contraire comme labyrinthique, avec ses brusques ruées en avant, ses arrêts, ses changements de direction, ses retours en arrière suivis de nouveaux départs et de nouveaux retours. Esprit changeant, instable, critique aussi à l’égard de lui-même. Constant est rarement satisfait le lendemain de ce qu’il a fait la veille. Alors, il défait, il modifie, il abandonne, pour reprendre un peu plus tard, après d’autres essais. Mais un miracle à chaque fois renouvelé veut qu’en fin de compte, quand même, le but soit atteint, le point final soit mis. Certes, ni le Cahier rouge ni Cécile n’ont été terminés, tant s’en faut pour le premier qui devait raconter toute une vie, alors que Cécile approchait sans doute de son terme quand une raison inconnue arrêta net le cours du récit. Mais Adolphe, lui, est achevé, et il a été mis au point avec une maîtrise telle que les coutures, les raccommodages, les assemblages de morceaux d’époques ou de projets différents n’apparaissent pas, même au regard des plus avertis. Virtuose du patchwork, Constant sait non seulement donner à l’œuvre achevée l’apparence de la pièce venue d’une seule coulée, mais encore, et peut-être surtout, utiliser à une nouvelle fin des morceaux faits pour autre chose. On n'en finit pas de recenser, dans les écrits politiques, par exemple, les emprunts qu’il se fait à lui-même, les remplois et les redites.

 

La complexité de l'être

 

Pareille méthode de travail est évidemment le reflet de toute une psychologie. Les repentirs de Constant écrivain sont dans le droit fil de ses perpétuelles hésitations, de son incapacité à se fixer, vis-à-vis de lui-même.

 

Son instabilité caractérielle est légendaire, notamment à l’égard des femmes : ses retours de passion, ou de sentiment pour Charlotte, qu’il finira par épouser après en avoir abandonné le projet deux fois au moins; sa flamme souda: ne pour Anna Lindsay et le froid qui s’ensuivit, avec quelques velléités de retour; son emballement incontrôlé et curieusement juvénile pour Mmc Réca-mier, alors qu’il la connaît et qu’elle le laisse froid depuis nombre d’années, n'ont pas manqué d’attirer la curiosité. Mais ce n’est là que la facette la plus évidente de sa mobilité. En sont une autre ses incertitudes sur la conduite à tenir en politique, qui le poussent quelquefois à adopter des attitudes surprenantes et fournissent tant d’arguments à ses adversaires. A-t-on assez parlé de la fameuse « palinodie des Cent-Jours »? Il est évidemment curieux de voir un homme de son âge et de son expérience vouer Napoléon aux gémonies comme il le fait dans le célèbre article du Journal des débats, le 19 mars 1815, pour venir se mettre à son service, quelques jours plus tard, en acceptant de collaborer à la rédaction de l’Acre additionnel aux constitutions de l'Empire (la « Benjamine », diront les mauvaises langues). Mais quelle que soit l’explication qu'on donne des faits, et quel que soit le jugement qu'on porte sur ces retourne

 

ments, on doit voir que tout cela ne fait qu’un, composante majeure d’une personnalité qui a d’autres travers et d’autres qualités.

 

Peut-être Constant est-il conduit, dans sa vie politique comme dans sa vie amoureuse, par la même soif d’émotions qui se dévoile dans sa passion du jeu. Comme tout joueur, il aime l’argent ou, plus exactement, il a besoin d’argent. La porte s’ouvre ainsi sur une nouvelle perspective, qui n’a du reste pas encore été complètement explorée : celle d’un Constant homme d’affaires, qui achète et vend des biens nationaux, qui a des démêlés financiers avec son père, et qui guigne peut-être la fortune de Mme de Staël. Appétit d’émotions, donc, et soif d’argent : deux traits voisins, et qui n’inspirent pas d’emblée la sympathie. Mais il faut de la même manière un certain courage et un certain goût du risque pour n’être pas parmi les valets de l’Empire, et devenir plus tard le pourfendeur de la pire des droites, sous la Restauration.

 

Courageux, politiquement du moins, Constant l’est incontestablement. Et l’on ne saurait lui dénier non plus une certaine forme de générosité. Les causes pour lesquelles il s’enflamme sont en général de nobles causes. Ses meilleurs discours, quand ils ne sont pas de pure philosophie politique ou de technique gouvernementale et parlementaire, sont relatifs à la traite des Noirs, par exemple ou, sur un tout autre plan, à la liberté de la presse. Et l’on ne peut pas négliger non plus le rôle qu’il jouera dans l'affaire Régnault, en 1818, où il prendra sans hésitation la défense d’un homme injustement accusé et condamné. Attitude dont on a pu dire qu’elle était comparable, toutes proportions gardées, à celle d’un Voltaire dans l’affaire Calas, ou d’un Zola dans l’affaire Dreyfus.

 

La générosité dont il témoigne ainsi en tant qu'homme public s'exprime également dans sa vie privée. On trouve sa forme la plus évidente, la plus profonde, dans ce qu’il est convenu d’appeler sa « religion de la douleur ». Constant, comme son Adolphe, est un homme qui ne supporte pas la douleur des autres. Lorsque Nccker meurt. Constant vient d’arriver à Lausanne, de retour d'Allemagne, depuis deux jours. Mme de Staël, elle, est restée outre-Rhin. Aussitôt, Constant reprend la route pour rejoindre à Weimar celle dont il sait que la mort de son père lui sera insupportable. Les pages du Journal relatives à ces journées sont instructives et poignantes.

 

L’homme de cœur se manifeste en d'autres occasions. Qu’on se souvienne, par exemple, du choc qu’a été pour lui la mort de Julie Talma, interrompant brusquement la rédaction du Journal. Et la mort de son père, en 1812, sera à nouveau la cause d’un grand ébranlement intérieur.

 

Il est vrai que l’idée de la mort — la sienne comme celle des autres — a toujours obsédé Constant. Les propos sur ce thème que l’on trouve dans Adolphe, où le narrateur exprime sa terreur devant « ce pas terrible vers lequel nous avançons tous, sans qu’aucun de nous puisse prévoir ce qu’il doit éprouver alors », ne laissent aucun doute sur ce point. Mais on lit aussi sur le sujet des phrases très émouvantes dans De la religion.

 

L’attitude devant la mort pose inévitablement la question, combien malaisée, de la croyance religieuse chez Constant. Autant il est clair que le premier projet, celui de la dix-huitième année, est le fait d’un héritier des Lumières, qui entend montrer la supériorité de la religion païenne sur le christianisme, autant il est malaisé de dire ce qu'est finalement la religion de l’homme mûr. Chacun, en fait, conclut là-dessus selon son tempérament ou ses inclinations propres. Mais il est sûr que Constant a un infini respect pour le sentiment religieux. Il ne fait pas de doute non plus qu’il a traversé parfois de véritables crises de religiosité. Ce fut le cas en 1807-1808, à l’époque où il s’est rapproché de la secte quiétiste

constant

« ses loisirs par des études austères sur les religions.

Tou­ tefois, isoler chacun de ces aspects occulterait non seule­ ment l'unité profonde de l'homme -ce qui n'est pas rien -, mais encore et surtout le fait que cet homme, quel que soit 1' angle sous lequel on le considère, est finalement justiciable -peu ou prou -, pour chacune de ses activités, de l'histoire littéraire.

Le démon du style La vie intime et sentimentale de Constant débouche, à la fois, sur la confidence à soi-même des journaux intimes, sur les élans de la correspondance amoureuse, sur la transposition des récits personnels; sa vie publique se traduit en articles incisifs, en brochures qu'on s'arra­ che, en discours qu'on écoute; sa quête érudite produit des sommes historiques ou philosophiques sans doute vieillies, mais qu'on relit aujourd'hui comme des étapes importantes dans la pratique de l'histoire et dans la réflexion sur le sentiment religieux.

Dès son plus jeune âge et pour le reste de sa vie, Benjamin Constant a été en proie à ce qu'on appellera, faute de mieux, le démon du style.

Ironie du sort, l'œuvre la plus célèbre de ce possédé de la plume et de la parole est le plus court peut-être des plus grands romans français.

Pourtant, qu'on ne s'y trompe pas: la manière de Constant est aux antipodes de la prolixité.

Causeur brillant, donnant une réplique digne d'elle à Mme de Staël, il ne devait rien avoir - à en juger par sa façon d'écrire, en toutes cir­ constances -du bavard impénitent.

Et si ses œuvres complètes, le jour où on les publiera, ne tiendront pas en moins d'une quarantaine d'épais volumes, c'est simple­ ment parce qu'écrire est sa manière à lui d'exister, face aux autres comme face à lui-même.

Le journal intime fait apparaître combien est grand ce besoin, à travers l'exercice du langage, de s'épancher, de se confesser, de fixer ses états de conscience, de formuler ses aspirations, et d'échapper de la sorte à une extrême mobilité senti­ mentale et intellectuelle : «Ce journal, s'avouait-il un jour, est une espèce d'histoire, et j'ai besoin de mon histoire comme de celle d'un autre pour ne pas m'oublier sans cesse et m'ignorer)).

Ses œuvres narratives répon­ dent très largement au même besoin.

Ses travaux politi­ ques relèvent aussi, sans doute, du souci de s'affirmer, de convaincre pour se donner, à nouveau, la sensation d'exister.

Les premières influences Les premières lettres de Benjamin Constant, écrites à sa grand-mère paternelle, révèlent un enfant étonnam­ ment précoce et prodigieusement doué.

Les Chevaliers, son premier roman, écrit à douze ans, témoigne de dons exceptionnels chez le jeune garçon et d'un goût marqué pour les exercices de la plume.

Sur un enfant dont les qualités naturelles sont aussi évidentes, il suffisait, mais il fallait aussi, que s'exercent quelques bonnes influen­ ces.

Des précepteurs, une famille où l'on compte, à côté de beaucoup de sabres, quelques plumes acérées.

Celle de la cousine Rosalie, par exemple, de qui la correspon­ dance avec Benjamin est d'une rare qualité, celle du père de Rosalie, Samuel, auteur de quelques romans estima­ bles, et celle d'un autre oncle de Benjamin, connu sous le nom de Constant d'Hermenches.

Mentionner ce Constant-là, c'est d'emblée évoquer Mme de Charrière, l'auteur de Caliste, qui avait été sa correspondante et son amie bien avant de devenir l'amie et la correspondante de Benjamin, sur qui elle exerça une importante influence.

Moralement, comme Rudler 1' a bien vu, elle a laissé une empreinte nette et durable.

Mais elle a encore joué un autre rôle, qu'on perçoit mieux depuis que ses lettres à elle sont connues : elle a aidé grandement à ce que vienne à maturité le style même de Constant, ce style tout en nerfs, dont toute enflure est généralement exclue.

Sa capacité à écrire allait très vite s'affermir.

Les premiers écrits politiques sont déjà ceux de quelqu'un qui a ce qu'on pourrait appeler du métier; les premiers discours, celui du Cercle constitutionnel, en 1798, puis ceux du Tribunat, deux ans plus tard, font mieux qu'an­ noncer le redoutable orateur de la Restauration.

Car il avait affûté ses armes, en même temps qu'il perfection­ nait son anglais, lorsque,, à 1' âge de seize ans, il était étudiant à l'université d'Edimbourg et prenait une part active et brillante aux débats d'un cercle d'étudiants, la Speculative Society.

Il a pu faire là un « écolage » sérieux, pendant deux années d'un séjour marquant pour sa connaissance de la pensée écossaise et pour sa capa­ cité à manier l'abstraction.

Un lieu privilégié Doté d'une intelligence plus que vilve, Constant a encore reçu en partage une sensibilité d'une qualité toute particulière, qui va nourrir une réflexion aiguë, notam­ ment sur lui-même.

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en outre, l'inestimable chance, ayant rencontré Mme de Staël, de vivre à côté d'une femme et au cœur d'un groupe -à Coppet et ailleurs -où il trouvera à ·co nsolider le savoir qu'a déposé en lui son éducation cosmopolite -et à développer, en les réorientant quelquefois, les idées qu'il nourrit sur un certain nombre de sujets qui deviendront ses thèmes de prédilection.

Les relations avec Mme de Staël et, subsi­ diairement, avec quelques autres femmes nourrissent ses écrits personnels; mais c'est à la source de Coppet que s'al imentent ses œuvres politiques, ses essais littéraires et, pour une part, ses livres sur la religion.

C'est sans doute la traduction du Wallenstein de Schiller (le Wall­ stein de Constant) et les considérations sur le théâtre qui sont les plus visiblement inspirées par les activités des familiers du château de Coppet -les Schlegel, Sis­ mondi, Bonstetten, Barante, pour ne citer que quelques noms.

La pensée politique de Constant, qui ne trouvera à s' employer sur le terrain que bien plus tard, après la dispersion du groupe et après la mort de l'auteur de Corinne, s'est forgée pour l'essentiel sous le Directoire et sous le Consulat, et surtout pendant ks années som­ bres de l'Empire, à travers les échanges que ces esprits, qui comptaient parmi les meilleurs du temps, pouvaient avoir, tantôt à Coppet, tantôt dans les quelques autres résidences quasi forcées où ses fidèles suivaient Mme de Staël, exilée de Paris sur l'ordre de Napoléon.

Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'on puisse imputer à ces hommes et à cette femme toutes les idées ni surtout tous les faits et gestes de Constant, sous les Cent-Jours ou après.

Mais on ne peut néanmoins étudier sérieusement ses écrits politiques, même tardifs, sans les mettre en parallèle avec ceux de Mme de Staël sur les mêmes matiè­ res.

Si Benjamin va devenir, sous la Restauration, le théoricien du libéralisme politique, le maître à penser d'un courant idéologique puissant et profond, c'est beau­ coup parce qu'il a été, bien des années auparavant, l'un des protagonistes des brillantes causeries de Coppet.

[Voir aussi COPPET (groupe de)).

Les ouvrages sur la religion doivent peut-être moins à ce climat intellectuel étonnamment fécond.

Ses recher­ ches érudites sont probablement le refuge le plus intime, le mieux protégé, de Constant.

C'est du reste en Allema­ gne, après son second mariage et avant sa grande rentrée sur la scène politique, qu'il s'y adonne avec le plus d'application.

Encore ne peut-on nier que la trace des échanges avec Mme de Staël se retrouve ici aussi, à tra­ vers les strates souvent mal identifiables d'une rédaction qui, comme c'est très souvent le cas chez lui, est reprise. »

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